paysage égyptien, par Friedrich Wilhelm Kuhnert (1865 - 1926) |
Regardez la terre d’Égypte ; voyez "l’onde grasse" du Nil qui s’épanche à travers les sols limoneux sillonnés de canaux et de drains. Contemplez cette population laborieuse, penchée sous un soleil ardent et dont la densité vous étonne, vous comprendrez alors pourquoi l’Égypte fut le premier asile que les hommes se sont plu à habiter. Vous vous expliquerez les raisons pour lesquelles les grands conquérants se sont disputé ses rives. Vous ne vous étonnerez plus que le cortège des Pharaons, des Ptolémées, des Césars, des Mamelouks, des Napoléons, se soit succédé à travers les siècles sous les murs de Memphis, de Thèbes, d’Alexandrie ou du Caire. Aujourd’hui, l'axe de la politique britannique repose encore sur la possession de l’Égypte, et il semble enfin que, lorsque les capitaines illustres et les hommes d’État ont besoin de se tailler un piédestal digne de leur renommée, ce soit encore au pied du Sphinx qu’ils aillent le chercher.
On serait tenté de croire que l’Égypte est un pays de végétation luxuriante. L’imagination, hantée par la légende de Cléopâtre et de Marc-Antoine, se représente leurs amours dans un cadre égayé par des jardins et des îles parfumées à travers lesquelles les bras du fleuve s’écoulent majestueusement. Nulle image ne saurait être plus fausse. L’Égypte est une plaine d’alluvions dénudée, plate et monotone, enserrée entre les sables du désert. La boue gluante du Nil lui donne une sorte d’aspect marécageux. Peu ou point de fleurs : comme les moindres surfaces arrosées sont soumises aux cultures, on n’y voit pas de ces coins verdoyants et diaprés qui font le charme de nos provinces.
Les arbres meurent sous les souffles brûlants du kamsin. La campagne d’Égypte n’en a pas moins une attirance à laquelle on ne résiste guère. Ce sont, d’abord, les vestiges d’un passé prestigieux que l’on heurte à chaque instant sous ses pas ; puis, cette admirable lumière que l’on ne rencontre nulle part aussi pure, et qui prête aux sables du désert des tonalités merveilleuses. Dans la limpidité de l’atmosphère, les lignes se précisent avec une netteté hiératique, les horizons se prolongent indéfiniment et les moindres profils se découpent dans le ciel bleu avec harmonie. Les voiles pointues des dahabiehs dont les longues antennes surgissent au milieu des palmiers semblent d’immenses lotus blancs descendant au fil de l’eau."
extrait de "Le Trésor des Pharaons", in Revue des Deux Mondes, 6e période, tome 56, 1920, par Pierre François René Julien-Labruyère, dit René La Bruyère (1875-1951), romancier, historien de marine et voyageur français
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