illustration extraite de Wikidia |
C'est pour avoir méconnu cette vérité que Champollion commit tant d'erreurs et alla jusqu'à attribuer aux hiéroglyphes des lectures fantaisistes afin d'y retrouver avec les Grecs les transcriptions des noms du panthéon olympien ; qu'il appela la déesse Ma Thmé, pour en faire Thémis, la justice ; qu'il appela Sébek Souk, pour en faire Succhus, Saturne ; qu'il appela Nékheb Bouto, pour en faire Létô, Latone, etc.; car on n'en finirait pas si l’on voulait relever tout ce que l'enthousiasme pour le gréco-romain fit faire vers le commencement de notre siècle. Non contente de défigurer les hiéroglyphes, la Commission d'Égypte voyait du gréco-romain partout et y ramenait sans façon l'architecture et la sculpture égyptiennes. Des colonnes, elle supprimait le rétrécissement si gracieux qui en étrangle la base ; des ornements, elle atténuait les détails pour, de-ci de-là, y retrouver une silhouette qui rappelait la Grande Grèce, Rome ou simplement le byzantin : et sa joie n'avait plus de bornes, si l'influence de la décadence romaine, mettant son empreinte sur quelque construction des derniers empereurs, lui donnait un spécimen de costume césarien ou d'ornement rappelant ce qu'on est convenu de nommer l'antique, quelque lourd ou quelque mauvais qu'il fût. Telle planche de Champollion le Jeune n'est souvent qu'une symphonie de hachures héroïques, où des personnages fort maltraités ont des musculatures invraisemblables et hors de toute proportion.
Aussi, tout bien pesé, le mieux serait de ne s'en rapporter qu'aux plus récents travaux, et là, un tri est encore à faire. Nombre d'œuvres de vulgarisation ont paru depuis quelque temps. Elles font partie souvent d'encyclopédies artistiques, fort bien faites, très... poncives et très illustrées, mais dont le défaut capital est d'être écrites par des auteurs qui ignorent le premier mot du sujet qu'ils traitent et qui s'en remettent à ce que d'autres ont dit avant eux.
La même méfiance est applicable aux livres de voyage. Est-ce à dire qu'il faille n'avoir lu ni Gérard de Nerval, ni About, ni Mme de Gasparin, ni Charles Blanc ? La vérité est que presque toujours le résultat de ces lectures est de donner à l'avance une idée absolument fausse de l'Orient. Il faudra ensuite un violent effort pour mettre les choses en leur place, on entreverra tout à travers une impression qu'on se sera forgée et l'on cherchera partout à la retrouver.
Chacun a demandé à l'Égypte des arguments en faveur d'une thèse préconçue. Gérard de Nerval cherchait un Orient fantastique et s'est plu à le compliquer à son gré. About voulait voir la condition du fellah misérable, et les prétextes ne lui ont point manqué. Charles Blanc, en digne continuateur de la Commission d'Égypte, demandait aux monuments d'être les ancêtres de l'art grec : c'était peut-être plus difficile que de trouver l'aspect du fellah misérable, mais avec l'extraordinaire dose de bonne volonté qui l'a toujours si bien servi, l'éminent critique y est sans peine arrivé.
Certes, loin de moi est la pensée qu'il faudrait n'avoir rien lu avant de se mettre en route. Mais, qu'on se pénètre de cette vérité : les livres de voyage sont presque toujours des œuvres de parti pris. En tous les cas, leurs auteurs n'ont fait que deviner une civilisation qui leur est restée étrangère ; certains côtés, certains détails les ont frappés ; ils les ont interprétés à leur manière ; le reste est demeuré lettre morte pour eux."
extrait de Itinéraire illustré de la Haute Égypte, par Albert Gayet (1856 - 1916), égyptologue français, directeur des fouilles d'Antinoé de 1895 à 1911.
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