dimanche 3 novembre 2019

Henri Joseph Gisquet, "en extase devant les débris de la vieille Égypte"


photo de Lékégian (actif en Égypte et au Moyen-Orient de 1870 à 1890)

"Mais, quel était donc ce peuple, pour qui les architectes construisaient des portes de cinquante pieds, et taillaient d'immenses palais dans le sein d'une montagne ? Quels étaient ces princes, dont on montre les traits dans des blocs de pierre ou de marbre de soixante pieds de hauteur ? Sans doute ils appartenaient à la famille des Titans ! Sans doute ils régnaient sur des hommes d'une autre espèce que nous, et d'une stature énorme. On serait tenté de le croire, si des millions de momies n'étaient là pour attester que les hommes d'alors avaient la même taille et les mêmes traits que ceux dont la vallée du Nil est encore peuplée.
Plusieurs écrivains, en extase comme moi devant les débris de la vieille Égypte, ont fait cette remarque :
Nous voyons bien des temples et des palais admirables, nous voyons que les princes et les prêtres se bâtissaient des demeures dignes des dieux, mais nous ne trouvons aucune trace des maisons du peuple. Ils en conclurent que, sauf les classes privilégiées, les habitants étaient aussi misérables que de nos jours.
Je pense qu'ils se trompent. Une nation qui a porté si loin les sciences et les beaux-arts, qui a rendu ses voisines tributaires de son industrie : un peuple dont la plupart des individus se faisaient préparer une riche demeure funèbre, pouvait-il avoir une existence aussi malheureuse que celle du Fellah ?
Oh ! non, non. La résignation lâche et stupide, l'indigence, l'esclavage peuvent être le partage de l'ignorance et de l'abrutissement, mais une nation dont les lois, les mœurs, les dogmes religieux ont servi de modèle aux sages comme aux législateurs de la Grèce ; un peuple laborieux qui atteignit la perfection dans tous les genres de travaux, et qui se montra aussi profond dans les sciences les plus abstraites, devait jouir d'un bien-être dont malheureusement il n'a pas transmis le secret à sa postérité. 

Les ruines des habitations particulières ont disparu en Égypte comme à Carthage, à Syracuse, à Babylone, à Ninive, comme elles disparaissent partout après deux ou trois mille années dans une ville abandonnée et détruite. Les constructions monumentales ont seules, par la dureté des matériaux et leurs grandes dimensions, la force de lutter pendant une aussi longue période contre les outrages du temps et les ravages des hommes." 

extrait de L'Égypte, les turcs et les arabes. Tome 2, par Henri Joseph Gisquet (1792-1866), banquier, industriel, haut fonctionnaire et homme politique français

"Les effets magiques de la lumière égyptienne" (Louise Colet)

Auguste Louis Veillon (1834-1890), "Rives du Nil"
 "Cependant notre flottille remontait le Nil avec rapidité. L'inondation des terres continuait à rendre impossible la visite des temples et des nécropoles. J'étais si lasse, et l'aspect du grand fleuve devenait d'une majesté tellement sublime, que je me félicitais de l'obstacle qui nous forçait à contempler, immobiles, l'éclatant tableau déroulé autour de nous. Les monuments de l’art, même ceux de l’antique Égypte, qui semblent, par leur durée, participer des choses éternelles, ne causent jamais à l’âme l'émotion immense, et pour ainsi dire palpitante d'une grande scène de la nature. 
Le Nil s'était élargi comme un vaste lac sur l'étendue duquel saillissaient les îles flottantes où des buffles et des chameaux broutaient de hautes herbes ; tandis que des fellahs, huchés sur les cimes aiguës des palmiers, y cueillaient des grappes de dattes rousses. 
Du côté de la chaîne arabique, la posture des monts devenait de plus en plus magnifique ; les rocs gigantesques coupés à angle droit figuraient des bastions qu’on eût dit construits par des géants pour nous défendre l'entrée du grand désert qui, par delà ces formidables murailles, s'étend jusqu'à la mer Rouge. Du côté de la chaîne libyque, les monts sont plus éloignés et le désert plus voisin du rivage. La zone cultivée est plus vaste, Fayoum en marque le point le plus cultivé et le plus fertile.
J'entends dire autour de moi que ce merveilleux paysage a le défaut d’être monotone : toujours des montagnes dénudées ! toujours des palmiers montant dans l'azur ! toujours des bisons ou des brebis paissant alentour des pauvres tourbis d'où un minaret jaillit dans un ciel sans nuage ! Pas un horizon inattendu et varié ! Les navires marchent des heures entières et l’aspect des deux rives ne change pas.
Ceux qui parlent ainsi oublient les effets magiques de la lumière égyptienne. Lorsque le soleil qui décline darde ses premières pourpres sur la rive occidentale, on croirait qu'un sang jeune et rose s’infuse à travers l'immense étendue. Il jaillit comme un incendie au fond de l’éther bleu qu'il embrase, il colore de sa flamme jusqu’à la blafarde aridité du désert ; chaque caillou brille comme un rubis, chaque grain de sable devient une étincelle ; l’eau trouble du Nil se clarifie et semble bleue comme celle d’un lac de la Suisse.
Ce jour-là, en voyant le premier soleil couchant de la Haute-Égypte, je restai en extase et comme attendrie d'admiration et d'amour. La terre vivait et tressaillait à cette heure. Du brin d'herbe aux monts titaniques, tout participait à l'immense palpitation de son rayonnement. Oui, la terre vit ; elle a une âme qui, tour à tour, se communique aux nôtres et se les assimile sans les anéantir. Nous contribuons à sa fécondation, à sa beauté, à ses enfantements immortels ! Nous voyons dans ses clartés ardentes ou douces les âmes aimées disparues dont les rayons nous brûlent et nous caressent. Nous sommes appelés et attendus par elles dans le foyer attractif où gravitent les générations. Les âmes incessamment en découlent et y remontent.

Perdue dans mon rêve, la tête plongée pour ainsi dire dans l'embrasement fluide du couchant qui se condensait tout à coup à l'horizon en une large bande de pourpre, tandis que des plaques d'or miroitaient sur le fleuve et que dans l'espace oriental du ciel se levaient déjà les premières étoiles, je ne m'étais pas aperçue du mouvement qui se faisait à l'arrière du Gyzeh. Gastano dressait la table sous la tente en fredonnant un air de la Traviata."

extrait de Les pays lumineux : voyage en Orient, 1879, de Louise Colet (1810-1876), poétesse et écrivaine française qui, lors de l'inauguration du canal de Suez en 1869, est envoyée en Égypte par le journal progressiste “Le Siècle” pour suivre l'événement. Elle note ses observations et ses réflexions sur l'art, la religion, le mode de vie des Égyptiens dans un livre qui ne paraîtra qu'après sa mort, en 1879.

vendredi 1 novembre 2019

Le Nil, ce fleuve "majestueux et mystérieux", qui a créé l'Égypte (J.-D. de Bois-Robert)

"Sheik Abadeh On The Nile", par Edward Lear (1812-1888)

"Les ruines ont fui derrière nous : ma pensée se tourne vers le fleuve lui-même. Le Nil ! Avec le Gange et le Mississippi, le Nil est un de ces fleuves majestueux et mystérieux, qu'il semble tout naturel à l'homme de personnifier, comme les Grecs personnifiaient autrefois les grandes forces de la nature. À ce fleuve s'est toujours attachée une curiosité respectueuse. (...)
Ô magique attrait de l'inconnu ! Chercher la source du Nil, ce fut la pierre philosophale de la docte antiquité. Ce fut la quadrature du cercle des géographes d'alors, le cachet de folie pour les esprits froids et peu enthousiastes. Quœrere caput Nili, chercher la source du Nil, c'était là une locution vulgaire qui signifiait : Chercher l'impossible, vouloir prendre la lune avec les dents. 

Et que de fables sur ce pauvre Nil qui n'en pouvait mais, et qui continuait à rouler ses larges eaux si terribles et si fécondes, sans se préoccuper des billevesées de la science et de l'ignorance. (...)
N'allez pas, au reste, voyageur trop crédule et nourri des descriptions antiques, chercher sur les bords du Nil le mystérieux lotus, la plante qui faisait oublier la patrie absente aux compagnons d'Ulysse : ne demandez pas l'ibis sacré. Tout ce que j'ai pu apercevoir ici, en fait de couleur locale, consistait, pour la faune égyptienne, comme disent ces messieurs les naturalistes, en troupeaux de buffles au large museau, à moitié ensevelis dans la vase, en bandes de coqs de Pharaon et de petits faisans dorés voltigeant au-dessus des sycomores et des bananiers des palais.
Avant les temps de la création de l'homme, à ces époques mystérieuses dont le génie de Cuvier nous a révélé les animaux mystérieux, l'Égypte n'existait pas encore. C'est ce fleuve, à la source inconnue, qui s'échappe du milieu des montagnes inaccessibles de l'Afrique intérieure, qui l'a créée. (...)
Privée du bienfait des pluies, l'Égypte était donc condamnée à une effroyable stérilité : terre maudite, inhabitable, elle eût repoussé l'homme de son sein, si la Providence ne lui avait donné, en échange, ce fleuve aux miracles annuels, qui, avec la divine régularité qu'on admire dans le cours des astres, s'enfle et déborde en mai, juin et juillet dans ces régions équinoxiales où il cache sa source. Pendant trois mois, il couvre les campagnes, les pénètre de sa fraîcheur fécondante, et les recouvre d'un épais limon, gras et léger, qui est l'abondance, la prospérité, la vie. (...)
Là où le fleuve baigne une terre tant soit peu cultivée, là où un jardin reçoit quelques soins, ce sont des merveilles de végétation luxuriante dont on ne peut se faire une idée quand on ne les a pas vues. Ce sont des palmiers élégants, avec leurs panaches de dattes, des bananiers aux larges feuilles, des roseaux géants, des tamarix aux feuilles finement découpées, des colocazias, d'énormes touffes chevelues de riz et de cannes à sucre. (...)
Grâce au limon bienfaisant déposé par le fleuve, le sable se féconde pour ainsi dire à vue d'œil. On peut, en certains endroits, à la limite de crue, poser un pied sur un sol fertile, tandis que l'autre foule un sable aride et stérile."


extrait de Nil et Danube, souvenirs d'un touriste. Égypte, Turquie, Crimée, Provinces-Danubiennes, 1855, par M. J.-D. de Bois-Robert (aucune information disponible sur ce voyageur-auteur)

"La gloire des constructions les plus renommées s'efface devant les prodiges de l'architecture égyptienne" (Sonnini de Manoncourt)

Louxor, par Zangaki, circa 1880

"Nous partîmes de Kous le 17 juillet, accompagnés de quatre Arabes. Nous suivîmes le Nil, à cheval, du côté de l'Orient. Nous nous arrêtâmes au milieu du jour, dans un village, dont le nom, Nouzariè, indique qu'il est peuplé de Coptes ou de chrétiens d'Égypte. Nous arrivâmes bientôt à Karnak, misérable village dont les chaumières serviraient à rechausser l'éclat des superbes ruines qui les entourent, s'il y avait dans le monde rien de comparable aux restes de Thèbes, ville célèbre de l'antiquité qui fut chantée par Homère. 
Une lieue plus loin est Luxor, autre village, bâti à l'extrémité méridionale de l'emplacement que cette ville fameuse occupait de ce côté du fleuve. Il aurait fallu plus de temps que je n'en ai eu et plus de sûreté qu'il n'en régnait sur ce sol couvert de ruines et de brigandages, pour examiner en détail des débris que l'immortalité a arrachés aux chocs des siècles et aux fureurs de la barbarie. Il ne serait pas moins difficile de peindre les sensations que produisirent en moi la vue d'objets aussi grands aussi majestueux. Ce n'était pas une simple admiration, mais une extase qui suspendait l'usage de toutes mes facultés. Je demeurai longtemps immobile de ravissement, et je me sentis plus d'une fois prêt à me prosterner, en signe de respect, devant des monuments dont l'élévation paraissait au-dessus du génie et des forces de l'homme. 
Des obélisques, des statues colossales, d'autres gigantesques, des avenues formées par des sphinx, et que l'on suit encore quoique la plupart des statues soient mutilées ou cachées sous les sables ; des portiques d'une élévation prodigieuse, parmi lesquels il en existe un de cent soixante-dix pieds de hauteur, sur deux cents de large ; des colonnades immenses, dont les colonnes ont plus de vingt pieds, et quelques-unes jusqu'à trente-un pieds de circonférence ; des couleurs étonnantes encore par leur éclat ; le granit et le marbre prodigués dans les constructions ; des pierres monstrueuses par leurs dimensions soutenues par des chapiteaux et formant la couverture de ces magnifiques bâtiments ; enfin des milliers de colonnes renversées occupent un terrain d'une vaste étendue. 
Que les édifices si vantés de la Grèce et de Rome viennent s'abaisser devant les temples et les palais de la Thèbes d'Égypte. Ses ruines orgueilleuses sont encore plus imposantes que leurs ornements fastueux, et ses débris gigantesques sont plus augustes que leur parfaite conservation. La gloire des constructions les plus renommées s'efface devant les prodiges de l'architecture égyptienne et, pour les peindre dignement, il faudrait le génie de ceux qui les ont conçus et exécutés, ou la plume éloquente de Bossuet."


extrait de Voyage dans la haute et basse Égypte : fait par ordre de l'ancien gouvernement et contenant des observations de tous genres, par Charles-Nicolas-Sigisbert Sonnini de Manoncourt (1751-1812), naturaliste français, secrétaire de Buffon. Pour assouvir sa passion des voyages, il entra dans la carrière des armes, au service de la marine.

jeudi 31 octobre 2019

Le temple de Denderah, "la mieux conservée et la plus belle" des constructions de la Thébaïde (Sébastien-Louis Saulnier)

temple de Denderah, par Antonio Beato (vers 1825-1905)

"Denderah est un bourg arabe situé sur la rive occidentale du Nil, à cent quarante lieues du Kaire, et seulement à vingt de Thèbes. Les ruines de l'ancienne Tyntiris à laquelle il a évidemment emprunté son nom, n'en sont éloignées que d'une demi-lieue. Tyntiris était autrefois une des plus grandes villes de l'Égypte, et la capitale d'un de ses nomes ou provinces. Hérodote, Diodore, Strabon qui l'avaient visitée, en parlent tous les trois.
Le dernier fait même une mention particulière de la splendeur de ses temples. Celui qu'on désigne aujourd'hui sous le nom du Grand-Temple, était dédié à lsis, selon les auteurs de la Description de l'Égypte, et selon M. de St-Martin, à Nephté.

C'est une des plus vastes constructions de la Thébaïde ; et c'est incontestablement la mieux conservée et la plus belle.
Ce monument, depuis tant de siècles en possession d'exciter l'enthousiasme de ceux qui le visitent, forme un carré long,  construit avec des pierres de grès, tirées vraisemblablement des montagnes voisines. Sa façade a 152 pieds et quelques pouces de longueur. D'énormes colonnes, qui ont 21 pieds de circonférence, décorent son portique : elles sont au nombre de vingt-quatre, comme celles du temple de Latopolis. Les parois de ses murailles au dehors, comme dans l'intérieur, et les contours de ses colonnes sont couverts, dans toute leur hauteur, de scènes allégoriques ou religieuses, sculptées en relief, et d'une multitude innombrable de caractères hiéroglyphiques également sculptés, et destinés, selon toute apparence, à l'explication des scènes alentour desquelles ils sont disposés. 

L'imagination s'épouvante des sommes énormes et du temps qui ont été nécessaires pour achever ce somptueux édifice. Son aspect est si imposant, qu'il émeut jusqu'aux hommes les plus grossiers, et les plus étrangers aux arts. On raconte que, lorsqu'après une longue marche pendant laquelle elle avait été en proie à de cruelles privations, la division du général Desaix arriva le soir à Denderah, tous les soldats qui en faisaient partie, saisis d’un sentiment d'admiration à la vue du grand temple, battirent des mains à trois reprises.
C'est au plafond du portique que l'on trouve le grand zodiaque, ou plutôt ses débris car (...) il est très dégradé. Il paraît même qu'il a beaucoup souffert, depuis que MM. Jollois et Devilliers l'ont vu. Plusieurs parties qui sont représentées dans le dessin qu'ils en ont pris, sont aujourd'hui entièrement détruites. Encore un petit nombre d'années, et le temps aurait peut-être consommé la destruction de cette vieille page des annales de l'univers."


extrait de Notice sur le voyage de M. Lelorrain, en Égypte; et observations sur le Zodiaque circulaire de Denderah, par Sébastien-Louis Saulnier (1790-1835), auditeur au conseil d'État, commissaire général de police à Wesel, puis à Lyon, préfet de Tarn-et-Garonne, de l'Aude et de la Mayenne...
C'est lui qui chargea Claude Lelorrain de ramener le zodiaque de Denderah à Paris, qui fut acheminé d’Égypte en 1821, et ensuite vendu par Saulnier à Louis XVIII, pour la somme de 150 000 francs.

mercredi 30 octobre 2019

"Quelle sagesse il faut pour bien comprendre ce peuple et quel tact pour le diriger ! " (Gabriel Hanotaux, à propos de l'Égypte)

photo d'Hippolyte Arnoux (en activité vers 1860-1890)
"L'Égypte moderne pose, devant nous, des problèmes qui viennent de la nature, de la situation, des hommes, du mouvement de l'histoire, mais aussi de certaines conditions permanentes qui, elles, ne changent pas. Je les sens qui nous accompagnent, en quelque sorte, tandis que nous parcourons ces belles rues, que nous entrons dans les boutiques, que nous nous perdons dans les détours du bazar, que nous écoutons ce qui se dit, que nous lisons ce qui s’écrit. On sent que ce monde qui s’agite, que cette population qui se presse, que ces tranquilles citoyens assis au café et qui se parlent à l'oreille, ont, en eux, quelque chose qui ne s’apprend pas, qui vient de très loin dans les âges et qui se transmet des pères aux enfants dans une intangible hérédité. Quelle sagesse il faut pour bien comprendre ce peuple et quel tact pour le diriger ! 
Et voilà qu’on renforce ou qu’on déplace un de ces éléments mystérieux en rendant l’inondation du Nil de semestrielle, pérenne. Que produira ce changement ? - Jusqu'ici, les poussées alternatives donnaient, à elle-même, un aspect de précarité, de fragilité. Les fortunes se construisaient vite, se délabrant de même. On se confie au fils, dit un de nos interlocuteurs (et c’est encore une légende de l’ancienne Égypte). Mais le fils a manqué souvent à l'espoir qui se reportait sur lui. Le père devient, ainsi, orphelin. La vie trop dense, trop violente, se gave de richesse, et tombe de lassitude. Elle étoufferait de graisse si, à creuser sa tombe, elle ne trouvait le sol maigre qui, lui, ne s’use pas. Et voilà que tout, antiquité et progrès, lassitude et ardeur à vivre pèse, à la fois, sur le présent. Quelle complexité !
Le fond des pensées, naturellement, nous échappe ; ici, plus que nulle part ailleurs, insaisissable, précisément parce qu’un immense passé mal connu s’y attarde. Le sphinx reste l’emblème. Peuple aux démarches souples et insinuantes ! On voit le pli du roseau sans deviner le sens du courant."

extrait de Regards sur l'Égypte et la Palestine, par Gabriel Hanotaux (1853-1944), de l'Académie française, diplomate, historien et homme politique français.

L'Égypte, "berceau des arts et des sciences, qui y fleurissaient déjà, lorsque le reste de la terre était encore enseveli dans les ténèbres de l'ignorance" (Richard Pococke)

Carte de l'Égypte ancienne et moderne dressée sur celle du père Claude Sicard (1677-1726) par le Sr Robert de Vaugondy (1688-1766)
"L'Égypte est de tous les pays du monde le plus célèbre dans l'histoire ancienne, l’un de ceux qui fut le premier peuplé et policé. Personne n'ignore qu'Hérodote en a fait la description. Ce fut en quelque sorte le berceau des arts et des sciences, qui y fleurissaient déjà, lorsque le reste de la terre était encore enseveli dans les ténèbres de l'ignorance. Ce fut là que les Grecs puisèrent les connaissances qui les ont rendus si illustres. Ils y prirent leurs lois, leur religion, une grande partie de leur mythologie, et de leurs coutumes. Elle a fourni des conquérants fameux, qui ont subjugué une partie du monde. De à sont sortis Hercule, et nombre de rois, quiu se sont rendus célèbres par leurs exploits, leurs ouvrages et leurs inventions.
Ses habitants, cherchant à reculer l'époque de leur origine, se disaient sortis du limon du Nil, et se vantaient d'être le premier peuple de la terre.
Ce pays extraordinaire, dont tant d'histoires nous donnent une idée magnifique, et que les Arabes nomment le lieu
par excellence, n’est cependant qu'une vallée étroite, dont le Nil, fleuve aussi renommé, occupe le fond et qui de droite et de gauche n’a, surtout aujourd’hui, que de vastes solitudes.
L’Égypte n’a que peu de largeur, mais sa longueur est considérable : elle s'étend l'espace d'environ 250 lieues, depuis les royaumes de Fungi et de Dongola, dans la Nubie, qui la borne du côté du midi, jusqu'à la Méditerranée qui la baigne au nord. Elle se rétrécit en remontant vers le Caire, et depuis cette ville jusqu'à l'Éthiopie, elle est resserrée entre deux chaînes de montagnes, séparées par une plaine, d'une journée de traverse, excepté vers le Saïdé, où sa largeur est quelquefois d'environ deux ou trois journées."



extrait de Voyages de Pockocke (*), 1772, par Richard Pococke (1704-1765), membre de la Société royale et de celle des Antiquités de Londres, anthropologue, égyptologue et grand voyageur anglais.
Traduction de l'anglais par M. Eydous.
(*) ou Pococke