mercredi 5 mai 2021

La "statue monstrueuse" du Sphinx, selon Corneille Le Bruyn (XVIIe - XVIIIe s.)

illustration de Corneille Le Bruyn

"À quelque distance de la plus grande Pyramide du côté d'Orient, on voit le Sphinx si fameux chez les Anciens. C'est une statue qui est taillée dans le roc même, qui représente une tête de femme avec la moitié de la poitrine ; mais à présent elle est enfoncée dans le sable jusqu'au col. À main droite on voit le sable plus élevé qu'ailleurs, et cela jusqu'à une assez grande étendue ; de sorte qu'on peut croire avec raison que sous cette hauteur est caché le reste du corps qui avait la ressemblance d'un lion, et que la face en est tournée du côté droit. 
C'est une masse extraordinairement grosse, mais où les proportions ont pourtant été observées, encore que la tête seule ait vingt-six pieds de haut, et depuis l'oreille jusqu'au menton il y en a quinze, selon la mesure qu'en a prise le sieur Thévenot. De loin il paraît être de cinq pierres jointes ensemble ; mais quand on est auprès, on voit que ce qu'on avait pris pour les jointures des pierres ne sont proprement que des veines qui sont dans le roc. 
Pline dit que ce colosse a servi de tombeau au roi Amasis, et la chose n'est pas incroyable, puisqu'il est dans un endroit qui n'était autrefois, comme nous l'avons dit, qu’une espèce de cimetière, et auprès des pyramides et des grottes qui servaient au même usage ; mais de savoir si ç'a été précisément celui du roi Amasis, c'est ce que je n'oserais assurer, parce qu'il n'y en a point de preuves certaines, tous les mémoires de cette Antiquité ayant été perdus. 
D'autres veulent qu'un roi d'Égypte ait fait faire ce Sphinx à la mémoire d'une certaine Rhodope de Corinthe dont il était passionnément amoureux. Les auteurs font bien des contes de cette statue du Sphinx. Ils disent, entr’autres choses, que lorsqu'on allait la consulter au lever du Soleil, elle rendait des oracles, ce qui doit sans doute être l'effet de l'imposture des prêtres, qui avaient pratiqué auprès quelques conduits souterrains. Quelques-uns croient que le puits, qui est dans la grande Pyramide, pourrait avoir servi à cela. Quoiqu'on n'y trouve plus aujourd'hui aucune route, parce qu'elle a peut-être été bouchée par l'éboulement des terres. Ainsi on n'oserait rien assurer ici sur cet article. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il n'y a aucune ouverture, ni à la bouche, ni au nez, ni aux yeux, ni aux oreilles ; et si les prêtres ont mis ici quelque fourbe en usage, il faut que soit été par le moyen d'un trou, qui, à ce que disent ceux qui y sont montés avec des échelles, est au haut de la tête, et qui va jusques dans la poitrine où il finit. 
Le Consul, avec la plupart de notre compagnie, étaient à l'ombre de cette grosse masse, pendant que je m'occupais à la dessiner avec les pyramides qui sont auprès. On peut aisément, à l'inspection de la figure, juger de la grandeur de cette statue monstrueuse, par la proportion qui a été observée entre elle et les personnages qu'on y voit représentés auprès. 
Pour ce qui est des particularités des Sphinx en général, je me contenterai de rapporter ce que le Dr O. Dapper en a écrit, et qu'il a lui-même emprunté des autres. Lorsque les Égyptiens, dit-il, traitaient des choses naturelles, ils représentaient les Sphinx de deux manières ; savoir, ou sous figure d'un lion couché sur un buffet, ou sous la forme d'un certain monstre, qui avait le corps d'un lion et le visage d'une fille. Par la première figure ils représentaient Momphta, qui était une des divinités des Égyptiens qui présidait sur toutes les eaux, et particulièrement qui conservait et entretenait les causes du débordement du Nil ; et par la seconde ils représentaient l'accroissement même de ce fleuve. Et ils représentaient ainsi cette figure, non pas qu'ils crussent qu'il se trouvât quelque part de tels animaux, mais pour donner à connaître par là les pensées et conceptions secrètes de l'esprit. Ainsi les Sphinx, représentés de cette manière, signifiaient l'état du Nil qui inonde l’Égypte : car comme le débordement de cette rivière dure tout l'été, et tout le temps de la moisson, c'est-à-dire pendant les mois de Juillet et d'Août, et que pendant ces deux mois le Soleil parcourt ordinairement les deux Signes du Lion et de la Vierge, il fut assez naturel aux Égyptiens, qui avaient un grand penchant pour les hiéroglyphes et les représentations mystérieuses, de faire d'une Vierge et d'un Lion des monstres qu'ils appelèrent Sphinx, et qui étaient consacrés au Nil ; et s'ils les représentaient couchés sur le ventre, c'était pour exprimer le Nil qui se déborde.
S'il en faut croire Pline, il y avait un grand nombre de ces Sphinx, et entr'eux il y en avait quelques-uns qui étaient de fort grandes statues, placées dans les endroits les plus remarquables d'Égypte, surtout dans les lieux où le Nil se déborde, comme dans les villes d'Heliopolis et de Saïs, et dans le désert de Memphis ou du Caire, où est celle dont nous parlons, qui semble avoir été la plus grande de toutes, et qu'on voit encore aujourd'hui, au moins la partie d'en haut."

extrait de Voyage au Levant, c'est-à-dire dans l'Asie Mineure, Chio, Rhodes, Chypre, Égypte, Syrie, et Terre Sainte, par l'artiste et voyageur hollandais Corneille Le Bruyn (ou Cornelis de Bruijn) (1652-1726 ou 1725).

dimanche 2 mai 2021

Les mosquées du Caire, par Claude-Louis Fourmont (XVIIIe s.)

illustration extraite de Voyage dans le Levant, 1819, par Louis Nicolas Philippe Auguste de Forbin

"Ce que cette ville (*) offre de plus curieux et de plus digne d'attention , sont les mosquées, on en compte 720 à minarets, et 430 qui n'en ont point ; les mosquées les plus remarquables en ont ordinairement quatre, quelquefois cinq ou six, quelques-unes n'en ont que deux. La distribution de ces bâtiments est presque partout la même, il n'y a de différence que dans l'étendue. En entrant par la principale porte on trouve d'abord un grand carré, ordinairement plus long que large, et toujours à ciel découvert. Autour de ce carré bien pavé, qui forme une espèce de cour, règne une galerie couverte soutenue par des colonnes. C'est sous cette galerie qu'on va ordinairement faire la prière, afin d'être à l'ombre ; il y a cependant des dévots, qui par un excès de zèle, font leurs oraisons en plein midi au milieu de la mosquée, c'est-à-dire, sous un soleil insupportable. On trouve quelquefois au bout de la grande cour un autre carré couvert d'un dôme : mais cela est rare, et l'on n'entre pas aisément dans ce lieu parce que c'est presque toujours la sépulture du fondateur, où dans ce cas il n'est pas permis au peuple d'aller prier.
À côté, et hors de la cour qui forme le milieu de la mosquée, on a pratiqué des lieux particuliers avec des bassins pleins d'eau pour la commodité des ablutions si étroitement ordonnées par l'Alcoran ; car on sait que la loi des Mahométans leur défend de faire leurs prières avant que de s'être lavé les mains et les bras jusqu'au-dessus du coude, les oreilles et les pieds, et au défaut d'eau ils sont obligés de se purifier avec du sable.
Ce que les mosquées ont de plus curieux, sont les dômes et les minarets dont ils sont accompagnés. On ne peut assez admirer la beauté de ces dômes, leur grâce, leur proportion, leur hardiesse, et surtout la grandeur étonnante de quelques-uns. Sur la plupart on voit en relief de grandes inscriptions arabes qui règnent sur la circonférence extérieure, et qu'on peut facilement lire d'en bas, aussi bien que celles du dedans qui sont 
ou simplement peintes, ou faites en caractères de bois doré. C'est ordinairement aux coins des mosquées que les dômes sont construits, et qu'ils forment des espèces de chapelles d'un exhaussement qui étonne.
Les minarets sont des espèces de tourelles ou petits clochers fort hauts, ordinairement travaillés à jour, dont les dômes sont presque toujours accompagnés, et dont les dehors ont deux ou trois galeries avec des balustrades l'une au-dessus de l'autre. Il y a des hommes qu'on nomme muezzins, qui du haut de ces tours avertissent régulièrement cinq fois par jour le peuple de venir aux mosquées faire la prière, ou de s'en acquitter dans leurs maisons. Ils tournent autour de ces galeries, dont l'entrée est ordinairement placée vers la Mecque, et crient d'une voix tonnante qu'on ait à se rendre à la mosquée. Dans les jours solennels il monte autant de crieurs qu'il y a de minarets, qui font en même temps l’invitation à la prière. Comme on compte près de 1200 mosquées au Caire dont plus de 700 ont au moins deux et jusqu'à cinq ou six minarets, il est aisé d'imaginer le bruit que tant de voix aiguës et les plus fortes que l'on puisse trouver, doivent produire, surtout une heure avant la pointe du jour, où tout est ordinairement enseveli dans le sommeil et le silence, et où la prière qui devance l'aurore, s'annonce en ces termes : Vrais croyants, qui pensez au salut, la prière est préférable au sommeil.
Il y a de ces minarets très curieux au Caire, et lorsqu'ils sont tous illuminés pendant les nuits de la lune du Ramadan, on peut dire qu'ils produisent un spectacle aussi singulier qu'agréable."

(*) le Caire

extrait de Description historique et géographique des plaines d'Héliopolis et de Memphis enrichie de figures en taille douce, par Claude-Louis Fourmont (
1703 - 1780), archéologue et dessinateur français, ayant effectué un séjour de quatre années en Égypte.

jeudi 29 avril 2021

La description du Caire, par le chirurgien et naturaliste Claude Granger (XVIIIe s.)

illustration de David Roberts (1796-1864)

"Cette ville capitale de l'Égypte a sept milles de circuit, sans y comprendre Boulac, ni le vieux Caire. Sa longitude est quarante-neuf degrés, et sa latitude vingt-neuf et cinquante minutes ; elle est sur la rive droite du Nil. Le nombre de ses habitants est plus grand que celui de Paris, quoique celui des maisons ne soit pas si grand. On compte sept cent vingt mosquées avec minarets et prédicateurs, quatre cent trente qui n'ont ni l'un ni l'autre, et soixante-dix bains publics.
On y voit un collège appelé la Mosquée des fleurs, où l'on enseigne les principes du mahométisme, un peu de logique, d'astronomie, d'astrologie judiciaire, et d'histoire. C'est le siège des quatre pontifes ou chefs des quatre sectes de la Loi, Eschefaii, Maleki, Abali, Hanefi (*), égaux entr'eux, et qui ont beaucoup d'autorité dans la ville. Ce collège est entretenu aux dépens du Grand Seigneur, indépendamment des revenus des legs des bienfaiteurs, dont jouissent les pontifes. Parmi plusieurs sectes qui se sont élevées dans la religion de Mahomet, les quatre dont je viens de parler sont réputées orthodoxes, on peut s'y attacher sans donner atteinte à la foi, selon eux.
La ville est traversée par un canal que Prolomée nomme Trojanus Amnis ; Quinte-Curse Oxius, et les Turcs Merakemi, c'est-à-dire pavé de marbre, il sort du Nil tout auprès du vieux Caire ; ses eaux coulent pendant trois mois, après quoi il devient cloaque ; il forme sept ou huit petits étangs dans la ville et aux environs, arrose les campagnes voisines, et va se jeter dans le lac des Pèlerins à trois lieues du Caire.
Les rues de cette ville sont étroites et sans alignement, non pavées, poudreuses, balayées pourtant et arrosées tous les jours devant les maisons des honnêtes gens. Les maisons sont à plusieurs étages, terrassées, bâties de briques ; les fenêtres qui donnent sur la rue sont grillées et garnies de jalousies, pour que les femmes ne soient pas vues des passants. L'extérieur des maisons n'a rien de beau, et la magnificence des palais des grands consiste à quelques salles pavées de marbre. Dans toute la ville il n'y a qu'une place publique qui est devant le château ; on n'y voit ni arbre, ni fontaine, ni aucun autre embelissement.
Le château est plus vaste que fort, sans régularité. Il est dominé par la montagne du Levant ; la garde en est confiée aux janissaires et aux azabs. C'est le séjour du pacha ; mais il n'y est pas le maître, et la milice l'en fait sortir quand il lui plaît.
Un aqueduc de trois cent vingt arcades conduit l'eau du Nil au château. Cet aqueduc dont parlent Crésias, Diodore de Sicile et Strabon, a été renouvelé par les princes mahométans qui l'ont fait bâtir de pierres taillées en pointe de diamant.
On voit dans le château un puits extraordinaire, nommé vulgairement puits de Joseph et en arabe du Limaçon, à cause de la figure spirale de la descente. C'est un carré de seize pieds de large dans oeuvre sur vingt-quatre de long ; sa profondeur est de deux cent soixante-quatre pieds, mais en deux coupes qui ne sont pas perpendiculaires l'une à l'autre, la premiere coupe a cent quarante-huit pieds, la seconde cent seize. On tire l'eau par le moyen d'une double roue et d'un double chapelet de cruches de terre. Les boeufs employés à faire tourner ces roues descendent à la premiere coupe par une galerie creusée dans le roc qui règne autour du puits du haut en bas ; l'eau de ce puits n'est bonne à boire que dans le temps de l'inondation, après quoi elle est saumâtre, ainsi que celle des autres puits qu'il y a dans la ville.
On compte au Caire sept à huit mille Juifs, plus de vingt mille Coptes, peu de Grecs, d'Arméniens, et de Maronites. Il y a quatre hospices de religieux qui y font la mission et qui n'opèrent pas beaucoup ; ce sont les Cordeliers, les Récollets, les Capucins, et les Jésuites. Il y a deux patriarches d'Alexandrie, l'un pour les Coptes et l'autre pour les Grecs."

(*) on reconnaîtra les quatre écoles sunnites suivantes : chafiisme, malékisme, hanbalisme, hanafisme


extrait de Relation du voyage fait en Egypte en l'année 1730 : ou l'on voit ce qu'il y a de plus remarquable, particulièrement sur l'histoire naturelle, par Claude Granger (16.. - 1737), chirurgien, naturaliste. Son véritable nom était Tourtechot (aucune mention de prénom). Il fit le voyage en Égypte, attiré par son ami M. Pignon, consul de France au Caire, et y fit deux séjours.

L'orthographe de certains mots a été rétablie selon sa forme actuelle.

mardi 27 avril 2021

"Il n'est point d'endroit dans toute l'Égypte où il soit resté tant de beaux monuments, et tant de choses qui méritent d'être vues" (le père Sicard -XVIIIe s.- à propos de Thèbes)

Thèbes : dessin d'André Dutertre (1753-1842)

"Que n'a point dit toute l'antiquité de Thèbes, autrement Diospolis Magna ? ll n'est pas un auteur qui n'en ait parlé comme d'une ville dont la grandeur et la beauté étaient au-dessus de toute expression. Diodore veut que son circuit fût de cent quarante stades, qui font six lieues, à quelque chose près. Strabon lui donne même quatre-vingts stades de longueur. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il fallait que son étendue fût prodigieuse, puisqu'elle fut nommée la ville à cent portes. Non seulement elle fut la capitale de l'Égypte, mais sous Sésostris elle était même la capitale de l'Orient. Sa situation était d'autant plus commode et plus avantageuse pour nourrir les milliers d'habitants qu'elle contenait, que le terrain des environs est admirable, et que le Nil traversait la ville. 
Or cette superbe ville a eu le même sort qu'Alexandrie et que Memphis : on ne la connaît plus que par ses ruines, mais avec cette différence que, malgré les malheurs où elle a été exposée, malgré les efforts qu'ont faits les Carthaginois (Ammien. l. 17.), le roi Cambyse, les Romains, sous Cornelius Gallus, pour la détruire de fond en comble, après l'avoir pillée et saccagée, il n'est point d'endroit dans toute l'Égypte, où il soit resté tant de beaux monuments, et tant de choses qui méritent d'être vues.
Par exemple, à l'est du Nil, on voit six portes entières du château dans lequel était renfermé le palais des rois de Thèbes ; ce sont autant de chefs-d'œuvre de la plus parfaite architecture.
Au sortir de chaque porte, on trouve une longue avenue de sphinx et de toutes sortes de statues de marbre qui conduisait au palais. Cela n'est rien en comparaison du grand salon de ce palais : il est soutenu de cent douze colonnes, qui ont soixante et douze pieds de haut, et douze pieds et un tiers de diamètre, toutes couvertes de figures en relief et peintes. Les murailles et le plancher sont peints aussi hors du salon en différents péristyles ; l'on peut compter jusqu'à mille colonnes, quatre colosses de marbre, et plusieurs obélisques, dont deux sont de porphyre, et quatre de granit. 
Un peu plus loin est le chateau et le sépulcre du roi Osymandyas, dont parle Diodore ; la chambre du sépulcre est encore entière.
Pour ce qui est du château, il est réduit à deux pièces avancées presque en demi-lune, sur lesquelles sont représentés les combats et les triomphes de ce prince. De tous côtés on y trouve des colonnes, les unes avec des bas-reliefs, et les autres non sculptées, plusieurs temples à demi ruinés, et les débris de la bibliothèque.
Ce qui est au couchant du Nil n'est pas moins curieux que ce qui est à l'orient. Sans parler des temples de Vénus et de Memnon, des galeries pleines d'hiéroglyphes, des colonnes, il y a des choses que l'on peut dire être uniques dans le monde, savoir : les sépulcres des rois de Thèbes et trois statues colossales. Les deux premières, dont a tant parlé Strabon, sont remplies d'une vingtaine d'inscriptions, soit grecques, soit latines ; la troisième est la statue du roi Memnon, laquelle, selon la tradition des anciens Égyptiens, rendait un son au lever du soleil.
L'on prétend qu'il y a eu jusqu'à quarante-sept sépulcres des rois de Thèbes. Il paraît que sous le règne de Ptolémée-Lagus, il n'en restait déjà plus que dix-sept. Diodore dit que du temps de Jules César le nombre en était encore diminué ; aujourd'hui il en reste dix, cinq entiers, et cinq à demi ruinés, ce qui suffit pour donner
l'idée que l'on doit avoir d'une chose aussi singulière que celle-là, et qui ne cède en rien à la magnificence des tombeaux des rois de Memphis, c'est-à-dire des pyramides.
Les sépulcres de Thèbes sont creusés dans le roc, et d'une profondeur surprenante. On y entre par une ouverture qui est et plus haute et plus large que les plus grandes portes cochères. Un long souterrain, large de dix à douze pieds, conduit à des chambres, dans l'une desquelles est un tombeau de granit élevé de quatre pieds ; au-dessus est comme une impériale qui le couvre, et qui donne un véritable air de grandeur à tous les autres ornements qui l'accompagnent.
Salles, chambres, tout est peint depuis le haut jusqu'en bas. La variété des couleurs, qui sont presque aussi vives que le premier jour, font un effet admirable ; ce sont autant d'hiéroglyphes qu'il ya de figures d'animaux et de choses représentées ; ce qui fait conjecturer que c'est là l'histoire de la vie, des vertus, des actions, des combats, des victoires des princes qui y sont inhumés.
Mais il en est des hiéroglyphes des Égyptiens, comme des caractères de quelques peuples anciens, qu'il nous est à présent impossible de déchiffrer. S'il arrive jamais que quelqu'un parvienne à en avoir l'intelligence, on aura l'histoire de ces temps-là, qui nous est inconnue, et qui vraisemblablement n'a jamais été mise par écrit.
Outre l'histoire du temps, on aura l'abrégé des superstitions des Égyptiens ; car il y a quelques-unes de ces chambres, où l'on voit différentes divinités représentées sous des figures humaines ; les unes ayant des têtes de loup, les autres de chien, de singe, de bélier, de crocodile, d'épervier. En d'autres endroits, ce sont des corps d'oiseaux avec des têtes d'hommes ; dans d'autres chambres, ce sont des sacrifices qui sont peints, les sacrificateurs avec leurs habits bizarres, les esclaves les mains liées derrière le dos, ou debout, ou couchés par terre ; tous les instruments qui servaient aux sacrifices. Dans d'autres, ce sont les instruments de l'astronomie, des arts, du labourage, de la navigation, des vaisseaux qui ont pour proue et pour poupe des becs de grue et d'ibis, et pour voiles des soleils et des lunes."


texte extrait de Description de l'Égypte, par le père Sicard.

Claude Sicard (1670 ou 1677-1726), membre de la Compagnie de Jésus, est envoyé au Caire en 1712 (date approximative) comme supérieur de la mission jésuite, après un séjour de six ans en Syrie, au cours duquel il apprend langue arabe.
En Égypte, il parcourt tout le pays - avec la mission de “convertir les Coptes” ! - et s'attache à le décrire, en identifiant les lieux antiques et bibliques. Ce voyage a pour but de retracer l’itinéraire de l’Exode et de la traversée de la mer Rouge par les Hébreux. 
Jean-Marie Carré, dans son ouvrage Voyageurs et écrivains français en Égypte, 1956, souligne la "documentation sûre", l' "esprit scientifique", la "curiosité critique" et la "longue expérience de l'Égypte" de cet auteur.

samedi 24 avril 2021

Description du vieux Caire, par Paul Lucas (XVIIe - XVIIIe s.)

Carte du vieux Caire - 1736 - par Richard Pococke

"Pendant que je restai dans cette ville je fus au vieux Caire visiter le lieu où l'on dit que Notre Seigneur, la sainte Vierge et saint Joseph ont demeuré. 
Le vieux Caire est loin du nouveau environ d'un mille et demi. L'on passe dessous un grand aqueduc qui conduit l'eau du Nil dans le château, et ensuite devant les greniers que Joseph fit bâtir pour mettre le blé. Les Turcs en font encore aujourd'hui le même usage ; et je crois que c'est le seul de tous les bâtiments antiques qu'ils ont soin de réparer. 
Le vieux Caire est tout plein de ruines : tous les habitants en sont Coptes et Grecs, et ces deux sectes y ont chacune une église. Celle des Grecs est en manière de dôme, et n'a rien de particulier : elle est dédiée à saint George. Il y a un couvent de filles grecques attaché à cette église ; elles sont toujours au nombre de cent, et n'y sont point reçues qu'elles n'aient près de cinquante ans.
L'église des Coptes est assez belle, et bâtie au-dessus de la chambre qui a servi d'habitation à Jésus-Christ et à la sainte Vierge. C'est dans cette église à côté du choeur que l'on va par une allée à la chambre de la sainte Famille. Il faut descendre quelques degrés d'environ deux pieds de large, et l'on se trouve sous une voûte de vingt pieds de long, et dix de large. C'est donc en ce petit lieu, qui est tout simple, que l'on dit que Jésus, la Vierge et Joseph ont demeuré pendant deux années. Cette petite voûte ne reçoit de jour d'aucun endroit. À main gauche en entrant l'on voit une pierre, où l'on dit que la sainte Vierge lavait les linges de l'enfant Jésus ; et devant il y a comme une espèce de petit four, et une avance qui sert d'autel. En se retournant dans un coin, entre la voûte et la pierre du mur, il y a un gros morceau de bois que les Coptes croient être de l'arche de Noé. Après que j'eus fait mes prières dans ce saint lieu, je remontai à l'église de dessus.
L'on me fit remarquer que dans la nef de cette église il y avait plusieurs Francs enterrés. Quand il en meurt quelques-uns au Caire, on les y apporte à la pointe du jour sur un brancard sans grande cérémonie. Tout le reste de la nation se rend au bout d'une heure à l'église, et l'on fait les funérailles du défunt. Les Coptes prennent deux piastres pour la place de la fosse. 
Nous sortîmes de cette église, dont la porte comme toutes celles des autres Chrétiens en Orient est très basse. Cet usage n'est, à ce qu'on me dit, que pour empêcher les Turcs d'y entrer à cheval, ce que les Chrétiens même observent dans leurs maisons particulières.
Un jour j'accompagnai M. le Consul à l'audience du Pacha ; le Consul va à cheval, et six janissaires mitrés marchent devant lui. Il y a six grands valets en habits uniformes, qui marchent trois de chaque côté. Toute la nation va ensuite montée sur des bourriques, car il n'est permis qu'au Consul d'aller à cheval ; encore les gens murmurent-ils quand ils le voient passer. J'entendis dire à un marchand qui était à la porte quand nous passions : Ah ! pauvre cheval, quel péché as-tu commis pour avoir mérité la peine de porter un infidèle ? car dans toute la Turquie ils traitent ainsi tous les Chrétiens de jiaours, qui veut dire infidèles." 


extrait de Voyage du sieur Paul Lucas au Levant, 1731

Paul Lucas (1664 - 1737), marchand, naturaliste, médecin et antiquaire normand, effectua son voyage au Levant de juin 1699 à juillet 1703. Ses observations "sont à la fois le résultat d'une interprétation personnelle souvent très fantaisiste et d'une compilation d'ouvrages contemporains ou antérieurs. (...) Paul Lucas est loin d'être un guide absolument sûr. Mais il est le premier vulgarisateur." (Jean-Marie Carré, Voyageurs et écrivains français en Égypte, 1956)

L'orthographe de certains mots a été rétablie selon sa forme actuelle.

jeudi 22 avril 2021

Description du Caire, par Jean de Thévenot (XVIIe s.)

Carte du Caire par Matteo Pagano, publiée dans Civitate Orbis Tarrarum par Braun et Hogenberg, 1572.


"Il y a tant de choses à voir au Caire qu'on en pourrait faire un assez gros volume, et comme j'y ai fait un séjour assez considérable, j'en ai vu une bonne partie ; c'est pourquoi je les mettrai ici selon l'ordre du temps auquel je les ai vues. (...)
Cette ville est mal située, car elle est au pied d'une montagne sur laquelle est le château, de sorte que cette montagne la couvre, et lui ôte tout l'air, en arrêtant le vent, et c'est cela qui fait la grande chaleur étouffante qu'on y souffre, qui engendre tant de maladies, au lieu que si elle était à la place du vieux Caire, premièrement on aurait la commodité du fleuve, qui est de si grande importance, quand ce ne serait que pour boire, car il faut porter l'eau par tout le Caire dans des outres sur des chameaux, qui la vont quérir à Boulac qui est à plus de demi-lieue de la ville, et qui est le lieu le plus proche : d'où vient qu'on boit tant de méchantes eaux au Caire, parce que ceux qui la vont quérir sur leurs chameaux, pour faire plus de voyages, la prennent dans des 'birques' ou mares puantes, qui sont plus proches que la rivière, et (...) ils la vendent bien cher. 
Ils auraient encore l'avantage du vent, qui leur viendrait de tous côtés le long du fleuve, de sorte qu'on serait beaucoup moins incommodé de la chaleur ; de plus, le commerce en recevrait grande commodité, en ce qu'on n'aurait pas la peine et le coût de charger les marchandises sur des chameaux, pour les porter de la ville au port, ou du port à la ville. Aussi les anciens avaient bien pris la situation de Memphis sur le bord du fleuve de l'autre côté de l'eau, et depuis on a bâti encore le vieux Caire sur le bord du fleuve en delà l'eau vis à vis de Memphis, et les derniers qui devaient corriger les fautes des autres, s'il y en avait, ont le plus manqué, car je ne trouve point d'autres raisons pourquoi ils aient pris cette incommode situation, sinon peut-être pour joindre leur ville au château, afin d'être sous sa protection.
Le Caire est une fort grande ville remplie de canaille. Il est en forme de croissant, peu large, et c'est à tout que plusieurs se sont persuadés que le Caire fut plus grand que Paris. J'ai fait une fois avec deux ou trois autres Français le tout de la ville et du château ; nous étions sur des ânes, n'osant aller à pied, crainte d'être maltraités, mais nous allions doucement, accommodant le mieux que nous pouvions le pas de nos ânes à celui des hommes, et nous mîmes deux heures et un quart à faire ce tout, qui est d'un peu plus de trois lieues, mais non pas quatre lieues. (...)
Plusieurs personnes ont écrit que le Caire n'a point de murailles, et c'est peut-être ce qui les a fait confondre le Caire avec Boulac et avec le vieux Caire, mais ils n'y ont pas  bien regardé, car le Caire est tout entouré de murailles fort belles, et assez épaisses : elles sont bâties de belle pierre encore si blanche qu'on dirait qu'elles seraient bâties tout de nouveau, si on ne connaissait par les grandes crevasses qu'il y en a plusieurs parts, qu'elles sont fort anciennes. Ces murailles sont fort bien garnies de beaux créneaux, et à l'intervalle de moins de cent pas il y a de fort belles tours, capables de tenir beaucoup de gens ; elles ont été bâties fort hautes, mais elles sont présentement toutes couvertes de ruines, qui sont si hautes que j'ai y passé en des endroits où elles cachent les murailles tout à fait (...).
Il est bien vrai que toutes les rues du Caire sont fort courtes et étroites, excepté la rue du bazar et le 'khalij', qui n'est sec qu'environ trois mois de l'année, et encore peu de gens y passent-ils. Il n'y a pas une belle rue au Caire, mais quantité de petites, qui sont des tours et détours ; ce qui fait bien connaître que toutes les maisons du Caire ont été bâties sans aucun dessin de ville, chacun prenant tous les lieux qui leur plaisaient pour bâtir, sans considérer qu'ils bouchaient une rue ou non.
Pour les mosquées, je crois bien qu'il y en a 23 mil, mais de ces vingt-trois mil, il; y en a une bonne partie qui ne sont que de petits trous ou chapelles, n'ayant pas dix pas en carré. Ce n'est pas aussi qu'il n'y ait plusieurs belles grandes mosquées, bâties superbement, et ornées de fort belles façades et portes, et de minarets fort hauts. La plus belle est 'Dgemiel-azem'.
Les maisons du Caire sont à plusieurs étages, bâties en terrasse, comme par toute la Turquie, et on y prend le frais quand le soleil s'est retiré, et même plusieurs personnes y couchent en été. Elles ne paraissent toutes rien par dehors, mais par dedans vous n'y voyez qu'or et azur, au moins dans celles des gens de condition, et la plupart des salles sont ouvertes au milieu du plancher d'une ouverture ronde, par laquelle on reçoit beaucoup de frais, qui est une chose bien précieuse en ce pays-là, et ordinairement au-dessus de cette ouverture est un petit dôme ou 'coupe', où il y a plusieurs fenêtres à l'entour, pour laisser passer le vent."


extrait de Relation d'un voyage fait au Levant : dans laquelle il est curieusement traité des Estats sujets au Grand Seigneur, par Jean de Thévenot (1633-1667), voyageur parisien
"Avec Jean de Thévenot commence la grande époque des voyages, apparaît le type du voyageur professionnel, de celui que nous appellerions aujourd'hui l'explorateur. (...) Cette relation de voyage n'est ni bien écrite ni bien composée. Mais elle reste savoureuse par sa franchise et par la vérité de ses impressions. C'est un tableau pittoresque de l'Égypte, après un siècle et demi de domination turque. L'auteur ne se préoccupe ni de démontrer, ni de coordonner ses notations. Il raconte, et c'est tout..." (Jean-Marie Carré, Voyageurs et écrivains français en Égypte, 1956)
L'orthographe a été rétablie selon sa forme contemporaine.

mercredi 21 avril 2021

Lettre de Mr de Monconys à un de ses amis sur les Pyramides et les Momies d'Égypte (février 1647)

Une pyramide et le Sphinx tels que se les représentait François Le Gouz de la Boullaye (1623-1668)

"Douze jours après mon arrivée au Caire, je fus voir les Pyramides : elles sont presque à l’opposite de cette ville (qui leur demeure au nord-est [...]) éloignées de deux grandes lieues à l’extrémité d'une campagne qui, depuis le Nil jusques au commencement du roc sur lequel elles font situées, a la largeur de deux lieues, et règne ainsi tout le long de ce fleuve, tant en descendant, que du côté de sa source. Ce roc qui borne la campagne presque parallèlement avec le Nil a environ cent pieds d'éminence, et continue bien avant dans les déserts comme une plate-forme toute couverte des sables que les vents y ont apportés ; sur le bord sont situées ces grandes masses de pierre, qui ayant subsisté si longtemps semblent vouloir discuter leur durée avec la sienne, et mériter en cela utilement le nom de Merveilles qu’elles possèdent seules à présent.
Entre une quantité qu’il y en avait pendant cinq ou six lieues de long, et qui étaient grandes ou petites, suivant le pouvoir et la magnificence du Prince qui les faisait construire : en remontant le long du fleuve, on en voit deux grandes en cet endroit, qui ont toujours été les plus estimées. La petite qui ne cède guère à la grande, et n'en est éloignée que de cent pas, est beaucoup ruinée, et je parie qu’elle est faite en sorte qu'on n’y peut monter, et qu'il n'y a point d'ouverture pour entrer dedans ; on ne la contemple pas si curieusement, et on se contente de prendre exactement les particularités de la grande.
Voici ce que j’en ai remarqué avec les mauvais instruments que j’ai pu trouver, et les fils dont je me suis servi par deux fois que j’y ai été sans m’en ennuyer, étant prêt d’y retourner à la première commodité qui s'offrirait, tant on en trouve la vue admirable.
Elle a cinq cent vingt pieds de hauteur, et six cent quatre vingt et deux pieds de face. Elle est parfaitement carrée, et a ses faces opposées aux quatre parties du monde. Elle est faite en degrés de très gros quartiers de pierre, chacun ayant deux pieds et demi de haut, quelques-uns plus, quelques-uns moins, et font en tout deux cent huit degrés qui se terminent en une plate-forme de seize pieds en carré, que composent douze très grosses pierres, la plupart rompues aussi bien que bonne quantité de degrés. Le temps en fait une plaisante métamorphose en petites lentilles dont elles sont toutes pleines, mais si bien faites qu'il n'y a que la dent qui puisse juger quelles sont de pierre.
Sur le seizième degré presque au milieu de la face qui est tournée au Nord, est l’entrée qui a trois pieds six pouces de haut, et trois pieds trois pouces de large, et qui va continuant septante-six pieds et demi de long en pente d'un angle de soixante degrés. Au bout de cette allée est un lieu vaste et rempli de ruines, et de grosses pierres rompues qui bouchent des endroits par lesquels on allait en quelques chambres, et il ne reste qu’une ouverture vis-à-vis de celle par où l'on est descendu, qui vous conduit en remontant par une pareille allée de semblable pente à celle par où l’on est descendu, mais qui a cent onze pieds de long. Au lieu où cette seconde allée aboutit, il en commence une autre qui a six pieds quatre pouces de large, et qui va toujours montant par la même inclination de soixante degrés à la longueur de cent soixante-deux pieds et trois pouces.
La voûte de cette allée est extrêmement haute au prix de l'autre, et à la fin elle touche le haut de la porte de la chambre où l’on arrive. Au fond d'iceIle on trouve un tombeau de ces pierres qu'on dit fondues. Il a trois pieds et un pouce de large, trois pieds et quatre pouces de haut, et sept pieds deux pouces de long. Il n'y a point de couverture, et l'on croit que c’était là où Pharaon devait être enterré : c'est le vulgaire qui le dit. Cette chambre aussi bien que toutes les autres, avec les allées et les murailles, a le pavé, et le plancher ou voûte tout de grandes pierres. Elle a trente-un pieds de long, dix-neuf de haut, et seize de large, et neuf pierres en travers forment son plancher.
Je ne vous ennuierai point davantage dans la description d’une autre chambre qui est au-dessous de celle-là, où l’on va par une allée de plain-pied. Au commencement de cette dernière de cent soixante-deux pieds, l’on voit l’ouverture d’un puits carré qui est fort profond, et où on ne descend point à cause des chauves-souris et autres animaux venimeux qu’il y peut avoir, dont il y a une bonne quantité dans toutes les chambres, car il n’y a aucune autre ouverture que celle de l’entrée.
L’on tient que ce puits va sous terre jusques à une Idole qui reste encore aujourd’hui environ à trois cents pas de la Pyramide, (...) : c’était une hyène couchée dont il ne reste que la tête sur son col, assez maltraitée, ayant le nez et le menton cassés ; mais ce qui reste est fort beau à voir, et l’on y remarque l’adresse d’un habile sculpteur qui ne cédait pas à ces Grecs qu’on admire par leurs ouvrages. Elle a vingt-six pieds de haut, et depuis les oreilles jusques au menton, quinze pieds. La tradition est que les prêtres venaient sous cette Idole par le puits de la Pyramide, et y rendaient les oracles. Il y a aussi un trou au-dessus de la tête, où un homme peut demeurer debout sans être vu, qui peut-être servait encore à la fourberie.
Quelques jours après, je fus aux Momies qui commencent depuis le lieu des Pyramides décrites ci-dessus. Quoique le village où l’on va en soit éloigné d’environ quatre lieues, néanmoins ce rocher est creusé jusques-là, et encore bien plus de deux lieues plus haut et garni de Pyramides ruinées, et d’autres qui restent encore assez entières, et une entre autres qui ne cède guère à celle que j’ai décrite, et dont je remets la description à notre première vue de peur de vous ennuyer.
Tout ce rocher, comme j’ai dit, est creusé comme les catacombes de Rome ; et des pierres qu’on en tirait, on en bâtissait à mon avis les Pyramides qui servaient de sépulture pour les Princes, au-dessous desquelles dans les lieux qu’on avait vidés l’on enterrait les particuliers."


Le diplomate français Balthasar de Monconys (1611-1665) était physicien et magistrat. Dans le but de remonter aux sources des enseignements de Pythagore, de Zoroastre et des alchimistes grecs et arabes, il effectua de nombreux voyages en Europe et en Orient, accompagné du fils du duc de Luynes, dont il était le précepteur.
En plus de ses ouvrages où il relata ses voyages à travers l'Europe et en Égypte, il publia quelques chroniques sur le peintre Johannes Vermeer qu'il rencontra en 1663. 
Le texte ci-dessus est extrait de son ouvrage Journal des voyages de Monsieur de Monconys, première partie, où il se présentait lui-même comme “Conseiller du Roy en ses conseils d’État et privé, et lieutenant criminel (sic) au Siège présidial de Lyon”.
Pour une plus grande facilité de la lecture, j’ai rétabli globalement l’orthographe actuelle, tout en respectant  l’agencement des phrases.
Même succinct, et tributaire d’une science archéologique encore embryonnaire, ce texte révèle un enthousiasme qui mérite d’être souligné.