Le général Bonaparte s’entretient à bord de l’Orient avec les savants de l’expédition d’Égypte.
À Paris : Potrelle, [1798]. - 1 grav. à l’eau-forte ; H. 15,5 x l. 12 cm
D’après un tableau du peintre anglais Bingham admis à l’exposition dans les dernières années de l’Empire.
Collection Ecole polytechnique
À Paris : Potrelle, [1798]. - 1 grav. à l’eau-forte ; H. 15,5 x l. 12 cm
D’après un tableau du peintre anglais Bingham admis à l’exposition dans les dernières années de l’Empire.
Collection Ecole polytechnique
"Grâce à leur esprit philosophique, les savants (de l'Expédition d'Égypte) sentirent qu'une étude de l'Égypte moderne ne pouvait avoir d'utilité que si elle était suivie d'une exploration des monuments qui permettent de remonter jusqu'à l'antique civilisation des Pharaons. Les conditions naturelles étant permanentes, il était nécessaire de comparer l'Égypte affaiblie des Mamlouks à la prospérité celles de l'Institut d'Égypte, elles ont eu un double résultat : elles ont enrichi la science et ont eu une application pratique en apprenant aux possesseurs modernes de l'Égypte par quels procédés ses anciens maîtres en faisaient surgir des richesses considérables. L'égyptologie était fondée et, malgré des erreurs, excusables d’ailleurs, car elles ne pouvaient être évitées que par la lecture des hiéroglyphes, ces prédécesseurs de Champollion et de Mariette ont fait les principales découvertes qui servirent de points de départ à leurs successeurs. Appuyés sur les textes d'Hérodote et de Diodore, ils essayèrent de trouver dans les monuments les éclaircissements nécessaires à l'intelligence de ces historiens, et ils s'aperçurent bientôt qu’une Égypte nouvelle allait surgir de ces fouilles. Chacune des provinces de l'Égypte eut ses explorateurs. Jollois, Jomard, Devilliers, Saint-Genis cherchèrent à retrouver les restes des villes disparues. Les ruines d'Abydos, d'Antinoé, de Memphis, d'Heliopolis, de Thèbes, etc., furent explorées. Un jeune ingénieur, Villiers du Terrage, visita le temple de Denderah ; mais, trompé par le style de l’édifice et dans l’ignorance des caractères hiéroglyphiques, il crut pouvoir attribuer aux anciens Égyptiens le dessin d'un zodiaque qui ne remonte en réalité qu'à l'époque des Ptolémées. L’ardeur des jeunes gens était telle que leur chef, Girard, se plaignit au général Belliard et déclara que les hiéroglyphes n'étaient pas la besogne des ingénieurs. Ces plaintes importunes n'étaient guère de saison et ne furent pas écoutées. Villiers remonta le Nil jusqu’à l’île de Philæ et put explorer les ruines de Thèbes. Il fournit d’utiles renseignements aux deux commissions nommées en septembre 1799 par Bonaparte pour interpréter les bas-reliefs et il rapporta au Caire des plans, des élévations et des coupes de tous les temples, palais, tombeaux, qu'il avait visités, ainsi qu'une carte de la plaine de Thèbes.
Grâce à ces travaux, les savants parvinrent à tracer une première esquisse de l’état de l’ancienne Égypte et, en procédant comme ils l’avaient fait pour l'Égypte moderne, étudier successivement l’état politique, les sciences, l’agriculture, l’industrie, les mœurs des contemporains de Ramsès. Jomard comparait la population de l'Égypte ; Boudet essayait de démontrer que les Égyptiens avaient inventé le verre ; de Rozière recherchait les industries disparues aujourd'hui ; Costaz étudiait l'agriculture, l'industrie et les mœurs ; Rouyer les embaumements ; Villoteau les instruments de musique figurés sur les monuments ; Fourier, Jollois, Devilliers et Jomard les sciences et l'astronomie ; Girard et Jomard les anciennes mesures. Aucune branche de l’antique civilisation n’était négligée, tandis que les ingénieurs, Dubois-Aymé, Jomard et Lancret essayaient de retrouver les traces des anciennes bouches du Nil et du lac Mœris, qui servait alternativement de réservoir et de déversoir au Nil.
Mais de toutes les découvertes la plus féconde devait être celle de la pierre trouvée à Rosette au mois d'août 1799 par l'officier du génie Bouchard et sur laquelle se lisaient trois inscriptions en trois bandes parallèles, l’une en grec, l'autre en caractères démotiques, l’autre en hiéroglyphes. Ce petit rectangle de granit noir fut, sur l’ordre de Menou, envoyé au Caire et étudié par les membres de l'Institut ; on en fit plusieurs empreintes que l’on expédia en France, et nul ne douta plus désormais qu’elle ne renfermât la clef de l'écriture hiéroglyphique. Après le traité d'Alexandrie, cette pierre tomba au pouvoir des Anglais et fut transportée au British Museum. Champollion devait l'y retrouver un jour et achever l'œuvre de l’Institut d'Égypte.
Il semblait donc que l'antique Égypte dût livrer tous ses trésors ; l’activité des savants avait encore augmenté pendant l’année 1800, lorsque l'invasion anglaise vint tout arrêter. Les Français avaient jeté les fondements de la rénovation de l'Égypte ; les Anglais empêchèrent leurs résultats d'aboutir. Si la route des Indes n’a pas été ouverte dès le commencement de ce siècle, si l'égyptologie a dû attendre de longues années ses Champollion et ses Mariette, il faut l'attribuer à la politique de l'Angleterre et à l'indifférence du Directoire. L'Angleterre a senti tout le danger qu’une Égypte puissante et soumise à l'influence française ferait courir à l’Inde. Elle a donc inauguré dès 1799 et 1800 la politique de jalousie et de méfiance qui devait être sa ligne de conduite jusqu'à ce qu’elle pût absorber l'Égypte à son tour. Mais si elle a ainsi enlevé l'Égypte à la France, elle n'a pas pu détruire le résultat moral de l’œuvre de ses savants. La science a fait de l'Égypte une terre française, et un barbare de talent, s'inspirant de cet exemple, va reprendre avec des Français l'œuvre que Bonaparte dédaigna d'achever."
extrait de L'Égypte de 1798 à 1900, par Louis Bréhier (1868 - 1951), historien, docteur ès lettres, chargé d'un cours d'Histoire et de Géographie ancienne et du Moyen-Âge à l'Université de Clermont-Ferrand. Son ouvrage sur l'Égypte fut couronné par l'Académie des Sciences Morales et Politiques.
Il semblait donc que l'antique Égypte dût livrer tous ses trésors ; l’activité des savants avait encore augmenté pendant l’année 1800, lorsque l'invasion anglaise vint tout arrêter. Les Français avaient jeté les fondements de la rénovation de l'Égypte ; les Anglais empêchèrent leurs résultats d'aboutir. Si la route des Indes n’a pas été ouverte dès le commencement de ce siècle, si l'égyptologie a dû attendre de longues années ses Champollion et ses Mariette, il faut l'attribuer à la politique de l'Angleterre et à l'indifférence du Directoire. L'Angleterre a senti tout le danger qu’une Égypte puissante et soumise à l'influence française ferait courir à l’Inde. Elle a donc inauguré dès 1799 et 1800 la politique de jalousie et de méfiance qui devait être sa ligne de conduite jusqu'à ce qu’elle pût absorber l'Égypte à son tour. Mais si elle a ainsi enlevé l'Égypte à la France, elle n'a pas pu détruire le résultat moral de l’œuvre de ses savants. La science a fait de l'Égypte une terre française, et un barbare de talent, s'inspirant de cet exemple, va reprendre avec des Français l'œuvre que Bonaparte dédaigna d'achever."
extrait de L'Égypte de 1798 à 1900, par Louis Bréhier (1868 - 1951), historien, docteur ès lettres, chargé d'un cours d'Histoire et de Géographie ancienne et du Moyen-Âge à l'Université de Clermont-Ferrand. Son ouvrage sur l'Égypte fut couronné par l'Académie des Sciences Morales et Politiques.
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