"Sheik Abadeh On The Nile", par Edward Lear (1812-1888) |
Ô magique attrait de l'inconnu ! Chercher la source du Nil, ce fut la pierre philosophale de la docte antiquité. Ce fut la quadrature du cercle des géographes d'alors, le cachet de folie pour les esprits froids et peu enthousiastes. Quœrere caput Nili, chercher la source du Nil, c'était là une locution vulgaire qui signifiait : Chercher l'impossible, vouloir prendre la lune avec les dents.
Et que de fables sur ce pauvre Nil qui n'en pouvait mais, et qui continuait à rouler ses larges eaux si terribles et si fécondes, sans se préoccuper des billevesées de la science et de l'ignorance. (...)
N'allez pas, au reste, voyageur trop crédule et nourri des descriptions antiques, chercher sur les bords du Nil le mystérieux lotus, la plante qui faisait oublier la patrie absente aux compagnons d'Ulysse : ne demandez pas l'ibis sacré. Tout ce que j'ai pu apercevoir ici, en fait de couleur locale, consistait, pour la faune égyptienne, comme disent ces messieurs les naturalistes, en troupeaux de buffles au large museau, à moitié ensevelis dans la vase, en bandes de coqs de Pharaon et de petits faisans dorés voltigeant au-dessus des sycomores et des bananiers des palais.
Avant les temps de la création de l'homme, à ces époques mystérieuses dont le génie de Cuvier nous a révélé les animaux mystérieux, l'Égypte n'existait pas encore. C'est ce fleuve, à la source inconnue, qui s'échappe du milieu des montagnes inaccessibles de l'Afrique intérieure, qui l'a créée. (...)
Privée du bienfait des pluies, l'Égypte était donc condamnée à une effroyable stérilité : terre maudite, inhabitable, elle eût repoussé l'homme de son sein, si la Providence ne lui avait donné, en échange, ce fleuve aux miracles annuels, qui, avec la divine régularité qu'on admire dans le cours des astres, s'enfle et déborde en mai, juin et juillet dans ces régions équinoxiales où il cache sa source. Pendant trois mois, il couvre les campagnes, les pénètre de sa fraîcheur fécondante, et les recouvre d'un épais limon, gras et léger, qui est l'abondance, la prospérité, la vie. (...)
Là où le fleuve baigne une terre tant soit peu cultivée, là où un jardin reçoit quelques soins, ce sont des merveilles de végétation luxuriante dont on ne peut se faire une idée quand on ne les a pas vues. Ce sont des palmiers élégants, avec leurs panaches de dattes, des bananiers aux larges feuilles, des roseaux géants, des tamarix aux feuilles finement découpées, des colocazias, d'énormes touffes chevelues de riz et de cannes à sucre. (...)
Grâce au limon bienfaisant déposé par le fleuve, le sable se féconde pour ainsi dire à vue d'œil. On peut, en certains endroits, à la limite de crue, poser un pied sur un sol fertile, tandis que l'autre foule un sable aride et stérile."
extrait de Nil et Danube, souvenirs d'un touriste. Égypte, Turquie, Crimée, Provinces-Danubiennes, 1855, par M. J.-D. de Bois-Robert (aucune information disponible sur ce voyageur-auteur)
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