photo d'Iman Fouad, avec son aimable autorisation
"Sakkara, dans les dunes du désert, m'avait donné l'impression de l'altitude, des lieux surélevés et nus. Même atmosphère de vacuité et d'attente. À mesure que, quittant Louqsor, je m'en vais vers les sables du sud, je la retrouve.Tout est ouvert autour de vous. Rien ne vous limite plus, rien ne vous oblige. Sensation pure de l'espace. À peine faites-vous quelques pas que la moindre dépression de terrain vous engloutit : le monde disparaît à cause d'une faible dénivellation.
Et ce monde, il est désormais identique à lui-même. Pendant des heures et des heures, il se déroule, couleur d'écaille blonde, ou bien d'un beige rose. Mais si désolé qu'il paraisse, il n'est pas monotone. À cause de ses teintes exquises et douces qui donnent un plaisir ininterrompu : le soleil ayant dévoré tous les tons vifs, il ne reste que des nuances qui jouent délicieusement les unes avec les autres. À cause aussi de son invraisemblance. Nous sommes habitués à tirer parti de tout. Mais ce paysage féerique a quelque chose d'inutile et de prodigue. Illimité, inemployable, il existe en dehors de l'homme.
Caractère dépouillé mais sans appauvrissement. Au contraire. Un ascétisme mais qui irradie. C'est la terre réduite à l'essentiel sans ornements ni cultures, et elle présente l'aspect primordial de la nudité.
Paysage dont le seul rôle est de servir de miroir à la lumière. À travers cette pierraille infinie, soudain un caillou micacé brille, paillette allumée dans la solitude.
L'air est si transparent qu'on voit les moindres détails à une grande distance. Rien n'arrête le regard : il s'empare d'un seul coup de cet univers en cristal. Tout est évaporé, tendu, sec, brisant. Au ras de l'horizon la lumière chatoie, presque blanche, et puis elle s'élève en ondulations bleuissantes vers le haut du ciel qui est turquoise. Jour incandescent, privé d'ombres, flamme sans fumée. Du soleil à la terre un arc voltaïque a jailli. Pour un peu on l'entendrait crépiter
Vers le soir, cette haute tension fléchit. Par degrés, l'azur relâche son étreinte, remonte très haut au-dessus du monde exténué. Un faible souffle vient à nous, comme l'haleine expirante de qui demande grâce. Poudre d'or du couchant, gloire immobile."
extrait de Le dépaysement oriental, de Robert de Traz (1884-1951), romancier et essayiste suisse
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