samedi 9 novembre 2019

"L'Égypte, plus qu'aucun pays, mérite d'être connue" (Jehan d'Ivray)



"Le temps n'est plus où, sur la foi du vieil Homère, Hérodote s'écriait au IIe livre de son histoire : "Aller en Égypte ; voyage long et difficile !"...
De nos jours, rien ne s'oppose à ce que la traversée, jadis périlleuse et interminable, ne s'accomplisse avec la rapidité et le confort souhaités par les plus exigeants de nos modernes touristes.

Sans la guerre, dont les effets se manifestent encore dans toutes les branches, on pourrait, à l'heure présente, se rendre de Marseille à Alexandrie en moins de trois jours.
Malgré les retards apportés aux améliorations projetées, il n'en demeure pas moins que ce "voyage long et difficile" ne constitue plus qu'une promenade.
Bientôt, on ira plus vite, et plus volontiers, visiter les Pyramides, que l'on ne se rend aux Pyrénées ou au Mont-Blanc.
Alors, insensiblement, se déchirera le voile mystérieux derrière lequel s'abrite la vieille terre pharaonique ; le passé de ce pays merveilleux n'aura plus rien qui nous étonne et nous attire. Déjà, l'Égypte des Ptolémées et celle des Khalifes, si proche de nous, semblent faire partie de notre histoire. Il en reste bien peu de choses... Pourtant les Latins que nous sommes ne peuvent, sans émotion, contempler ces lieux où se déroulèrent les plus belles, les plus ardentes phases de la vie d'Antoine et de celle de César. Les Français ne sauraient non plus fouler avec indifférence le sol brûlant où coula le sang des soldats de Bonaparte.
Ils ne pourront regarder, les yeux secs, la demeure branlante mais encore debout où vécurent les savants amenés par le général en chef et qui, les premiers, étudièrent sur place et répandirent dans le monde cette science connue depuis sous le nom d'Égyptologie.
Pour cela, il est bon de se hâter et de regarder l'antique patrie de Menès et d'Amenophis avant qu'elle ait perdu tout à fait ce cachet spécial qui, si longtemps, fit d'elle la nation privilégiée dont chacun parle et que tous ignorent ; terre de beauté dont le plus infime grain de poussière portait une gloire, terre de grandeur où naquit, dans un âge que notre imagination rapproche du rêve, la première civilisation africaine.
L'Égypte, plus qu'aucun pays, mérite d'être connue. Les événements extraordinaires de ses trois époques, si parfaitement distinctes : époque pharaonique, époque gréco-romaine, époque des Khalifes, la parent d'un nimbe unique. Au milieu des difficultés sans nombre qui lui furent créées par les différents usurpateurs, le malheureux indigène s'est constamment débattu sans faiblesse. Il a su garder non seulement ses coutumes ancestrales et sa proverbiale sérénité, mais le type même de sa race s'est conservé parmi ceux que les races étrangères n'ont point approchés. Il suffit de parcourir les villages du Delta ou de la Haute-Égypte pour se rendre compte que tels vous accueillent les paisibles habitants de l'Isbeh perdue dans la vaste plaine, tels les contemporains de Ramsès durent aussi venir sur le pas des portes recevoir l'hôte envoyé par Amon ou par Osiris."


extrait de L'Égypte éternelle, de Jehan d'Ivray (1861-1940), nom de plume de Jeanne Puech, écrivaine française,
épouse de l'Égyptien Selim Fahmy Bey

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