photo M.C. |
La lumière de l’Égypte est aussi un élément fascinant : une lumière crue, blanche, aveuglante lorsqu'on vient des mornes pays d'Occident, une lumière pleine, sans ombres, ni demi-teintes ; les fantaisies du clair-obscur ne jouent aucun rôle dans la peinture égyptienne. Les couleurs vives, franches, se juxtaposent, créant un véritable choc visuel : les tons roux et rosés des sables, le vert sombre et puissant des palmiers, le vert soyeux des champs au printemps quand les jeunes pousses sortent de terre, l’azur intense, éclatant, du ciel, les reflets verts et bleus du large fleuve, l'or irradiant du soleil. On retrouve les couleurs fondamentales souvent utilisées par le peintre ou l'orfèvre égyptien : le rouge, le vert, le bleu, le jaune.
Là ne s’arrête pas l’influence de la nature et du paysage sur la conscience de l'artiste. L'Égypte est un pays dont les éléments naturels composent un ensemble rigoureusement harmonieux et équilibré. L’axe central du pays est constitué par le Nil, qui coule lentement du Sud au Nord ; sur ses rives, de part et d’autre, de véritables forêts de papyrus pouvaient - dans l’antiquité le climat était moins aride que de nos jours - s'élever jusqu’à 6 m de haut, abritant un monde animal dense et bruyant ; puis, à l’Est comme à l'Ouest, on rencontrait une zone semi-marécageuse propice à l'élevage ; ensuite, de part et d’autre de cette zone, les champs irrigués étalaient leurs réseaux de canaux réguliers permettant des cultures diverses. Enfin, à l'Orient et à l’Occident, les déserts déroulaient leurs étendues sans fin. Ainsi, le paysage se reproduisait comme par un effet de décalque, à gauche et à droite du Nil, qui commandait la vie du pays. Paysage incomparable, sans égal. Peintures et bas-reliefs égyptiens présenteront souvent cet affrontement de scènes symétriques par rapport à un motif central : scènes cultuelles, civiles (chasse et pêche, notamment) (...).
Ces rapports de nature dans le sens Est-Ouest sont également soutenus par un équilibre de couleurs : opposant kemet, "la noire" (nom même de l'Égypte dans les temps antiques), la terre du limon vital, fertilisateur, à Deshret, "la rouge", désignant les grandes étendues rousses du Sahara, domaine des forces hostiles ou malveillantes, terres de la stérilité ; s’ensuit une opposition morale entre l’être et le néant, le bénéfique et le maléfique.
L'Égypte constitue une unité géographique certaine, unité naturelle, prédestinée, inconnue des autres états de l’Antiquité. Mais une dualité secondaire, naturelle aussi, existe dans cet ensemble unique, dualité qui influera sur les styles de l’art.
Au Sud, d’Assouan à Memphis (800 km environ), jusqu’à la pointe du delta du Nil (Le Caire actuel), les zones utiles à l’homme n’excédaient pas la largeur de 10 km de part et d’autre du fleuve, région encaissée entre les falaises arabiques et libyques ; la population était composée essentiellement d’agriculteurs, de bouviers et d’artisans, hommes rudes, vivant sur des terres de climat "continental" où la vie était plus difficile ; le pays est essentiellement tributaire du grand Sud et s’ouvre largement aux influences africaines.
En contraste absolu avec la Haute Égypte, la Basse Égypte, c’est-à-dire le delta du Nil aux 6 branches (600 km de largeur et 200 km de profondeur), est constituée par une vaste plaine alluviale, au climat tempéré et doux, étroitement associé à tout le système méditerranéen ; la population comprenait non seulement des agriculteurs et des éleveurs, mais aussi des marins, des commerçants, ouverts aux influences extérieures, en rapport très tôt avec l’Asie. À partir de 2000 av. J.-C., environ, sous l'influence aussi du cours de l’histoire, cette opposition entre le Sud et le Nord se retrouvera dans l'existence d’écoles d’art différentes.
La sensibilité des artistes sera sollicitée, dès les temps les plus reculés (...) par ce paysage naturel, particulier, exceptionnel, dont les éléments se refléteront dans leurs œuvres."
extrait de L'art figuratif dans l'Égypte pharaonique, 1992, par Claire Lalouette (1921-2010), égyptologue française, qui fut membre scientifique de l'Institut français d'archéologie orientale du Caire et professeur émérite à l'université de Paris-Sorbonne.
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