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On ignore si les Pharaons, dans leurs voyages ou leurs guerres hors de l'Égypte et loin du Nil, faisaient apporter avec eux leur approvisionnement d'eau de leur fleuve sacré ; ce qui est certain, c’est la juste renommée dont cette eau n'a pas cessé de jouir depuis les premiers temps historiques jusqu'à nos jours. Les voyageurs anciens et modernes sont unanimes sur ce point ; et tous nos contemporains y ajoutent leur suffrage d'une expression non équivoque. L'analyse chimique a donné les raisons d'un tel phénomène, et a fait reconnaître que l'eau du Nil est d'une grande pureté ; qu'elle paraît très bonne pour la préparation des aliments, et même pour les arts chimiques, où elle peut remplacer l’eau de pluie, dont le pays est privé, et l'eau distillée, difficile à obtenir en grande quantité dans un pays où les combustibles sont rares. Elle est surtout bienfaisante et salutaire pour l'espèce humaine ; elle est peut-être la plus saine de toutes les eaux de la terre ; et sans lui attribuer les vertus surnaturelles dont une longue tradition, à peine éteinte, la dotait sans hésitation, d’unanimes louanges lui sont accordées par ceux, soit étrangers, soit naturels, qui en ont fait usage dans toutes les saisons, et l'on croira sans peine qu’il en existe à Constantinople un approvisionnement pour l'usage du grand-seigneur et celui de sa famille.
Les anciens Égyptiens ne négligèrent pas de chercher le moyen de rendre toujours potable cette eau si nécessaire, et que les effets de l'inondation rendent, pendant trois mois de l'année, trouble, rougeâtre, épaisse, à force d'être chargée de limon, et réellement dégoûtante, toutefois moins au goût qu’à la vue. Ils y parvinrent, et découvrirent que pour clarifier cette eau à toutes les époques de l’année, il suffisait de frotter avec des amandes amères broyées, les bords ou les parois intérieures du vase où l'eau est contenue.
C'est le même procédé que les Égyptiens de nos jours emploient au même effet, et avec un succès constaté par quelques milliers d'années. Rien n'est plus commun dans les représentations des usages antiques de l'Égypte, que d'y voir, dans l’intérieur des habitations, comme au milieu des champs, dans les jardins, aussi bien que dans les lieux de travail, des jarres remplies d'eau, posées sur des trépieds en bois, dans les coins les plus abrités des habitations, à l'ombre d’un arbre dans la campagne ou en plein air, rafraîchies par des serviteurs qui agitent l'air autour avec des éventails. On ne peut douter, au surplus, que les anciens n'aient devancé les modernes dans une précaution si indispensable pour l'approvisionnement d'eau dans les villes situées à quelque distance des bords du Nil, au moyen de quelqu'une de ses branches ou de ses canaux : l'inondation était régularisée en effet de telle sorte que le fleuve, soit par son élévation, soit par des canaux, allait remplir les citernes destinées à cet approvisionnement usuel ; et si l’on se souvient de la forme singulière de la vallée du Nil, sa superficie étant semblable à celle d'un dos d'âne, dont le fleuve occupe le point le plus élevé, on voit dès lors avec quelle facilité, et presque sans travail dans un terrain limoneux, les eaux du Nil pouvaient être conduites dans les lieux habités les plus éloignés des limites où parvient l’inondation, et comment ce fleuve, répandant ses bienfaits sur toute l'Égypte, fécondant son sol, pourvoyant avec largesse à l'une des plus impérieuses nécessités pour la vie des hommes, ce fleuve célèbre mérita les autels et le culte qui lui furent décernés par la reconnaissance d’une nation illustre et puissante."
extrait de L'Univers. Histoire et description de trous les peuples. Égypte ancienne, 1839, par Jacques-Joseph Champollion, dit Champollion-Figeac (1778-1967), philologue, archéologue, professeur de littérature grecque à la faculté des lettres de Grenoble puis doyen de cette faculté, conservateur des manuscrits à la Bibliothèque nationale et professeur de paléographie à l'École des chartes. Frère aîné de Jean-François Champollion.
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