lundi 24 avril 2023

Le portique du temple d'Esné, "monument le plus parfait de l'antique architecture" selon Vivant Denon (XIXe s.)

Illustration de Vivant Denon

"Esné est l'ancienne Latopolis ; on voit encore sur le bord du Nil quelques débris de son port ou quai, qui a été souvent rétabli, et qui, bien qu'on y fasse quelques réparations, est dans un état déplorable. 
Il y a aussi dans la ville le portique d'un temple, que je crois le monument le plus parfait de l'antique architecture : il est situé près du bazar, sur la grande place, et en ferait un ornement incomparable, si les habitants pouvaient soupçonner son mérite ; au lieu de cela, ils l'ont masqué de méchantes masures en ruine, et l'ont livré aux usages les plus abjects : le portique est très bien conservé et d'une grande richesse de sculpture ; il est composé de dix-huit colonnes à chapiteaux évasés ; ces colonnes sont élancées, et me parurent aussi élégantes que nobles, quoiqu'on ne puisse juger de leur effet que de la manière la plus désavantageuse à l'architecture ; il faudrait déblayer, pour savoir s'il reste quelque partie de la Cella : je fis le mieux que je pus la vue pittoresque et un plan de ce monument ; les hiéroglyphes en reliefs, dont il est couvert en dedans comme en dehors, sont d'une exécution soignée ; on y remarque un zodiaque, de grandes figures d'hommes à têtes de crocodiles ; les chapiteaux, quoique presque tous différents, sont d'un bel effet ; et ce qui pourrait ajouter à la preuve que les Égyptiens n'ont rien emprunté des autres nations, c'est qu'ils ont pris tous les ornements dont ces chapiteaux sont composés, des productions de leur pays, telles que le lotus, le palmier, la vigne, le jonc, etc."

extrait de Voyage dans la Basse et la Haute Égypte, pendant les campagnes du Général Bonaparte, 1802, par Dominique Vivant Denon (1747-1825), graveur, écrivain, diplomate français

dimanche 23 avril 2023

"C'était là, pour les Égyptiens, l'extrême limite du monde" (la Vallée des Rois, selon Jean-Baptiste Samat - XXe s.)

La vallée des tombes des rois par William Henry Bartlett (1809-1854), 
publié dans The Nile Boat or Glimpses of the Land of Egypt,1862

"L'excursion aux tombeaux des rois évoque d'autres idées et suscite d'autres réflexions que la vue des temples écroulés. C'est que la visite aux hypogées, encore revêtus de leurs peintures et de leurs inscriptions, nous fait entrevoir les origines des religions primitives ; elle nous rapproche de l'âme des premiers civilisés, de leurs aspirations, de leurs croyances sur la mort et sur l'au-delà.
Ici, plus de colonnades majestueuses, plus de portiques insolents : la nature s'est chargée du décor. Les Égyptiens eux-mêmes avaient bien compris que rien n'aurait pu ajouter à la majesté, à la sévérité du site qu'ils avaient choisi. Quelle région, mieux que celle-ci, eût été capable d'éveiller le sentiment du départ définitif ?
Des rochers jaune clair, cachant des trous creusés profondément, des galeries souterraines dont rien n'indiquait l'entrée, pas de fronton, pas de pylônes, des excavations brutes, longtemps ensevelies sous les effritements de la montagne et que maintenant les égyptologues ont mises à jour.
Plus d'allées de sphinx, mais un chemin caillouteux, au fond d'une vallée de quatre kilomètres, fruste, âpre, désolée et immense, s'enfonçant au revers de l'admirable colline rose que nous admirions de Louqsor.
C'était là, pour les Égyptiens, l'extrême limite du monde. C'était derrière cette chaîne de rochers que le soleil disparaissait chaque soir. L'âme humaine dont la course solaire était le symbole devait à sa mort rejoindre l'Astre-Dieu, dans la profondeur de l'Occident, pour le suivre dans l'Amentit et y accomplir sa destinée. Tous les morts de la vieille Égypte dorment donc dans la montagne du Couchant ; ils sont ainsi plus près du but de leur dernier voyage : "La contrée de l'Ouest, la très grande et la très bonne."
On a creusé pour eux ces demeures indestructibles qui ne périront qu'avec le monde : "Les temples et les palais des Égyptiens, a dit un historien grec, ont passé, car la vie de l'homme est passagère, mais leurs tombes sont éternelles comme la mort."
Rien n'est plus émouvant que cette route déserte, décrivant ses méandres entre deux pentes abruptes que fait flamboyer un soleil ardent ; rien n'est plus désolé. Ce sont des masses solides, quelquefois elles sont taillées à pic, souvent arrondies en forme de tours, coupées de gorges escarpées et ombrées de bleu. Les lignes des crêtes sont harmonieuses, classiques et se détachent nettement ; mais quel silence et quelle solitude ! Rien n'y pousse, ni un arbrisseau, ni même un brin d'herbe ! partout la pierre nue et dorée, la pierre polie par le temps, par le frottement séculaire du sable impalpable que le vent du désert y apporte constamment. Seuls, quelques oiseaux donnent un semblant de vie à cette terre de mort, de rares alouettes huppées, les aigles fauves planant immobiles, des éperviers et des milans noirs décrivant des orbes majestueux dans le ciel couleur de turquoise."


extrait de Promenade en Égypte, de Jean-Baptiste Samat (1865-1931), docteur en droit, journaliste, historien local, illustrateur, directeur du périodique "Le Petit Marseillais", membre de l'Académie de Marseille (élu en 1919)

vendredi 21 avril 2023

"Paysage dont le seul rôle est de servir de miroir à la lumière" (Robert de Traz, à propos du désert égyptien)

 

photo d'Iman Fouad, avec son aimable autorisation

"Sakkara, dans les dunes du désert, m'avait donné l'impression de l'altitude, des lieux surélevés et nus. Même atmosphère de vacuité et d'attente. À mesure que, quittant Louqsor, je m'en vais vers les sables du sud, je la retrouve.
Tout est ouvert autour de vous. Rien ne vous limite plus, rien ne vous oblige. Sensation pure de l'espace. À peine faites-vous quelques pas que la moindre dépression de terrain vous engloutit : le monde disparaît à cause d'une faible dénivellation.
Et ce monde, il est désormais identique à lui-même. Pendant des heures et des heures, il se déroule, couleur d'écaille blonde, ou bien d'un beige rose. Mais si désolé qu'il paraisse, il n'est pas monotone. À cause de ses teintes exquises et douces qui donnent un plaisir ininterrompu : le soleil ayant dévoré tous les tons vifs, il ne reste que des nuances qui jouent délicieusement les unes avec les autres. À cause aussi de son invraisemblance. Nous sommes habitués à tirer parti de tout. Mais ce paysage féerique a quelque chose d'inutile et de prodigue. Illimité, inemployable, il existe en dehors de l'homme.
Caractère dépouillé mais sans appauvrissement. Au contraire. Un ascétisme mais qui irradie. C'est la terre réduite à l'essentiel sans ornements ni cultures, et elle présente l'aspect primordial de la nudité.
Paysage dont le seul rôle est de servir de miroir à la lumière. À travers cette pierraille infinie, soudain un caillou micacé brille, paillette allumée dans la solitude.
L'air est si transparent qu'on voit les moindres détails à une grande distance. Rien n'arrête le regard : il s'empare d'un seul coup de cet univers en cristal. Tout est évaporé, tendu, sec, brisant. Au ras de l'horizon la lumière chatoie, presque blanche, et puis elle s'élève en ondulations bleuissantes vers le haut du ciel qui est turquoise. Jour incandescent, privé d'ombres, flamme sans fumée. Du soleil à la terre un arc voltaïque a jailli. Pour un peu on l'entendrait crépiter
Vers le soir, cette haute tension fléchit. Par degrés, l'azur relâche son étreinte, remonte très haut au-dessus du monde exténué. Un faible souffle vient à nous, comme l'haleine expirante de qui demande grâce. Poudre d'or du couchant, gloire immobile."

extrait de Le dépaysement oriental, de Robert de Traz (1884-1951), romancier et essayiste suisse

mercredi 19 avril 2023

La "formidable majesté" de la salle hypostyle de Karnak, selon Henri Richardot (XXe s.)

source : Wikipedia

"À l'extrémité de ce couloir, c'est la salle hypostyle.
Je ne sais si, comme le dit Chevrillon dans son volume Terres mortes, il n'y a rien, il n'y a jamais rien eu de comparable à cela ; ce qui est certain, c'est que de ma vie, sauf peut-être le Colisée, je n'ai trouvé quelque chose m'impressionnant autant, non tout de suite peut-être, mais quand, après quelques minutes, j'ai senti, j'ai compris la formidable majesté de cette salle incomparable.
Combien plus formidable encore devait-elle être dans la pénombre religieuse, quand seulement par les hautes fenêtres de la grande nef pénétrait la lumière sous le pesant plafond bleu! (...)
Je suis resté plus d'une heure dans la salle hypostyle ; il faut du temps pour la comprendre, de même que ce n'est qu'après une longue contemplation qu'on saisit bien les beautés de la Joconde ou de la Madone du grand duc, mais alors, comme cette immensité vous prend tout entier, vous environne, vous écrase !
Partout la ligne droite, inflexible, dure ! Quand les blocs démesurés des plafonds pesaient sur ces lourdes colonnes, ils pesaient aussi sur l'âme des fidèles, et aujourd'hui, nous-mêmes, nous parlons bas, comme dans la nef d'une cathédrale, comme si là-bas, au fond, pendait encore l'immense draperie frangée d'or qui cachait le tabernacle d'Ammon-Ra, roi des dieux.
Cette grandeur annihile les pauvres pygmées que nous sommes, mais pour éprouver cette sensation, cet écrasement, il faut la solitude, le silence. Comment sentir la musique au milieu des rires et des cris ? Comment être ému de la majesté d'un temple au milieu des plaisanteries d'une compagnie joyeuse ?
L'heure passée là avec M. E. silencieux comme moi, ému comme moi de l'étreinte des choses sublimes, restera parmi les plus précieuses de mes souvenirs."

extrait de Cinq Semaines en Égypte. Notes de voyage, 1903, par H. R. (vraisemblablement Henri Richardot, 1845-1927, poète et homme de droit français)



lundi 10 avril 2023

"Les paysages du Nil sont empreints d'un charme auquel on n'échappe pas" (Eugène Poitou, XIXe s.)

photo de Marie Grillot

"Les paysages du Nil, un peu monotones au premier aspect, sont cependant empreints d'un charme auquel on n'échappe pas. Ils ont, dans la grandeur des horizons, dans l'austère beauté des lignes, quelque chose qui saisit et émeut, comme la campagne de Rome. Souvent, c'est la même désolation et la même mélancolie ; c'est le même contraste de la solitude présente avec le mouvement et la vie d'autrefois. Ce grand fleuve dont la source est encore un mystère et qui ne ressemble en rien aux fleuves de notre Europe, ce ciel d'une inaltérable pureté, cette nature sévère, tout concourt à la majesté du tableau. Chaque détail ajoute à l'effet de l'ensemble. (...)
Le Nil, comme contenu par des digues gigantesques, coule entre deux chaînes de montagnes qui s'étendent parallèlement du sud au nord. Ces montagnes de roches calcaires, nues, brûlées, dépouillées de toute espèce de végétation, sont cependant harmonieuses de forme et de couleur. Les dattiers et les mimosas sont à peu près les seuls arbres qui croissent dans la vallée.
Partout où l'on voit de loin s'élever leurs massifs d'un vert sombre, on est sûr que quelque petit village se cache et se blottit en quelque sorte sous leur ombrage. Le palmier est un bel arbre, d'un port élégant et majestueux ; mais, quoique la variété de ses attitudes et de ses groupes le rende moins uniforme à l'œil qu'on ne le suppose ordinairement, sa beauté cependant a quelque chose d'un peu triste et qui s'harmonise à merveille avec le désert dont il est le seul ornement.
C'est surtout le soir, au coucher du soleil que ces paysages du Nil nous apparaissaient dans toute leur splendeur. Nous dînions de bonne heure pour ne rien perdre de ces magnifiques spectacles, que, pendant un mois, nous ne nous sommes jamais lassés d'admirer. Lorsque le soleil avait disparu derrière l'horizon, le ciel s'embrasait tout à coup et prenait des teintes d'or vif qui illuminaient tout le paysage et se reflétaient sur les grandes nappes d'eau du Nil : peu à peu cette teinte devenait plus ardente, plus empourprée, puis, passant par tous les tons de l'orangé, finissait par se perdre dans des nuances d'or pâle. Bientôt d'innombrables étoiles s'allumaient au ciel, et une nuit brillante, une nuit des tropiques semblait continuer le crépuscule. Les matelots psalmodiaient leur chant monotone ; l'eau murmurait autour de la barque, qui filait silencieuse, pareille à un grand oiseau de nuit ; et nous restions plongés dans une muette contemplation jusqu'à l'heure où la fraîcheur du soir nous avertissait de nous arracher à ce dangereux plaisir."

extrait de Un hiver en Égypte, par Eugène Poitou (1815-1880), magistrat, conseiller à la Cour impériale d'Angers, critique littéraire

"On n'oublie jamais ce vaste ciel d'Égypte, où chaque soir l'astre disparaissait dans des triomphes de pourpre et d'or" (Gaston Migeon, XXe s.)


photo de Marie Grillot


"Aux bords du Nil les oppositions de mouvement et de vie, et de solitude absolue sont continuelles. On quitte un village, entouré d'une verte oasis de dattiers, et de champs cultivés de maïs, de canne à sucre, et de coton. Puis brusquement la végétation cesse ; le sable affleure la rive, les berges sont désertes, une des deux chaînes de montagnes a forcé le fleuve à décrire une grande courbe au pied de ses falaises ; puis peu à peu il s'en éloigne, elles se perdent dans le lointain. Le pays alors devient plat, aucun détail ne s'y accuse, et bien loin devant les yeux l'énorme coulée du fleuve monstrueux confond son horizon avec celui du ciel. Il semble sortir du vide, s'écouler des profondeurs du ciel. Seule parfois une voile blanche très lointaine vient briser cette illusion, détail précis et net sur ce fond plein de mystère.
Ailleurs la végétation est magnifique ; les palmiers forment des bois touffus abritant de leur ombre des champs ensemencés ; un arbre d'une essence particulière apparaît, dont le tronc se bifurque en deux branches à peu de distance du sol, et dont les feuilles se déployant en éventails, forment de véritables glaives. C'est le palmier-doum. On commence à le rencontrer en amont de Siout et il est bien particulier à l'Égypte.
Tout le long des rives se fait entendre le grincement continu des chadoufs ; c'est comme l'éternelle plainte du fellah dont la vie est vouée à arroser cette terre sur laquelle ne tombe jamais la pluie du ciel. Il est l'esclave du fleuve. Par couples de deux, on les voit debout dans l'étroite brèche dont la rive est creusée, à un mètre au-dessus de son niveau. D'un effort régulier et mécanique ils abaissent vers l'eau un sac de cuir suspendu à une longue poutrelle perpendiculaire à une autre sur laquelle elle bascule. Le sac touche le fleuve, s'y remplit d'eau ; un contrepoids formé d'une lourde pierre, le fait remonter, l'attirant à hauteur de la berge, où il se déverse dans un petit canal qui porte cette eau à la plaine. (...)
Les heures passent, dans l'alternance des longues rêveries bercées par les battements réguliers des roues, auxquelles succèdent les débarquements pour la visite de quelque temple ou hypogée voisins. La pensée s'endort peu à peu sous ce ciel tranquille et pur, dans cette atmosphère légère et transparente. Sans qu'on s'en rende compte, elle vous pénètre d'un bien-être physique, où les nerfs se détendent peu à peu. Respirer cet air, jouir de cette lumière, il semble bientôt qu'il n'est rien de meilleur dans la vie. Et quand on est revenu à des climats moins cléments, on n'oublie jamais ce vaste ciel d'Égypte, qui semble plus haut, plus vaste que les cieux d'Europe, où chaque matin se préparaient lentement des levers de soleil délicats et nuancés, où chaque soir l'astre disparaissait dans des triomphes de pourpre et d'or."





extrait de Le Caire, le Nil et Memphis, par Gaston Migeon (1861-1930), conservateur au département des objets d'art du Moyen Âge, de la Renaissance et des Temps modernes au musée du Louvre

Adieux au Caire, par Joseph Joûbert, XIXe s.

Max Schmidt - Kairo (1844)

"Adieu le Caire, "bouton de diamant qui ferme l'éventail du Delta", perle d'Orient, héritière de Memphis, Masr-el-Kahirah, la Victorieuse, toi qui évoques les fantastiques fictions des Mille et une Nuits et décris ton immense cirque au pied du stérile Mokattam !
Adieu le Caire avec la funèbre ceinture de tes vastes nécropoles, de Kaït-Bey, de l'Imam-Chafey que dominent ces merveilles d'architecture légère, les Tombeaux des Califes, avec tes opulentes villas qu'ombragent les palmiers de leurs gracieux éventails et où de belles captives du harem, sous l'œil méfiant de l'eunuque noir, tissent des jours nonchalants d'uniforme ennui, avec ton labyrinthe de ruelles sombres et sinueuses où bourdonne la ruche humaine, tes quartiers délabrés, jonchés de décombres, comme criblés par la mitraille et qu'on dirait se relevant à peine des horreurs du siège et de l'assaut.
Adieu le Caire, aujourd'hui dépouillé de tes magnifiques avenues d'acacias et de sycomores, tombés sous la hache impitoyable, mais fier encore de ton ravissant jardin de l'Ezbékièh où des bosquets touffus donnent une ombre délicieuse au touriste brûlé par les ardeurs de ton ciel immaculé.
Saluons au départ, Babylone égyptienne, tes luxueux palais aux voûtes de mosaïques, d'où pendent les stalactites en alvéoles, et aux ogives dentelées qu'enlace la fuyante arabesque, tes bruyants bazars tout chatoyants du Mousky et du Khan-Kalil, où brillent l'or et la nacre sur la soie et le velours et qui étalent tes mille produits de l'Orient, depuis l'ivoire et les plumes d'autruche du Soudan jusqu'au café et aux arômes du Yémen.
Adieu, pieuse cité de l'Islam, où des milliers d'étudiants commentent les versets du Coran dans ta vieille et célèbre université d'El-Azhar, où les muezzins en prière, tournés vers la Mecque, se prosternent sur les tapis de tes mosquées bulbeuses d'Amrou, de Touloun, du sultan Hassan, poèmes de pierre, et dans tes quatre cents autres temples, dont les élégants minarets, légers comme les campaniles italiens de la Renaissance, dressent dans l'azur leurs pointes hardies.
Construite par les guerriers du Prophète, tu as prospéré sous l'intelligente et artistique royauté des califes. (...)
Tu comptes déjà neuf siècles, cité des Fatimides, des Ayoubides, des Mamelouks, mais tu es née d'hier, si l'on songe aux Pyramides qui ont versé sur ton berceau leur ombre séculaire, au Sphinx dont le doux regard veille de loin sur l'enfant qui a grandi sous son égide, si l'on te compare à Memphis, à Thébes où florissait une merveilleuse civilisation plusieurs milliers d'années avant que Gewehr, général du sultan El-Moêzz, eût tracé avec son cimeterre vainqueur les limites de ton enceinte.
Adieu le Caire, pendant deux jours encore de notre dahabièh nous apercevrons les blanches murailles et les coupoles bleuâtres de ta citadelle qui domine toute la plaine et le désert, ce "château de la Montagne", témoin de tant de drames sanglants ; nous apercevrons ta superbe mosquée de Méhémet- Ali, flanquée de ses deux minarets élancés comme des flèches et qui rappelle le souvenir de son illustre fondateur, l'aventurier de génie dont la main, à la fois souple et rugueuse, a façonné l'Égypte moderne."


extrait de En Dahabièh, du Caire aux cataractes : Le Caire, le Nil, Thèbes, la Nubie, l'Égypte ptolémaïque, 1894, par Joseph Joûbert (1853-1925 ?), voyageur, explorateur, conseiller de la Société des études coloniales et maritimes