Photoglob, vers 1900 |
C’est à Denderah que l’on voit le premier temple égyptien, quand on monte du Caire. Il est d’une si imposante grandeur, qu’à sa vue les soldats français présentèrent les armes, par un mouvement spontané d’admiration. Mais rien n’égale dans le monde entier la majesté des ruines de Thèbes. Cette résidence des plus illustres Pharaons occupait une plaine circulaire que des rochers brûlants enferment de tous côtés. On voit maintenant, sur les deux rives du Nil, au lieu de l’immense cité, quelques pauvres villages, quelques champs, des sables, des bosquets d’acacias et de palmiers, et tout un peuple de colosses debout encore ou couchés à terre, des obélisques, des portes gigantesques, des pans de murs, des colonnades, des allées de sphinx, des temples et des palais, témoins silencieux des magnificences passées. Ce spectacle, qui dit si éloquemment combien puissante et vaine est l’œuvre de l’homme, produit l’impression la plus solennelle. Tous les voyageurs, quelque différents qu’ils soient du reste, sont unanimes dans leur admiration, et les plus froids ont trouvé quelque enthousiasme en parlant de ces ruines augustes.
Le style simple et grave de l’architecture égyptienne, l’air de mystère qui la distingue, augmentent encore l’étonnement. Les temples et les palais offrent la même disposition générale. Leur porte extérieure est flanquée de deux énormes massifs de pierre, qui s’élèvent comme des tours carrées. On a donné le nom de pylône à cette construction qui ne se trouve qu’en Égypte. Les pylônes, comme le reste de l’édifice, ont leurs murs en talus, et se terminent en terrasse. Au dehors ni colonnade, ni fenêtres. On dirait une masse compacte taillée comme d’un seul bloc de rocher, sans lourdeur néanmoins, d’un dessin régulier, d’un goût correct et d’une imposante sévérité. Après le pylône, on trouve une cour péristyle, puis un portique et une suite de salles obscures. Leurs plafonds de pierres sont soutenus par de puissantes colonnes, dont les chapiteaux, singulièrement variés, présentent les formes les plus diverses et quelquefois les plus élégantes. Ils s’épanouissent en fleurs de lotus, ils imitent les feuilles et les gracieux rameaux du palmier, ils sont sculptés en têtes d’Isis ou d’Athor, riches et ingénieuses compositions que l’on voit souvent, dans une même salle, se mêler en un heureux désordre. Des bas-reliefs relevés, dans le creux et peints de couleurs qui ont encore tout leur éclat, couvrent la surface des murs, les fûts des colonnes et les plafonds. Cette décoration a choqué d’abord notre goût, mais on s’accoutume bientôt à ces sculptures rangées sur des lignes parallèles, et de peu de relief. Il ne faut pas oublier d’ailleurs qu’elles avaient un langage pour les Égyptiens ; ils en comprenaient le sens ; partout où ils arrêtaient leurs regards, ils voyaient représentées l’histoire des dieux et celle de leurs princes les plus illustres, et la pierre prenait ainsi comme une voix pour leur rappeler ce qu’ils avaient de plus sacré ou de plus glorieux."
extrait de "Des Études égyptiennes en France", Revue des Deux Mondes, période initiale, tome 31, 1842, par
Adolphe Lèbre (1814-1844), philosophe protestant, défenseur d'une métaphysique fortement imprégnée de christianisme
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