samedi 6 juin 2020

Le désert, un "océan sans eau" (par Henri Paul Baillière)

désert d'Égypte, par Augustus Osborne Lamplough,
peintre orientaliste britannique (1877 - 1930)

"On se fait une fausse idée du désert, quand on le définit simplement une vaste plaine basse, couverte de sables arides et nus. C'est vraiment une mer, coupée par de petits monticules pierreux, de larges dunes mouvantes, qui ondulent comme des vagues ; et les Arabes, en l'appelant "un océan sans eau", ont, dans une vive et poétique image, exprimé une idée vraie. 
L’œil ne trouve aucun objet où se reposer, de même que le pied n'y laisse aucune trace ; il règne ici un silence de mort, une tristesse solennelle, une solitude terrible.
Par intervalles, une végétation rabougrie, qui montre, çà et là, quelques arbustes épineux, le lentisque et le tamarinier, oubliés au milieu de ces espaces désolés ; un vautour ou une gazelle qui fuient au bruit de la machine, encore nouveau pour eux ; une caravane qui fait halte à l'heure de midi, et dont l'ombre se projette sur le sable, comme sur le transparent des ombres chinoises. (...)
Nous sommes entre deux miroirs de sable, l'Arabie et la Lybie qui, dans leurs réverbérations, absorbent toute l'humidité que laissent évaporer la mer Rouge et le Nil.
Là-bas, dans l'atmosphère brillante et brûlante, au milieu de ces steppes immobiles et mornes qui s'appellent la vallée de l'Égarement, un paysage enchanteur se dessine ; une pente douce s'élève ; sur la colline une forêt de palmiers se balance et se reflète dans un lac qui resplendit de lumière à ses pieds, et dont une brise légère ride la surface, en faisant scintiller les mille facettes de ce diamant tremblant ; on ne sait où finit la terre, où commence l'eau, mais ce doit être, en tout cas, quelque oasis, quelque lieu de délices, plein d'ombre et de fraîcheur.
Ce n'est qu'une illusion de nos sens abusés, c'est le mirage.
Cette belle nappe d'eau, c'est le bleu azuré du ciel, dont l'image réfléchie vient jusqu'à l’œil, portée par les couches inférieures de l'air plus échauffées que les couches supérieures ; ces palmiers, ce sont des nuages ; ces collines, ce sont les vagues éternelles de sable que le vent agite et renouvelle ; cette oasis, c'est un rêve qui s'évanouirait bien vite si on allait à lui, ou plutôt qui reculerait toujours devant les pas du voyageur inquiet."


extrait de En Égypte : Alexandrie, Port-Saïd, Suez, Le Caire, 1867, par le libraire-éditeur parisien Henri Paul Charles Baillière (1840-1905)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.