mardi 5 novembre 2019

"Arbre par excellence de l'Orient, le palmier est l'orgueil de l'Égypte" (Élie Reclus)

photo de Félix Bonfils (1831 - 1885)
 "Un nouvel élément entre dans le paysage nilotique avec le palmier doum, qui fait maintenant concurrence au nagl, ou palmier commun. De ces deux espèces, la plus répandue est la plus jolie incontestablement, elle donne les fruits les plus savoureux et les plus abondants. Ce sont deux arbres très différents. Le palmier classique monte droit au ciel d'un seul jet. Chaque année il s'élève d'un verticille, dont les palmes s'élèvent, et retombent en une courbe gracieuse. Le palmier est toujours beau. Il est beau seul, dans sa majesté tranquille. Il est beau en groupe, quand, autour du chef de famille, plusieurs troncs se penchent dans de gracieuses attitudes, et reproduisent la disposition qu'une jeune plante affecte avec son bourgeon central et ses feuilles latérales.
Comme de loin ils sont charmants, quand ils regardent dans le ciel clair, dominant un horizon brumeux, ou de vastes plaines de sable, ou encore quand ils mirent dans les eaux du Nil leurs têtes de papyrus ! Et de près, comme on les admire, au-dessus d'une source, ou de touffes de gazons ! Qu'ils sont beaux au soleil, qu'ils sont beaux, quand la lune resplendit, à travers leur feuillage ! Le palmier est splendide dans son entier développement avec sa forme svelte et élancée, avec son tronc qui chaque année gagne en grosseur et vigueur. Il est plus admirable peut-être, quand, tout jeune encore et dépourvu de tronc, ses palmes jaillissent du sol, hautes, nombreuses, serrées, saines, robustes, fraîches et élégantes, fontaine jaillissante de verdure, qui retombe et se déploie en nappes, lames et gouttes d'émeraude. Un gracieux effet est celui que produit sur la tige, magnifique hampe florale, la juxtaposition des deux dernières pousses annuelles, dont la plus récente s'élève en forme de corolle aérienne, et l'ancienne retombe en calice. De sa naissance à la mort, pendant toute sa durée, le palmier est toujours noble et splendide. On en a fait l'image de la victoire. Je vois plutôt en lui le symbole végétal de la perfection native.
Rien dans le palmier, sacré au soleil, et au divin Horus qui rappelle la lutte. Sa nature simple et grandiose, toujours calme et heureuse, n'a jamais connu ni contradiction ni misère. La conformité est ici absolue entre l'œuvre et l'instinct, entre l'idéal et la réalité. Le palmier me rappelle le doux et puissant génie de Raphaël, qui d'emblée trouva sa voie et atteignit sans effort les sommités de l'art. Arbre par excellence de l'Orient, le palmier est l'orgueil de l'Égypte, et la joie des musulmans. Ils disent que partout où fleurit le palmier fleurit aussi l'islam, et qu'après avoir créé Adam, il resta à Dieu quelques poignées de limon, et qu'avec ce limon, il façonna le palmier frère de l'homme. Aussi le prophète - que son nom soit béni !- a prescrit aux croyants de respecter le palmier à l'égal d'une tante du côté paternel. Et quand un Zendj aperçoit un Arabe, nous raconte Masoudi, le Zendj se prosterne et s'écrie : "Salut à l'homme qui vient du pays des palmiers !"
Le palmier dit doum ou thébain, a voulu mieux faire que l'autre. Il a donné à ses palmes la forme de l'éventail, forme on ne peut plus élégante quand elle est isolée ; mais la réunion de ces éventails, lourde et massive, fait triste figure à côté des feuilles aériennes délicatement pennées du nagl, lequel, par compensation, ne donne qu'une ombre encore moindre, une ombre qui n'empêche de pousser le blé, ni aucune des petites cultures.
Le doum a voulu se rapprocher du type dicotylédonique, il ambitionne un branchage, mais il ne fait autre chose que bifurquer ou trifurquer son tronc ; essai gauche et malheureux qui aboutit à une déplorable maigreur. Rarement les doums embellissent le paysage le plus souvent, on dirait des arbres, comme en font les gamins dans leurs premières ébauches de dessin des balais solitaires, ficelés dans des positions contournées et gênantes.
Je regrette d'avoir à dire du doum des choses si peu agréables - je respecte sa tentative, mais je constate et déplore son insuccès."



extrait de Voyage au Caire et dans la Haute-Égypte, 1865-1875, par Élie Reclus (1827-1904), journaliste, écrivain, ethnologue et militant anarchiste français

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