par Léon Belly (1827-1877) |
Mais, pour se rendre dans la Haute-Égypte, il faut choisir entre deux procédés qui ont chacun leurs inconvénients : le plus simple est de s'embarquer sur de grands bateaux à vapeur qui partent toutes les semaines du Caire et qui font en vingt et un jours le voyage de la première cataracte, aller et retour. J'avoue qu'il ne m'a pas tenté un instant. Être empilé sur un bateau avec une centaine d'Anglais et d'Anglaises, descendre tous ensemble aux mêmes stations, admirer pendant un nombre de minutes déterminé les mêmes monuments, se sentir toujours serré, pressé par la foule, n'avoir jamais la liberté de ses mouvements et de ses impressions, quoi de plus odieux dans un pays qui semble fait pour la contemplation solitaire, pour les méditations tranquilles et prolongées.
Le second procédé est charmant en lui-même : il consiste à fréter une dahabieh, sorte de barque d'une forme élégante, peinte des plus vives couleurs, ornée d'une de ces grandes voiles qui donnent aux canges des pêcheurs l'aspect d'oiseaux de mer voguant sur l'eau. On fait un marché avec un drogman qui se charge de vous nourrir, de vous conduire, de vous fournir des ânes partout où vous tenez à vous arrêter, de vous montrer en détail et suivant vos convenances toutes les curiosités de la route. Une dizaine de bateliers arabes, au teint cuivré, psalmodiant toujours leurs mélancoliques refrains, forment l'équipage de la dahabieh. Cette manière de remonter le Nil est délicieuse ; c'est la seule qui puisse convenir à une imagination tant soit peu poétique ; mais, comme on ne va qu'à la voile, à la corde ou à la perche, le voyage est long : il dure un mois et demi, parfois deux mois. Or, on passe avec bonheur deux mois sur le Nil, mais à la double condition de n'être pas tout à fait seul et d'avoir des compagnons de route avec lesquels on soit en parfaite conformité d'humeur, d'idées et de sentiments. Rien de plus dangereux que de s'embarquer avec des personnes dont on n'est pas absolument sûr. Dans cette immense solitude de l'Égypte, la vie monotone de la dahabieh met immédiatement aux prises les caractères opposés.
Que d'imprudents j'ai vus partir, amis intimes en apparence, qui sont revenus presque ennemis mortels. Je n'ai point osé m'exposer à une aventure de ce genre, et, ne trouvant pas le moyen de remplir complétement les deux conditions d'un agréable voyage dans la Haute-Égypte, je me suis contenté d'aller jusqu'à Syout."
extrait de Cinq mois au Caire et dans la Basse Égypte, 1880, par Gabriel Charmes (1850-1886), journaliste et explorateur français
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