gravure datée de 1869, extraite de The Graphic, un journal hebdomadaire illustré britannique |
Chaque coin de rue est un tableau qui laisse bien loin ceux que j'admirais tant à Alexandrie. Les maisons sont hautes, et souvent les étages supérieurs, projetés en avant, se touchent presque au-dessus de nos têtes. Ce grand quartier marchand, - fourmillant d'allées étroites, de couloirs sombres, - est traversé par le Mousky, où nous passions tantôt, puis transversalement par une large rue tortueuse qui serpente d'une porte de la ville à l'autre. Dans cette rue se succèdent des boutiques, d'admirables mosquées, de vieux palais en ruines, des fontaines, des échoppes, puis un minaret et de longs murs qui tombent.
Aujourd'hui nous parcourons rapidement les différents bazars. Ici, ce sont les étalages de cuivre, casseroles, cafetières, reluisant au soleil, rouges, jaunes, éclatantes, constamment fourbies par de majestueux vieillards aux robes flottantes. Un peu plus loin, le bazar des pantoufles où, de chaque côté, - plus jaunes et plus rouges encore, - les maroquins étincelants piquent de taches ardentes le sombre passage.
Tournant le coin où des brodeurs, courbés sur une pièce de vêtement, tirent rapidement l'aiguille à travers la soutache d'or, nous sommes dans la cour légendaire d'AbdulIah, le marchand de tapis.
Je reconnais, pour l'avoir vu vingt fois reproduit, ce merveilleux coin de couleur, si cher aux peintres qui sont venus au Caire. Que dis-je, reproduit ? Aucun pinceau peut-il rendre cette cour à demi couverte de nattes, de pièces d'étoffes accrochées sur des poutres démantelées, laissant filtrer un rayon poudreux, - mais qui darde tout juste sur les tapis que nous montre le vieux patron ? Tout autour, des piles, des montagnes de ces tapis de tous pays : - les fins veloutés de Perse, les rayés de Tunis ou du Kourdistan, les petits carrés de prière de Smyrne ou de Bokhara. Puis des ballots de bissacs de chameaux, se déroulant en taches d'un rouge flamboyant, d'un bleu amorti ; - et cette lumière chaude, riche, frappant d'en haut, ici tamisée par un treillage, plus loin ardente, vive, va éclairer violemment une longue bande bigarrée, déployée par un nègre au turban blanc et un Arabe en robe vert pistache.
Le vieil Abdullah, grave et d'apparence austère, mais l’œil allumé par la visite de nouvelles pratiques, nous fait fuir avec ses prix exorbitants.
Nous continuons dans la ruelle couverte, entre les échoppes des marchands de Constantinople. Ici, les gilets de velours brodés alternent avec les coussins et les brimborions de clinquant, d'un goût douteux.
Passons vite et arrivons au bazar persan, galerie plus spacieuse que les autres. - Le vieux Mirza, dont le magasin est le mieux orné, nous arrête au passage. Notre aimable guide nous présente, et il me semble faire la connaissance de quelque grand vizir. Il nous fait asseoir, nous offre du thé persan, exquis, fort sucré et parfumé, dans des tasses de cristal. Lui-même est un beau spécimen de sa race. - Dans ce riche cadre de tentures, d'armes aux formes bizarres, de porcelaines, de pierreries étincelantes, d'objets d'or et d'argent, vêtu d'une robe de soie vert tendre, les cheveux et la barbe teints de henné d'un bel acajou, les yeux peints d'antimoine, il est encore splendide et ne paraît pas son âge.
Je succombe à sa séduction et lui achète des turquoises. Il me jure sur son père, sur sa barbe, sur beaucoup d'autres choses encore, qu'elles ne changeront pas de couleur, et je les prends pour consulter de plus experts que moi - et de plus sincères que lui."
extrait de Un hiver au Caire : journal de voyage en Égypte, par Blanche Lee Childe (-)
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