"La préface que vous m'avez fait l'honneur de me demander devrait peut-être s'arrêter ici, mais, au risque d'ennuyer et vous et vos lecteurs, je demanderai à plaider de mon mieux la cause de quelques archéologues de mes amis occupés à interroger ce sol qui, comme vous le dites si bien, sent la momie.
Je crois que vous êtes un peu sévère pour "les hommes qui violent à toute heure de jour et de nuit les sépulcres royaux". Ceux-là, je vous prie de le croire, méritent, comme les fellahs, d'être vus à l'œuvre et étudiés de près. Comme les gens des chadoufs, ils gagnent peu et travaillent beaucoup dans le seul but d'ajouter, peut-être, une page ou même une simple ligne à l'histoire de l'Égypte antique et de l'humanité. Souvent déçus, rarement heureux, ils apportent à cette tâche une ardeur que j'admire. Vivant avec les morts, ils savent garder leur jeune gaieté, supporter la solitude pendant de longs mois, trop heureux si quelque découverte, dont ils ne garderont rien pour eux, vient ranimer leur ardeur qui défaille et secouer la torche qui les guidera l'an prochain.
C'est à ces découvreurs de momies, et à leurs devanciers, les Mariette, les Maspero, que vous êtes redevable de vos émotions quand vous visitez la Vallée des Rois, Saqqarah et le Musée du Caire.
Cette lente résurrection des choses du passé, cette longue recherche des générations disparues est, quand elle est faite pieusement, angoissante entre toutes. C'est un dialogue avec les morts autrement passionnant que ceux qu'imagina Lucien de Samosate.
Chaque momie ramenée au jour nous dit son nom, ses titres et ses croyances ; le moindre petit caillou couvert d'hiéroglyphes parle à qui sait les traduire.
J'ai, pour ma part, fait sortir de leur cachette des centaines de statues : chaque fois, Madame, qu'une d'elles fut découverte, je ressentis une émotion que je voudrais vous faire partager, ne fût-ce qu'un instant. Elles sortaient peu à peu, l'une après l'autre, de la boue de Karnac et revoyaient la lumière après de longs siècles d'enfouissement. Les textes dont elles étaient couvertes m'ont confié toute leur histoire ; j'ai revécu avec elles dans les temps passés et exaucé leur vœu sans cesse renouvelé : "Que mon nom persiste à jamais dans les siècles des siècles." Tous ces pauvres disparus, ces ombres errantes clament très haut leur amour de la vie et l'horreur qu'ils avaient de la mort et l'oubli : ils ne pouvaient croire à l'anéantissement complet et définitif de ce qui constitua leur personnalité ; afin de perpétuer leur nom, les rois construisent leurs énormes pyramides et lancent vers le ciel les hypostyles géants. Grands et petits emportent dans la tombe un dernier trésor, le plus précieux de tous : le papyrus sur lequel sont tracées les formules efficaces, grâce auxquelles ils pourront "revoir le jour, sortir vers la lumière".
C'est l'ultime Espérance que leur donna la Foi dans le dogme de la Résurrection.Les archéologues sont impuissants à réaliser tous les vœux de ces êtres dont les dépouilles se sont accumulées depuis des siècles sur les bords du Nil. Nous ne pouvons que, selon leur désir, faire "reverdir leur nom", comme ils disaient. En accomplissant cette œuvre, en notant ce que tous ces oubliés ont fait et pensé, chacun de nous tâche de les ramener vers leur chère lumière, croyant, comme Michelet, que l'Histoire est, elle aussi, une résurrection."
L'archéologue, égyptologue et photographe Georges Legrain (1865-1917) supervisa d'ambitieuses restaurations archéologiques, comme la reconstruction de la Grande salle hypostyle à Karnak, après l'écroulement de douze colonnes le 3 octobre 1899. Sa grande découverte fut celle de la fameuse "cachette", le 26 décembre 1903, avec ses 700 statues.
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