mardi 28 mai 2019

"Les Égyptiens pratiquèrent de bonne heure l'art de la caricature" (Gaston Maspero)

Brooklyn Museum, Charles Edwin Wilbour Fund
"Nous ne connaissons pas les méthodes que les Égyptiens employaient à l'enseignement du dessin. La pratique leur avait appris à déterminer les proportions générales du corps et à établir des relations constantes entre les parties dont il est constitué, mais ils ne s'étaient jamais inquiétés de chiffrer ces proportions et de les ramener toutes à une commune mesure. Rien, dans ce qui nous reste de leurs œuvres, ne nous autorise à croire qu'ils aient jamais possédé un canon, réglé sur la longueur du doigt ou du pied humain. Leur enseignement était de routine et non de théorie. Ils avaient des modèles que le maître composait lui-même, et que les élèves copiaient sans relâche, jusqu'à ce qu'ils fussent parvenus à les reproduire exactement. Ils étudiaient aussi d'après nature, comme le prouve la facilité avec laquelle ils saisissaient la ressemblance des personnages, et le caractère ou le mouvement propre à chaque espèce d'animaux. Ils jetaient leurs premiers essais sur des éclats de calcaire planés rudement, sur une planchette enduite de stuc rouge ou blanc, au revers de vieux manuscrits sans valeur le papyrus neuf coûtait trop cher pour qu'on le gaspillât à recevoir des barbouillages d'écolier. Ils n'avaient ni crayons ni stylet, mais des joncs, dont le bout, trempé dans l'eau, se divisait en fibres ténues et formait un pinceau plus ou moins fin, selon la grosseur de la tige. La palette en bois mince, oblongue rectangulaire, était pourvue à la partie inférieure d'une rainure verticale à serrer la calame, et creusée à la partie supérieure de deux ou plusieurs cavités renfermant chacune une pastille d'encre sèche : la noire et la rouge étaient le plus usités. Un petit mortier et un pilon pour broyer les couleurs, un godet plein d'eau pour humecter et laver les pinceaux, complétaient le trousseau de l'apprenti. Accroupi devant son modèle, palette au poing, il s'exerçait à le reproduire en noir, à main levée et sans appui. Le maître revoyait son œuvre et en corrigeait les défauts à l'encre rouge.
Les rares dessins qui nous restent sont tracés sur des morceaux de calcaire, en assez mauvais état pour la plupart. Le British Museum en a deux ou trois au trait rouge, qui ont peut-être servi comme de cartons au décorateur d'un tombeau thébain de la XXe dynastie. Un fragment du musée de Boulaq porte des études d'oies ou de canards à l'encre noire. On montre à Turin l'esquisse d'une figure de femme, nue au caleçon près, et qui se renverse en arrière pour faire la culbute : le trait est souple, le mouvement gracieux, le modelé délicat.
L'artiste n'était pas gêné, comme il l'est chez nous par la rigidité de l'instrument qu'il maniait. Le pinceau attaquait perpendiculairement la surface, écrasait la ligne ou l'atténuait à volonté, la prolongeait, l'arrêtait, la détournait en toute liberté. Un outil aussi souple se prêtait merveilleusement à rendre les côtés humoristiques ou risibles de la vie journalière. 
Les Égyptiens, qui avaient l'esprit gai et caustique par nature, pratiquèrent de bonne heure l'art de la caricature. Un papyrus de Turin raconte, en vignettes d'un dessin sûr et libertin, les exploits amoureux d'un prêtre chauve et d'une chanteuse d'Amon. Au revers, des animaux jouent, avec un sérieux comique, les scènes de la vie humaine. Un âne, un lion, un crocodile, un singe se donnent un concert de musique instrumentale et vocale. Un lion et une gazelle jouent aux échecs. Le Pharaon de tous les rats, monté sur un char traîné par des chiens, court à l'assaut d'un fort défendu par des chats. Une chatte du monde, coiffée d'une fleur, s'est prise de querelle avec une oie on en est venu aux coups, et la volatile malheureuse, qui ne se sent pas de force à lutter, culbute d'effroi. Les chats étaient d'ailleurs les animaux favoris des caricaturistes égyptiens. Un ostracon du musée de New-York nous en montre deux, une chatte de race assise sur un fauteuil, en grande toilette, et un misérable matou qui lui sert à manger, d'un air piteux, la queue entre les jambes. L'énumération des dessins connus est courte, comme on le voit l'abondance de vignettes dont on avait coutume d'orner certains ouvrages compense notre pauvreté en ce genre."

Extrait de L'archéologie égyptienne, par Gaston Maspero (1846-1916)

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