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Dans ce premier cercueil, il en existait un second de même type ; dans ce second, un troisième ; celui-ci, d'or massif, est merveilleusement sculpté. C'est l'enveloppe métallique de la momie ; elle épouse les contours du corps, comme une image adéquate et parfaitement ressemblante. Le roi est, encore une fois, sous la forme d'Osiris, bras croisés sur la poitrine. Les déesses de la Haute et Basse-Égypte, vautours aux ailes déployées, protègent son torse et ses bras ; les déesses sœurs et épouses d'Osiris, Isis et Nephthys, femmes aux bras ailés, encadrent et protègent ses jambes. Un texte en deux lignes verticales, gravé sur l'or, donne des formules pieuses en l'honneur de l'Osiris Toutankhamon.
C'est au mois de novembre 1925 que ce cercueil d'or fut ouvert et révéla, enfin, la momie de Toutankhamon.
Un masque d'or massif était appliqué sur la tête et la poitrine du corps enveloppé de bandelettes : nouveau portrait du roi, plus parfait encore que les précédents. Les yeux sont d'émail rapporté ; la coiffure, le large collier, sont traités en cloisonnés, incrustés de pâtes de verre, de turquoises, d'émaux. Au front, se dressent les têtes du Vautour de la Haute-Égypte et de l'aspic (uraeus) de Basse-Égypte, emblèmes de la double royauté.
Le démaillotage de la momie fut difficile, car les bandelettes, trempées dans la résine bitumée, adhéraient au corps. Le visage, les mains et les pieds (enveloppés dans des feuilles d'or) sont, paraît-il, intacts. L'examen médical du corps révèle que Toutankhamon était un frêle adolescent d'environ dix-huit ans.
Plusieurs statues, découvertes à Karnak par Legrain, le représentent, en effet, comme un jeune homme d'une rare beauté mélancolique et alanguie. Il avait vécu d'abord à El-Amarna, auprès du roi réformateur Aménophis IV-Ikhounaton, dont il avait adopté la doctrine, hostile à la tradition politique et religieuse des prêtres d'Amon. À ce moment, il s'appelle Toutankhaton (image vivante d'Aton) , parce qu'Aton est le dieu officiel qui remplace Amon ; il épouse la fille de son roi, vit dans le luxe éclatant et raffiné de la cour, dans la fréquentation d'artistes qui renouvellent l'art égyptien par un abandon des traditions hiératiques et un retour passionné à la nature.
Après la mort d'Ikhounaton et le très court règne de Sâakarâ, voici Toutankhaton sur le trône. Nous savions, même avant d'avoir vu son corps, momifié, que c'était un adolescent délicat, sans grande force. Près de lui, s'active un rude général, qui a la responsabilité de défendre les provinces de Syrie contre les Hittites, et qui juge nécessaire de rétablir la paix religieuse en Égypte, de revenir au culte d'Amon, de s'appuyer sur la formidable puissance des prêtres de Thèbes, qu'avait voulu briser Ikhounaton.
Les détails sur ce qui s'est passé au début du règne de Toutankhaton (vers 1360) manquent. Le roi n'a guère que douze ans et il est déjà marié ; c'est, en effet, un âge nubile pour les Égyptiens. Vers l'an IV (environ 1 356 avant J.-C.) , le roi et la cour retournent à Thèbes ; toute la puissance d'Amon et de ses prêtres est rétablie par décret. Bientôt, une réaction terrible s'élève contre les anciens ennemis d'Amon. Le jeune roi donne des gages de son orthodoxie : il reprend Amon comme patron et se fait appeler (image vivante d'Amon) Toutankhamon. Il fait démolir le temple d'Aton à Karnak, abandonne El-Amarna, élève pour Amon temples et statues.
C'est en vain, il est suspect. En effet, le jeune roi a le respect de la mort, la fidélité de l'affection : il a soustrait le corps d'Ikhounaton à la haine des Amoniens et l'a fait déposer dans une cachette (retrouvée par Davis) aux côtés de la reine Tiy, mère du réformateur. C'était trop braver le parti des prêtres d'Amon. Toutankhamon mourut jeune ; une bandelette funéraire, retrouvée en 1906 par Davis, donne la date (an VI) de son règne. Vraisemblablement, c'est l'année de sa mort (vers 1354) ; peut-être sa fin ne fut-elle pas naturelle. Le corps a trop souffert, paraît-il, de la momification, pour permettre d'élucider ce problème ; du moins, savons-nous que la veuve de Toutankhamon fut persécutée. Dans les archives hittites (en Asie Mineure), on a retrouvé une lettre d'elle adressée au puissant roi de Boghaz-Keuï : elle demande à ce roi, qui a tant de fils, de lui envoyer l'un d'eux pour qu'elle en fasse son époux et son protecteur. Ceci semble indiquer que la famille du jeune roi était dans une situation tragique. Nous savons aussi que sa mémoire fut persécutée. Sur les monuments de son règne, son nom est martelé, remplacé par le nom d'Horembeb. Aussi le roi fut-il, après sa mort, déposé, avec tout son luxueux mobilier, dans une cachette, et non dans un tombeau véritable. C'est à cette précaution que nous devons d'avoir retrouvé intacts le corps et le mobilier funéraire de Toutankhamon, alors que tant de rois orthodoxes et ensevelis selon les règles ont été dévalisés et dépossédés de leur dernière demeure.
On sait que statues, meubles, coffrets déjà exhumés de 1922 à 1925 dans les chambres antérieures étaient d'une beauté et d'une richesse exceptionnelles. La plupart proviennent des palais d'El-Amarna et constituent le décor où vivait le roi durant sa brève existence. Rien n'égale l'élégance du style ni la perfection de la facture. La réforme religieuse d'Ikhounaton avait provoqué une renaissance qui fut plus durable que l'hérésie. L'ébéniste, l'émailleur, le ciseleur, l'orfèvre environnent d'un décor de joie et de grâce le roi-dieu devenu plus humain, depuis qu'il s'est mis sous la protection d'Aton, le soleil créateur de toute la nature vivante et physique.
On revoit, d'un coup d’œil, la grâce, l'élégance, le luxe de la vie royale à El-Amarna. Mais les trouvailles de ces derniers jours révèlent toute l'amertume dissimulée sous ce rideau de fleurs précieuses. Dans ce cercueil d'or massif, il y a un corps tout jeune, qui ne demandait qu'à vivre, à qui l'existence normale fut refusée.
Voilà ce que cache le sourire d'un roi et d'une reine juvéniles, qui vécurent des jours enchantés, suivis de catastrophes terribles, il y a plus de trois mille ans."
Alexandre Moret
Cet égyptologue français (1868-1938) fut appelé en Égypte par le Service des Antiquités pour établir le catalogue des sarcophages de l'époque bubastite à l'époque saïte. Il a occupé la chaire d'égyptologie au Collège de France à partir de 1923. Il fut élu membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres en 1926. Il fut également président de la Société française d'égyptologie, directeur d'études à l'École pratique des hautes études et directeur honoraire du musée Guimet.
extrait de Les Annales politiques et littéraires : revue populaire paraissant le dimanche, dir. Adolphe Brisson, date d'édition : 28 mars 1926
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