mercredi 3 mars 2021

Les bienfaits des eaux du Nil, selon Cornelis de Bruyn (XVIIe-XVIIIe s.)

photo MC

"Il faut remarquer ici l'admirable Providence de Dieu, qui envoie dans un temps précis des pluies dans l'Éthiopie, afin d'humecter l'Égypte où il ne pleut presque point, et que l'eau y entraîne un limon, qui amende tellement le terroir maigre et sablonneux de ce pays le plus sec qui soit au monde, que les laboureurs sont obligés, avant que d'y jeter leur semence, de mettre du sable dans leur terre, afin de corriger l'excès de graisse que l'eau y a laissé en se retirant. Le reste de l'Égypte, qui n'est point inondé des eaux du Nil, demeure tout sec, sablonneux et stérile. (a)
Une autre chose qu'on peut remarquer dans cette Providence, c'est que non seulement ces grosses pluies viennent des pays montagneux de l'Éthiopie pour enrichir l'Égypte de Ia bénédiction du Ciel, mais aussi que, selon le témoignage des habitants, au commencement de juin et les quatre mois suivants, les vents du Nord-Est sont envoyés par ce sage Conducteur du Monde, afin de repousser l'eau qui s'écoulerait trop tôt, et l'empêcher de se décharger dans la mer dont ils lui ferment pour ainsi dire l'entrée ; ainsi le débordement de cette rivière est une bénédiction toute particulière à l'Égypte, au lieu que les débordements et les inondations des autres n'arrivent guère qu’au grand dommage des pays où ils se font, ce qui, pour dire la vérité, arrive aussi en quelques endroits par le débordement du Nil.
Cette rivière n'est pas fort poissonneuse ; mais de savoir s'il le faut attribuer à ce que son eau est trop trouble, ou la destruction qu'y font du poisson les crocodiles et les monstres de cette rivière, c'est ce que je ne saurais décider ; je dirai seulement que ces animaux se tenant la plupart du temps au haut dans la rivière, et ne s'en trouvant que très rarement et presque jamais au Caire, il est évident que cette seconde raison n'en est pas la cause, au moins à l'égard du Caire. Mais en bas le Nil est plein de marsouins. 
L'eau en est très saine à boire, et les habitants du pays savent la purifier en peu de temps de son limon, par le moyen de la pâte d'amande, ou de quelque autre semblable. Elle se purifie aussi fort bien en la mettant dans de certains petits pots de terre, et c'est ainsi que j'en usais d'ordinaire. (b) 
On ne trouve presque point d'autre eau par toute l'Égypte ; et c'est ce qui est cause que presque toutes les villes, les bourgs et les hameaux sont bâtis le long de la rivière (...)."

(
a) Le Nil rend l'Égypte si féconde qu'une même terre porte dans l'année trois ou quatre sortes de fruits différents ; on y sème, par exemple, des laitues et des concombres, ensuite du blé ; et après la moisson, des melons et d'autres légumes. On y sème le blé dans les mois d'octobre et de novembre, après que cette fécondité que cause l'inondation du Nil s'étend jusques aux hommes et aux animaux. On voit souvent que les eaux nouvelles rendent les femmes fécondes, soit qu'elles se baignent alors ou qu'elles en boivent au temps de l'inondation ; ainsi elles conçoivent ordinairement dans les mois de juillet et d'août, et accouchent dans les mois d'avril ou de mai. À l'égard des animaux, les vaches portent presque toujours deux veaux à la fois. Les brebis deviennent pleines deux fois l'année, et font deux agneaux à la première portée, et un seulement à la seconde. On a vu souvent une chèvre avec quatre cabris, qu'elle avait eus d'une seule portée. L'herbe des prés est si haute, quand l'eau s'est retirée, qu'elle couvre le bétail ; et les pâturages y sont si bons que les troupeaux, qu'on y laisse jour et nuit attachés par un pied, y engraissent en peu de temps.

(b) Les habitants de l'Égypte trouvent cette eau si bonne qu'ils irritent souvent leur goût avec des épiceries pour pouvoir en boire davantage ; d'ailleurs, elle ne fait jamais de mal, surtout quand elle est purifiée de la manière dont le rapporte l'auteur, qui ne devait pas oublier de dire que, faute de glace, on a trouvé le secret de la rafraîchir en la mettant dans certaines cruches de terre qu'on appelle bardaques, et qu'on expose à l'air suspendues dans un lieu où le vent puisse les agiter. Il y a à présent quelques-unes de ces cruches dans les cabinets des curieux.

extrait de Voyage au Levant : c'est-à-dire, dans les principaux endroits de l'Asie Mineure, dans les isles de Chio, Rhodes, Chypre, &c, de même que dans les plus considérables villes d'Égypte, Syrie, & Terre Sainte ; enrichi d'un grand nombre de figures en taille douce, 1725, par Cornelis de Bruyn (Corneille Le Bruyn - 1652-1726 ou 1725), artiste et voyageur hollandais.

Pour faciliter la lecture, quand cela semblait nécessaire, l'orthographe a été rétablie selon les critères actuels.

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