statue de Thoutmosis III - photo Marie Grillot |
"Pour en revenir à l'Égypte, ses dogmes religieux étaient bien moins matériels que ceux de la Grèce, et ses dieux bien plus divins. La bonté était leur premier, leur principal attribut ; ils étaient vraiment, et dans toute la force du mot, les bienfaiteurs des hommes ; ce que les dieux de l'Olympe étaient fort peu. L'Olympe, au fond, n'était qu'un lieu malhonnête ; le ciel égyptien était bien plus moral.
Cette différence éclate jusque dans la statuaire des deux peuples : celle des Grecs est évidemment plus parfaite, plus belle selon les règles de l'art ; mais la matière y joue un plus grand rôle que l'esprit, je veux dire que la physionomie est sacrifiée aux lignes, et que le corps subalternise le visage. C'est le contraire dans l'art égyptien : les corps y sont raides, anguleux, gauchement drapés, couronnés de coiffures bizarres, immobilisés dans des attitudes consacrées toujours les mêmes ; ainsi l'ordonnait l'inflexible loi sacerdotale. Mais quelle finesse, quelle grâce, quelle exquise délicatesse dans l'expression des figures ! Quelle mansuétude, quelle tendresse aimable sur ces lèvres de pierre ! Quel sourire idéal ! quel regard bienveillant ! quelle douce sérénité ! Comme tout y respire la sollicitude et l'amour ! non cet amour terrestre de Jupiter séduisant les filles des hommes, ou de Cythérée éprise de tant d'heureux mortels ; mais cet amour divin qu'on ne retrouve plus que dans les statues mystiques du moyen âge, lesquelles touchent par bien des côtés à celles des divinités égyptiennes.
L'architecture des Pharaons ne se distingue pas moins de celle des Grecs. Celle-ci est plus élégante, plus svelte, plus claire, plus nette, et révèle un peuple éminemment artiste, mais léger, voire même inconsistant. L'architecture égyptienne a un tout autre caractère : elle est confuse, elle est lourde, elle étonne par sa masse plus qu'elle ne séduit par ses proportions ; grandiose dans l'ensemble, elle néglige le détail et sacrifie l'élégance à la solidité. On y sent un peuple carré par la base, immuable dans son aplomb, constant dans ses croyances, stable en toutes choses, et qui, dédaigneux de l'innovation, bâtissait pour l'éternité selon des règles invariables. On a besoin de quelque temps pour se faire à ces colosses d'architecture ; mais, une fois qu'on les a compris, ils s'imposent à l'imagination, s'emparent d'elle irrésistiblement, et l'épouvantent par leur grandeur. Tout, auprès d'eux, paraît petit et mesquin."
extrait de 500 lieues sur le Nil , 1858, par Charles Didier (1805 - 1864 ), écrivain, poète et voyageur suisse
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