photo de Félix Bonfils (1831 - 1885) |
Comme de loin ils sont charmants, quand ils regardent dans le ciel clair, dominant un horizon brumeux, ou de vastes plaines de sable, ou encore quand ils mirent dans les eaux du Nil leurs têtes de papyrus ! Et de près, comme on les admire, au-dessus d'une source, ou de touffes de gazons ! Qu'ils sont beaux au soleil, qu'ils sont beaux, quand la lune resplendit, à travers leur feuillage ! Le palmier est splendide dans son entier développement avec sa forme svelte et élancée, avec son tronc qui chaque année gagne en grosseur et vigueur. Il est plus admirable peut-être, quand, tout jeune encore et dépourvu de tronc, ses palmes jaillissent du sol, hautes, nombreuses, serrées, saines, robustes, fraîches et élégantes, fontaine jaillissante de verdure, qui retombe et se déploie en nappes, lames et gouttes d'émeraude. Un gracieux effet est celui que produit sur la tige, magnifique hampe florale, la juxtaposition des deux dernières pousses annuelles, dont la plus récente s'élève en forme de corolle aérienne, et l'ancienne retombe en calice. De sa naissance à la mort, pendant toute sa durée, le palmier est toujours noble et splendide. On en a fait l'image de la victoire. Je vois plutôt en lui le symbole végétal de la perfection native.
Rien dans le palmier, sacré au soleil, et au divin Horus qui rappelle la lutte. Sa nature simple et grandiose, toujours calme et heureuse, n'a jamais connu ni contradiction ni misère. La conformité est ici absolue entre l'œuvre et l'instinct, entre l'idéal et la réalité. Le palmier me rappelle le doux et puissant génie de Raphaël, qui d'emblée trouva sa voie et atteignit sans effort les sommités de l'art. Arbre par excellence de l'Orient, le palmier est l'orgueil de l'Égypte, et la joie des musulmans. Ils disent que partout où fleurit le palmier fleurit aussi l'islam, et qu'après avoir créé Adam, il resta à Dieu quelques poignées de limon, et qu'avec ce limon, il façonna le palmier frère de l'homme. Aussi le prophète - que son nom soit béni !- a prescrit aux croyants de respecter le palmier à l'égal d'une tante du côté paternel. Et quand un Zendj aperçoit un Arabe, nous raconte Masoudi, le Zendj se prosterne et s'écrie : "Salut à l'homme qui vient du pays des palmiers !"
Le palmier dit doum ou thébain, a voulu mieux faire que l'autre. Il a donné à ses palmes la forme de l'éventail, forme on ne peut plus élégante quand elle est isolée ; mais la réunion de ces éventails, lourde et massive, fait triste figure à côté des feuilles aériennes délicatement pennées du nagl, lequel, par compensation, ne donne qu'une ombre encore moindre, une ombre qui n'empêche de pousser le blé, ni aucune des petites cultures.
Le doum a voulu se rapprocher du type dicotylédonique, il ambitionne un branchage, mais il ne fait autre chose que bifurquer ou trifurquer son tronc ; essai gauche et malheureux qui aboutit à une déplorable maigreur. Rarement les doums embellissent le paysage le plus souvent, on dirait des arbres, comme en font les gamins dans leurs premières ébauches de dessin des balais solitaires, ficelés dans des positions contournées et gênantes.
Je regrette d'avoir à dire du doum des choses si peu agréables - je respecte sa tentative, mais je constate et déplore son insuccès."
extrait de Voyage au Caire et dans la Haute-Égypte, 1865-1875, par Élie Reclus (1827-1904), journaliste, écrivain, ethnologue et militant anarchiste français
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