Scribe accroupi - musée du Louvre |
C’est de Champollion qu’est parti le mouvement, c’est par lui que tout a commencé. Le premier signal du réveil remonte bien à notre expédition d’Égypte ; le point de départ des découvertes vient tout entier de Champollion. Par ce trait de génie qui assure à son nom un éternel honneur, ce n’est pas seulement sur l’Égypte qu’il a porté la lumière. La clé des hiéroglyphes une fois retrouvée, l’exemple ainsi donné, ce premier voile déchiré, les esprits en travail, tout devenait possible : il n’y avait plus d’énigme impénétrable. Quant à l’Égypte même, l’événement a dépassé, et de beaucoup, les prévisions de Champollion et les calculs de l’Europe savante applaudissant à ses premiers efforts. On pouvait croire que ces signes bizarres n’exprimeraient, à en juger par le caractère même des monuments dont ils tapissent les parois, que des formules générales, des vérités impersonnelles, des sentences, des lois, de solennels témoignages d’une antique sagesse ; on ne s’attendait pas aux notions les plus particulières, les plus variées, les plus anecdotiques, aux plus précises informations, aux documents les plus officiels. Les monuments de la vallée du Nil ont donc donné bien au-delà de ce qu’on s’en promettait ; ils ont raconté tant de faits, tant de dates, tant de détails, qu’il en résulte un fonds complet d’histoire, et qu’après trente ou quarante ans à peine, encore presque au début de cet immense déchiffrement, on en sait déjà plus sur les temps les plus reculés de cette mystérieuse Égypte, on voit plus clair dans ses primitives annales que dans certains préludes de notre propre histoire d’Occident. (...)
Sans l’irrécusable témoignage des inscriptions hiéroglyphiques, aurait-on jamais soupçonné un tel renversement des lois les plus constantes et les plus universelles ? Cette figure accroupie ; ce sténographe en action, saisissant comme au vol de son pénétrant regard et traduisant du même coup sur ses tablettes les paroles qu’il entend dire, cette ravissante sculpture, un des trésors les plus exquis de notre musée du Louvre est donc l’œuvre d’un art primitif et de deux mille ans peut-être plus ancienne que ces géants de basalte, ces personnages fantastiques, monstrueux, pétrifiés, que vous voyez à quelques pas plus loin ! S’il n’existait qu’un seul exemple d’une telle anomalie, nous ne répondrions pas d’y croire malgré l’autorité des inscriptions ; mais elle est attestée par maint autre monument non moins extraordinaire, et l’année dernière, à Paris, la libéralité du vice-roi d’Égypte a rendu ce service à la science que la vérité de cette anomalie a été démontrée par preuves authentiques à tous les visiteurs de l’exposition universelle. Avoir vu de nos yeux cette statue de bois si vraie, si simple, si naïve, d’une bonhomie si franche, d’une exécution si parfaite, d’un réalisme si heureux, et savoir, à n’en pas douter, que l’auteur de cette œuvre a vu de son vivant hisser les pierres, dresser les gigantesques masses des grandes pyramides, qu’il sculptait il n’y a pas moins de cinq mille ans, sous la Ve ou la VIe dynastie, c’est là un enseignement sans pareil, une leçon que rien au monde ne saurait remplacer.
Ajoutez-y cet héritier de Champollion, cet infatigable chercheur, ce cicerone incomparable, M. Mariette, éclairant de ses savants précis, de ses obligeants commentaires tous ces échantillons du merveilleux musée dont il est le père, qu’il a deviné, cherché, exhumé pièce à pièce sous la croûte épaissie de sables séculaires ; suivez-le, écoutez-le, soit devant ces vitrines où sont rangés tant de précieux bijoux, tant de trésors microscopiques, soit vis-à-vis de ces grandes et majestueuses statues, ou bien encore en face de ces peintures funéraires où les mœurs agricoles, les habitudes, les travaux, les instruments favoris, les plaisirs, les friandises même des riches propriétaires égyptiens sont représentés dans les moindres détails avec une vérité saisissante, et convenez que cette terre d’Égypte, grâce au concours de tant d’heureux prodiges, est devenue la terre promise de l’archéologie, la plus abondante mine qui se puisse exploiter dans le monde savant, et pour l’esprit historique et investigateur la plus séduisante nouveauté, le plus attachant exercice."
extrait de la Revue des Deux Mondes T.75, 1868, par Louis, dit Ludovic Vitet (1802 – 1873), littérateur et homme politique français, inspecteur général des Monuments historiques, de l'Académie française
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