dimanche 12 décembre 2021

"Depuis la Méditerranée jusqu’à Assouan, les couchants couvent l’or qui monte du grand fleuve et des cultures qu'il fait vivre" (Gaston Chérau)

"Sunset on the Nile", par Charles-Théodore Frère (1814 - 1888)

"Les crépuscules les plus éblouissants sont à Athènes, au Caire et tout le long du Nil en toutes saisons.
À Athènes, quand on est sur la Pnyx au moment où le soleil chavire derrière Salamine, on se trouve en pleine fournaise. Le Parthénon, l’Erechthéion, les Propylées, se dressent comme autant de palais de feu tandis que la ville s'écrase à leur pied, grise et bleue, et que, insensible et glacé avec sa pointe blanche surgie de sa ceinture de pins, le Lycabette monte la garde. Dans le nord, le Parnès devient outremer et l’aérien Pentélique est comme un nuage. Cependant, c’est l’Hymette qui achève la folie des couleurs avec son invraisemblable violet qui tient sa note jusqu’à ce que la nuit tire son voile sur lui. Du côté du couchant, les montagnes de Salamine sont sur le plateau d’argent de la mer... Une autre féerie !
Quand, durant des soirs et des soirs, on s’est gorgé du spectacle, on peut se dire qu’on a épuisé le plus pur enchantement de la terre ? Il en est un autre, moins ordonné, plus somptueux, mais égal en prestige - c’est le crépuscule au Caire. Il faut avoir vu cette fête pour parler de la splendeur des jeux célestes. Quittez la ville, prenez la route de Gîzé, arrêtez-vous au jardin zoologique et attendez la pièce qui va se jouer ; elle est indescriptible ! Alors qu’à Athènes l’Hymette règne en violet sur le fond et préside au banquet des dieux, ici c’est le Mokattam, mais il est littéralement en or. Ce que vous voyez du Caire, à ce moment, c’est une poudre diaprée faite des poussières et des vapeurs de la grande ville, une nuée qui ne parvient pas à se libérer de la terre et que percent les coupoles des mosquées et les cabochons des minarets. C’est une forge et une joaillerie. 
Depuis la Méditerranée jusqu’à Assouan, et plus loin, jusqu’à la troisième cataracte, les couchants qui sont limpides, transparents et sereins, couvent l’or qui monte du grand fleuve et des cultures qu'il fait vivre. Tout près de là, quand on aborde les sables libyques, les crépuscules et les aurores ont une richesse plus dure que les grâces du ciel ne parviennent pas à émouvoir ; ce sont les dunes et les sables qui sont éternels, et c'est le ciel qui donne le sentiment de la fragilité aux heures extrêmes du jour et même pendant les nuits étoilées. Il faut que le soleil, le grand, le magnifique dieu de l’Égypte, vienne à son tour ; alors, la plate vallée verte, l’eau glauque, les cultures de cet humus léger où tout pousse comme dans une serre ou un jardin modèle, les palmeraies, les villes, les énormes touffes des figuiers banians, tout s’écrase et capitule sous sa puissance immobile. Seuls, au zénith des cités, planent les grands milans dont on entend les cris éplorés.
Au Caire, ce sont les heures bénies du repos dans le jardin rafraîchi par l’eau claire qui tombe dans une vasque ou dans la chambre traversée d’un libre courant d’air.
Toutes les heures sont belles, celles du matin qui vous jettent sous la douche, vous engagent au petit repas sur la terrasse, à la promenade à Géziré, au Mouski ou dans les mosquées en attendant le déjeuner dans les vastes salles du palace ; celle de la sieste, l'instant du tub qui la suit, et les heures du soir où l’on va flâner aux Pyramides en attendant de s’arrêter chez Groppi qui détient le secret des sorbets au gingembre poivré et garde les recettes des plus fins pâtissiers de France. 
La nuit ? Quand la nuit vient, on se demande comment on aura l’énergie de s’échapper pour dormir. Tout est spectacle : la vie qui roule devant vous garde la vivacité de ses couleurs et elle est déchaînée (...).
Au Caire, (...) la fièvre de voir vous saisit. Il vous semble que cette grande capitale ne s’est si bien tassée que pour vous empêcher de rien négliger d’elle. Les mosquées, les tombeaux des Khalifes, le musée égyptien, le musée arabe où il y a les plus précieuses lampes de verre qu'on ait jamais faites, et les Pyramides, et Sakkara, et les tombeaux des Mamelouks, et Fosta, et le barrage, et les vieux quartiers que la nouvelle gare n’a pas complètement détruits, et, pour votre malheur, le Mouski !... Pour votre malheur, parce que si vous vous êtes laissé gagner par lui, vous y retournerez comme à un péché mignon. Les rues qui vous y conduisent n’ont que des bruits aériens ; on n’y entend même pas le choc des sabots d’un cheval et les roues de la voiture qu’il traîne. L’asphalte, assoupli par le soleil, garde la trace des pas et les fait silencieux. Le Mouski, c’est un vrai piège. On y perd ses matinées, mais on y gagne de voir l’Orient charmant, entêtant, mortel pour l’action, dans ses alvéoles blancs où il y a des batteurs d'or, des chaudronniers, des marchands de rotin, de courbache, de voiles, de parfums, de broderies, de tapis, de cuirs - le génial bariolage d’un Delacroix. Au fils d’un marchand de parfums qui nous apportait le café dans la boutique de son père, je demandais un jour ce qu’il voulait faire dans la vie. Ayant déposé le plateau sur la natte où nous étions assis, avec un grand sérieux, il montra un éventaire où trônait un vieil homme environné de voiles de Constantinople : "Là, me répondit-il, quand il sera mort." Son père se pencha vivement pour lui envoyer une taloche, mais c’était en riant. Il m’expliqua que le gamin suivait des cours à la Gamé-el-Azhar, qu’il avait déjà mérité un "igâzé", c’est-à-dire un certificat de sciences pour un enseignement déterminé : "Je ne désespérerais pas de le voir posséder le "chéhâdé-el-Alimiyé" des grands savants, s’il n'y avait pas cette boutique endiablée, en face, dont le bonhomme est bien vieux et qui n’a pas de famille. Hélas ! Mon fils fera comme moi. J’ai eu aussi un "igâzé" ; je ne suis pas allé plus loin parce que mon père avait la boutique que vous voyez sur ce côté-là, à votre gauche, je rêvais de la boutique où je suis ; je l’ai eue... Voilà ce que j'ai fait de la science !"
On ne se déprend pas du Mouski. En été, par les plus grandes chaleurs, il y fait frais ; en hiver, on n’y souffre jamais beaucoup du froid. Et puis, il y a cette espèce d'intimité qui règne sur le tout et arrange la température.
Tout près de là, dans la rue qui conduit à la ville européenne, on trouve Hatoum, le Bernheim du Caire pour les tapis et les objets d’art les plus merveilleux. Jadis, Hatoum avait trente ou quarante serviteurs qui, à longue journée, déroulaient devant vous les splendeurs de ses Boukkaras et de ses persans. Lui-même vous montrait ses objets de collection les plus précieux, qui n’étaient jamais à vendre, mais qu’il vous cédait parce que vous lui plaisiez. On devenait vite son ami. Avec ses allures de bon petit bourgeois soigné, ses yeux au regard enveloppant, son sourire, ses mains de prélat qu’il ne cessait de caresser, ses manières courtoises et un peu distantes à l’occasion, il vous persuadait vite que vous étiez chez vous dans sa propre demeure ; il n’était là, lui, que pour vous guider dans les aîtres de sa vaste maison. Quel musée ! Celui-là en était un où tout était à vendre et c’est peut-être ce qui nous reposait des autres d’où l’on n’emporte que la vue d’un spectacle éblouissant, inaccessible à nos caresses.
L’Égypte ? L’Orient le moins compliqué en apparence, le plus aimable, le plus doux, celui qui, si violemment et si prématurément pénétré par le progrès occidental, s’est accommodé de lui pour vous offrir ses délices et ses sorcelleries à côté des somptuosités de son inégalable passé."


extrait de "Égypte", article publié dans L'Art vivant, revue bi-mensuelle des amateurs et des artistes, janvier 1933, par Gaston Chérau (1872-1937), journaliste, hommes de lettres et photographe français, élu à l'Académie Goncourt en 1926.

vendredi 10 décembre 2021

"Il est de toute nécessité qu’Alexandrie retrouve la splendeur et l’éclat de son nom prodigieux" (Henri Girard, 1928)

Le Phare d'Alexandrie, l'une des Sept Merveilles du monde

"Notre ville (Alexandrie), de par sa position privilégiée, doit être en tête de (la) marche accélérée et réparatrice vers le progrès qui s’affirme.
Il ne faut plus qu’un voyageur, débarqué d’Europe, déjà stupéfié d’avoir constaté, alors qu’il était encore en mer, qu’aux entours les plus voisins de notre port, le sable désertique prolonge à l’infini sa désolation, interrompue seulement ça et là par quelques stipes de palmiers, formant de ses landes torrides le rivage continué de ce port, puisse voir son étonnement progresser en s’engageant dans des ruelles sordides et grouillantes, à sa sortie de douane, au point que, parvenu à la Place des Consuls, il ait le temps de perdre les quelques illusions qui lui restent.
Il est de toute nécessité qu’aux yeux des lettrés qui la regardent à travers le prisme de son superbe passé, depuis que le fier conquérant grec au coup d’œil d’aigle, fit tracer par Dinocrate, son architecte, à l’Est d’un petit bourg de garnison dénommé Rhacotis, si bien encadré entre le lac Maréotis et la mer, les célèbres rues en échiquier qu’Ahoulféda distinguait encore au 
XIVe siècle, il est de toute nécessité, disons-nous, qu’Alexandrie retrouve la splendeur et l’éclat de son nom prodigieux.
Ne faisons pas démentir la jolie légende de l’augure royal qui, voyant une nuée d’oiseaux s’abattre sur la farine déposée par les soldats macédoniens pour désigner les lignes de fondations de la nouvelle ville, avait tiré de ce fait le présage de sa prospérité future.
Comment d’ailleurs ne pas rehausser le prestige de la ville des Ptolémées qui contint dans ses flancs les tombeaux d’Alexandre, de Pompée, assassiné par son pupille Ptolémée sur le rivage de l’Égypte, d’Antoine et de Cléopâtre, le Sérapéum, le Muséum, la Grande Bibliothèque, l’Adrianeum, le Césareum devenu le Sebasteum, le Bruchium, le Temple d’Isis, le Temple de Saturne, le Panaeum, le Stade avec sa piste en forme de méandre, le Gymnase, le Dikastère, la Palestre, la Colonne de Dioclétien, devenue par erreur la Colonne Pompée, l’église d’Alexandrie, la Mosquée d’Amrou, enfin le Pharos, de marbre blanc, chef-d’œuvre de Sostrate de Cnide, consacré aux parents déifiés de Ptolémée Philadelphe, l’une des sept merveilles du monde !
Comment ne pas multiplier la richesse d’une ville si réputée dans l’antiquité pour l’ivoire, l'ébène, les plumes d’autruches, les peaux tachetées de l’Afrique, les parfums de l’Arabie, les diamants et la soie du Malabar et des Indes, que les ports du lac Maréotis recevaient pour les diriger au port Eunostos ou au marché du Grand Port, d’où elles étaient réparties dans les différentes villes du monde romain ?
Comment ne pas exalter une ville qui, dans le domaine industriel, connut les inventions mécaniques d’un Ctésibios ou d’un Héron, constructeurs d’automates, de clepsydres, de pompes foulantes, d’orgues hydrauliques, créateurs des tissus alexandrins, de puis l’étoffe de laine blanche jusqu’aux pièces de soie teinte, une ville qui excella dans l’art des constructions navales, la confection des voitures de luxe, des tables en bois de thuya à pieds d’ivoire, le travail des métaux vils ou précieux, la gravure des gemmes, l’orfèvrerie, la joaillerie, la manufacture d’armes, les mosaïques de verre multicolore, la fabrication du papyrus, dont le meilleur débouché était la Bibliothèque, etc. ?
Comment ne pas vouloir florissante, aussi, d’intellectualité, une ville qui s’honora de grammairiens tels que Apollonius Dyscole, d’astronomes tels que Claude Ptolémée et Hipparque, de géomètres tels qu’Euclide, de géographes tels qu’Erathosthène, d’historiens tels que Démétrius de Phalère, de poètes tels qu’Apollonius, Théocrite et Callimaque, de philosophes tels que Philon, tous membres de cette fameuse École d’Alexandrie qui durant le règne des trois premiers Ptolémées, parvint à éclipser les écoles d’Athènes elles-mêmes ?
L’empereur Hadrien qui avait visité l’Égypte et fondé Arsinoé, aujourd’hui Cheikh-el-Abadeh, en souvenir de ce voyage, ne disait-il pas d’Alexandrie : «La ville est riche et industrieuse. Personne n’y demeure la main dans les poches. Ici, on travaille le verre, là le papier, plus loin le lin... son importance, et aussi son étendue, la rendraient digne d’être la capitale de toute l’Égypte » ?
Alexandrie se doit en outre, de préserver de l’oubli ses coins d’histoire tels que l’Anse du Marabout, près de la Tour des Arabes, à faible distance d’Agami aux fêtes si curieuses, où Bonaparte débarqua ses troupes à quelques pas du santon de Sidi el Palabri, pour semer en ce pays les idées qu’il propagea ensuite dans toutes les capitales de l’Europe ; Nicopolis devenu Ramleh, où Octave fixa les destinées de l’Empire Romain, dont l’Égypte devint la si riche province, en y vainquant son rival Antoine ; Canope, sur le bras Canopique du Nil, qui rappelle en plus raffiné les délices d’Eleusis, centre de pèlerinage où les étrangers affluaient pour consulter Sérapis et y célébrer ses fêtes, localité où se livra en 1801 la bataille meurtrière qui aboutit à la capitulation d’Alexandrie et durant laquelle tomba le général Sir Ralph Abercromby, dont la stèle commémorative s’élève à Moustapha Pacha, à l’entrée du camp anglais ; Aboukir, autrement dit Zéphyrium, où Bonaparte et ses ennemis de l’heure ont laissé au fort de ce nom, à l’îlot Nelson, au monticule 
du Puits, à la montagne du Cheikh, au mamelon du Vizir, de si formidables souvenirs et où le grand Méhémet-Aly fit même ses premières armes en sol égyptien.
N’a-t-elle pas relégué la mémoire de César et de Cléopâtre dans des ruelles impossibles, alors que de tels noms auraient dû, de même, sinon mieux peut-être que celui de Strabon, illustrer de grandes rues ou des ronds-points ? Le fait d’avoir appelé des haltes de tramways «Camp de César», (qui n’est d’ailleurs, que le Camp des Césars ou Camp des Romains), «Cléopâtra», ou, tout récemment, «Bains de Cléopâtre», est-il une réparation suffisante ?
Et puis, il faut qu’Alexandrie, encore repliée sur elle-même comme un géant meurtri, étende ses bras jusqu’à ces deux extrémités, Agami et Aboukir, pour les ouvrir tout grands aux étrangers qui afflueront plus que jamais vers ses rivages si cléments et si hospitaliers.
Il faut qu’Alexandrie devienne, sous peu, non seulement le plus grand port, mais encore la plus fastueuse porte de l’Orient.
Il faut qu’Alexandrie, point de rencontre jadis entre deux grands courants philosophiques, entre deux grands courants religieux, entre deux grands courants politiques, constitue le véritable trait d’union entre deux mondes, dont elle est précisément la ligne de démarcation."

extrait de "Alexandrie en plein essor", in Alexandrie, reine de la Méditerranée, Syndicat d'initiative de la ville d'Alexandrie, 1928, par Henri Girard, 1877-1957
, agriculteur-éleveur, membre de l'Académie d'agriculture, dont il fut le président en 1942, auteur de Présent et avenir agricole de la Basse Égypte, un domaine dans le Delta (1901)

lundi 6 décembre 2021

"Tout signe de vie semble être éteint en ce lieu d'une majesté imposante" (Albert Le Play, à propos de la Vallée des Rois)

La Vallée des Rois, par Francis Frith, 1857

"Bien plus intéressants sont les tombeaux des reines et surtout ceux des rois : ils sont assez loin dans le désert, percés dans les flancs de la chaîne lybique.
On quitte subitement la riche plaine arrosée par les canaux qui apportent le limon bienfaisant du Nil. La limite entre le sable du désert et la terre fertile est comme taillée à coups de hache (...).
Nous gagnons rapidement les premières collines de la chaîne lybique, par une chaleur torride ; il est environ midi, et le soleil darde ses rayons infernaux sur le roc brûlant ; tout signe de vie semble être éteint en ce lieu d'une majesté imposante ; il n'y a pas un souffle d'air ; cependant indifférent ou résigné à son sort, sans une goutte de transpiration dans la fournaise où il s'agite, mon âne continue à trottiner, sourd aux cris de son compagnon et guide qui cherche à modérer son ardeur.
De temps en temps, apparaît un épervier en quête de quelque charogne. Seuls, les lézards qui sont ici en très grand nombre semblent parfaitement heureux : ils se montrent tout d'un coup à la surface des rochers qui bordent la pente, se chauffent un instant, puis disparaissent, se poursuivent et font mille tours. Ils mettent une note gaie dans ce cadre d'une solitude troublante : partout, du sable et des rochers jaunâtres et nus ; une sensation étrange d'isolement vous envahit peu à peu sur ce chemin rocailleux et escarpé aboutissant là-bas à ces trous noirs percés dans la montagne qui cache dans ses flancs les tombeaux des plus puissants monarques de l'antiquité : c'est bien le chemin du Néant.
Ces tombeaux des rois de Bîbân-el-Moulouk présentent une disposition assez intéressante qui mérite d'être vue ; cependant, comme ils sont à peu près tous conçus sur le même plan, la visite de quelques-uns d'entre eux, des plus fameux, suffit à satisfaire la curiosité des profanes. Ces sépultures, que les anciens auteurs grecs désignaient encore sous le nom de "syringes", à cause de la ressemblance de leurs longs couloirs avec les roseaux d'une flûte de berger, sont au nombre d'une quarantaine, actuellement découvertes ; elles remonteraient à trois à quatre mille ans environ.
Tandis que les temples construits dans la plaine étaient consacrés au culte du mort, les tombeaux creusés plus loin dans la montagne étaient uniquement destinés à recevoir le sarcophage.
L'administration anglaise qui fait trop bien les choses, pour faciliter leur visite, y a installé l'électricité ; celle-ci surprend un peu dans un lieu pareil ; ces petites lampes électriques de seize bougies, auxquelles aboutit la voie sacrée suivie depuis quelques heures dans ce cadre d'une majesté si grande, font disparaître subitement l'atmosphère d'illusions dans laquelle se complaisait l'esprit qui s'était naturellement peu à peu reporté à tant de siècles en arrière (...).
Dans l'ensemble (ces tombeaux) se composent d'une série de couloirs et de chambres creusés dans le rocher. Les deux plus importants sont ceux de Ramsès III et de Séthos Ier. On traverse d'abord plusieurs corridors, bordés de petites chambres latérales où se trouvaient les ustensiles du mort et les objets dont il pouvait avoir besoin, puis, après un vestibule, on arrive dans la grande salle, à laquelle sont annexées d'autres pièces, et où, dans une excavation du sol, était placé le sarcophage.
Partout sur les murs, se trouvent des peintures décoratives, représentant le défunt sous la forme du dieu du Soleil criocéphale, ou traversant en barque, pendant la nuit, en compagnie de celui-ci, le monde infernal, peuplé de génies, de démons et de monstres, chargés d'indiquer au défunt la bonne route. D'une façon générale, ces peintures et ces sculptures égyptiennes sont assez monotones, et l'on ne peut s'empêcher de remarquer que cette représentation des formes des gens de l'époque laisse singulièrement à désirer. Les bras et les jambes ont l'air d'être en bois ; les sujets n'ont pas de hanches ; il y a de plus, communément, un défaut de perspective qui fait que les arrière-plans sont traités comme les premiers, ce qui donne aux membres une attitude tout au moins singulière.
Ces tombeaux sont, en somme, de très beaux caveaux très confortables et fort bien décorés. Avant de recevoir la visite des touristes, ils ont été plusieurs fois explorés, mais dans un autre but ; dès la plus haute antiquité en effet, ils ont été le théâtre de véritables pillages, à cause de la fâcheuse habitude qu'avaient les rois de se faire enterrer avec tout ce qu'ils avaient de plus précieux.
Il est curieux de voir à quel point les peintures, les sculptures et les bas-reliefs sont bien conservés. On ne peut en dire autant des corps mal momifiés qui y furent trouvés. Il y a environ vingt-cinq ans, on déblaya le tombeau de la reine Nifartari ; lorsqu'on enleva les bandelettes qui entouraient son corps, elle se mit à répandre une odeur telle qu'on dut l'enterrer rapidement. Cet événement décida les égyptologues à aérer toutes les momies : Ramsès II inaugura la série et exhiba ainsi ses formes avantageuses plus de trois mille ans après son décès."

extrait de Notes et croquis d'Orient et d'Extrême-Orient, 1908, Albert Le Play (1875-1964), docteur en médecine (Paris, 1906), biologiste, grand voyageur (il réalise un tour du monde entre 1906 et 1907), issu d'une famille de photographes - Lauréat de la Société de géographie.

lundi 29 novembre 2021

"Prisme des préjugés" et "vérité des faits" à propos de l'Égypte, selon le journaliste S. de Chonski (XIXe s.)

auteur et date du cliché non identifiables

"Nous sommes sujets, en France, à un singulier phénomène d'optique : plus une contrée se trouve rapprochée de nous, plus elle nous apparaît sous un faux jour, et, si notre examen se prolonge, notre erreur prend, sans peine, des proportions gigantesques.
Nos idées générales sur l'Égypte offrent un exemple frappant de ce travers de jugement. Il y a peu de pays dont on ait tant parlé, tant écrit, et, néanmoins, sur les événements les plus simples, dont la terre des khédives est journellement le théâtre, des énormités s'impriment dans les organes les plus autorisés de la presse française et s'accréditent sans discussion dans l'opinion publique.
D'un autre côté, peu de lecteurs daignent se donner la peine d'étudier et de rétablir dans leur entière vérité des faits aperçus à travers le prisme de nos préjugés, où, au milieu des émotions d'un chauvinisme presque toujours mal entendu.
Nos errements tiennent en effet à des raisons multiples.
Peu habitués à voyager, dès qu'il faut affronter quatre ou cinq jours de traversée, nous préférons juger les peuples voisins d'après nous-mêmes.
C'est généralement un honneur que nous leur accordons, mais nous devrions pourtant admettre que des races, absolument différentes de la grande famille latine, peuvent avoir le mauvais goût de ne pas penser, de ne pas vivre, de ne pas agir, ainsi que nous le faisons nous-mêmes.
Puis, en fait d'histoire, nous aimons à nous en tenir aux données recueillies distraitement sur les bancs de l'école ou dans les lectures hâtives de notre existence fiévreuse ; notre connaissance des pays étrangers, même les plus voisins, se bornent donc, pour beaucoup d'entre nous, aux banalités des guides des voyageurs.
Enfin, tous les écrivains qui se sont aventurés en Égypte étaient, soit des savants, soit des fantaisistes.
Les égyptologues ont déchiffré les rébus hiéroglyphiques, ils les ont commentés et même - au besoin - inventés, mais ils ont toujours eu soin de se tenir hors de la portée des profanes.
Les fantaisistes, poètes pour la plupart, ou romanciers, ont créé un Orient spécial qui existe seulement dans leur imagination surchauffée par un soleil ardent, hantée par des visions légères de houris ou d'aimées.
Quant aux diplomates et aux journalistes, ils appartiennent à un clan plus terre à terre, et, nous décrivent le pays en partant d'une opinion faite d'avance, en suivant une ligne de conduite toute tracée par les obligations diplomatiques ou par les exigences du journal.
Nos croquis n'auront qu'une prétention, et, si ce n'est pas trop dire - un mérite - celui de la vérité.
Avec la plus grande impartialité, nous nous attacherons simplement à essayer de détruire les absurdes fantaisies qui, à force d'avoir été ressassées, ont pris les allures d'axiomes incontestables.
Ni poètes ou savants : ni optimistes ou pessimistes, - vrais.
"Pas de pays plus riche que l'Égypte ! Pas de peuple plus indolent que l'Égyptien !" se sont écriés tous les publicistes - ou presque tous - avec une entente d'autant plus touchante, qu'elle est plus rare.
Les deux qualificatifs sont complètement erronés. Pour s'en apercevoir, et bientôt s'en convaincre, il suffit au voyageur, le moins enclin à l'observation, de monter dans un wagon du chemin de fer - allemand, mais confortable - qui fait le service entre Alexandrie et le Caire.
Il y a deux panoramas bien distincts, bien différents l'un de l'autre : celui du Delta, et celui de la moyenne Égypte.
D'abord, à perte de vue, des champs verts sous l'enchevêtrement des canaux.
Près de la voie ferrée, ici, une mosquée au dôme en moitié d'orange ; là, une cheminée de haut fourneau ; plus loin une sakièh qui, en grinçant, élève l'eau nécessaire à l'arrosage ; partout dans la verdure, un fourmillement d'hommes, de femmes, d'enfants qui défrichent, ensemencent, arrosent, moissonnent.
Un jour d'interruption dans ce labeur infernal, c'est la gerbe qui jaunit, brûlée : c'est le champ qui se crevasse, desséché !
Dans le lointain, le reflet gris-bleuté d'un grand lac !
Cette Égypte-là est fertile ; mais, au prix de combien d'efforts, de difficultés, d'alternatives et d'inquiétudes ! Brûlé par une chaleur torride, sans un moment de sieste, il faut que le paysan lutte perpétuellement pour le pain quotidien.
À la ville, c'est le même tableau.
Un fouillis d'hommes, de femmes, d'enfants se livrant à tous les petits commerces des rues. Fruits, légumes, arachides grillées passent et repassent dans les éventaires, en équilibre sur la tête des marchands.
Des gamins suivent et pressent en courant leurs ânes loués pour plusieurs heures.
Dans la maison en construction, le père de famille utilise tous les bras de sa smala.
Dans les fabriques, jamais les machines ne s'arrêtent, et, pour un salaire infime, les équipes d'ouvriers se succèdent en se partageant les vingt-quatre heures du jour.
Voilà cependant le peuple auquel nous avons fait un renom d'indolence.
Poursuivons notre excursion.
Nous avons dépassé Tantah, où des foires colossales amènent deux fois par an, et par centaines de mille, tous les petits commerçants du pays.
Le Caire apparaît ! et, déjà sur l'horizon immense se détache une ligne jaunâtre : c'est le désert, le sable, le néant.
Plus d'eau !
Rien ne pousse, que quelques racines rabougries de tamarins rampant sur la poussière.
Plus de culture !
Rien ne subsiste, que les rares bouquets de palmiers desséchés sur pieds.
À l'infini s'étend, désolé, presque lugubre, l'océan d'ocre, où les pieds des chameaux enfoncent comme embourbés, et sur lequel surgissent les triangles inégaux des Pyramides, témoins muets d'un temps préhistorique, où ce sable a dû être cultivé, couvert d'une population énorme, qui a pu seule arriver à entasser les blocs gigantesques du tombeau de Képhren.
À partir du Caire, aussi loin que nous remonterons vers le centre de l'Afrique, aussi loin que s'étendra l'Égypte, bien au-delà de Wadi-Halfa, cette frontière scientifique inventée par l'Angleterre, car de borne naturelle au sud, le pays n'en a pas, le tableau sera le même.
La frontière naturelle, ce n'est en effet, ni Berber, ni Korosko, c'est la ligne au delà de laquelle la barbarie et le désert défendent aux percepteurs de taxes de pénétrer.
Aussi haut qu'on voudra s'aventurer, l'aspect général du pays, c'est le panorama que tous les touristes vont admirer de Hélouan, cet Enghien des Cairotes.
Deux énormes nappes de sable jaune s'allongent, coupées par un filet étincelant, - le Nil - que bordent deux étroits lisérés d'un vert sombre - les terres cultivées.
Voilà le pays dont la fertilité est si vantée par les faiseurs de rapports officiels : deux bordures verdoyantes et le Fayoum, - un point vert, - dans la poussière aveuglante du désert."

extrait de Croquis égyptiens, 1887, par S. de Chonski, rédacteur-directeur du service des affaires étrangères au journal Le Constitutionnel.

samedi 27 novembre 2021

"Thèbes, ta poussière est faite de héros, de rois et de dieux " (Lucien Augé de Lassus - XIXe s.)

auteur et date de ce cliché non précisés (domaine public)

"Thèbes, cité royale et sainte
Dont cent portes perçaient l'enceinte,
Ô toi qui détrônas Memphis !
Terre en héros longtemps féconde,
Qui lançais à travers le monde
Le flot débordant de tes fils !

Tes rois, de l'Éthiopie ingrate
Aux bords fortunés de l'Euphrate,
Planaient, aigles victorieux.
Que de fleurons à ta couronne !
Dans le passé ton nom résonne
De tons les fracas glorieux !

Maintenant de débris sans nombre
Ton immense ruine encombre
Du désert le sable doré.
Vide et muette, tu contemples
La grande image de tes temples
Que reflète le Nil sacré.

Oh ! combien ont compté d'aurores
Tes colosses aux flancs sonores,
Quand à l'Orient radieux,
Le gai soleil, dardant sa flamme,
Sous ses baisers éveillait l'âme 
De tes granits mélodieux !

J'aime ces formidables bornes
Qui dressent dans les plaines mornes
Leur front par la foudre ébréché.
Là, le soir, vient le vautour chauve
Qui ferme sa prunelle fauve
Et l'aile basse dort perché.

C'est la tombe ; et pourtant il semble
Que l'air vibre, que le sol tremble.
Tant de gloire ébranla ces lieux !
Tu triomphes dans ta défaite,
Thèbes, et ta poussière est faite
De héros, de rois et de dieux !"

extrait de Thèbes, hymne et chanson, 1877, par Lucien Augé de Lassus (1841-1914), auteur dramatique, poète, librettiste de Camille de Saint-Saëns, archéologue, passionné de voyages.

mercredi 24 novembre 2021

"La majesté de l’architecture des anciens Égyptiens", par Alexandre Lacorre, XVIIIe-XIXe s.)

Louxor - allée des Sphinx à tête de bélier, par Antonio Beato, 1864

"On peut, après avoir vu Girgéh, se former une idée de la Haute-Égypte. À mesure que l’on monte, et que le terrain se rétrécit entre les deux chaînes stériles qui l’enferment, on remarque même que la végétation acquiert encore plus de forces, et la nature de nouveaux charmes : on dirait que cette mère prodigue veut témoigner à l'Égypte, en l’accablant de présents, le regret qu’elle a de la quitter pour aller expirer dans les déserts qui l’attendent aux confins de la Nubie.
Il faut voir Kennéh (l’ancienne Thèbes), Luxor, les temples d’Esnéh et de Denderah, pour se convaincre de la majesté de l’architecture des anciens Égyptiens : on se croit transporté dans le pays des fées et des génies. Ce ne sont que colosses, que portiques gigantesques de deux seuls blocs. Des obélisques, des colonnes d'une hauteur prodigieuse, se trouvent entassés dans un espace très rapproché. À quelques pas plus loin, on voit une allée de sphinx, d’un quart de lieue de long. Personne ne résiste à l'impression de grandeur que produit l’accumulation de ces masses ; presque toutes sont de granit. Plusieurs temples subsistent encore, aussi bien conservés que le plus récent de nos édifices publics, et cependant le plus moderne n’a pas moins de 4000 ans.
Les montagnes de la Lybie sont percées en face de Thèbes, d’un nombre étonnant de grottes sépulcrales, ornées de bas-reliefs et de peintures à fresque. Elles servirent d’habitations aux premiers hommes qui peuplèrent les bords du Nil, et ils en firent ensuite des caveaux pour leurs momies : on en trouve tous les jours dans ces souterrains, où elles sont placées dans des espèces de niches. J’ai vu au Caire trois de ces corps embaumés ; ils étaient renfermés dans des coffres de bois de sycomore, qui s’ouvraient comme un étui de violon. Ils avaient en outre une enveloppe de carton très épais, formé de toiles collées les unes contre les autres. Deux des coffres étaient sculptés ; le troisième était sans ornement en relief, mais son enveloppe de carton était couverte d’hiéroglyphes. Dans une autre momie, les hiéroglyphes étaient dessinés sur le coffre de bois qui était tapissé de toiles fines et peintes, et l’enveloppe de carton ne présentait que des peintures insignifiantes, mais qui avaient conservé tout leur éclat et toute leur fraîcheur. Ces momies, comme celles que j’ai eu occasion de voir par la suite, étaient entortillées de longues et larges bandes de toile, depuis la tête jusqu’à l’extrémité des pieds ; les ongles, qui dans quelques-unes
étaient dorés, avaient un entourage de fil, pour les empêcher de tomber. On a trouvé dans la bouche de plusieurs momies une petite pièce d’argent : c’était le tribut qu’il fallait payer pour passer l’Achéron."

texte extrait de Coup d'oeil sur l'Égypte et la Palestine, 1807, par Alexandre Lacorre, ex-employé dans l’armée d’Orient et simple commis aux vivres, attaché à la division du général Lannes pendant la campagne de Syrie, puis plus tard, adjoint aux gardes-magasins de Rosette et du Caire pendant la Campagne d’Égypte.




lundi 22 novembre 2021

Un musée "excessivement intéressant, disposé avec un goût extrême" (Achille Fouquier, à propos du musée de Boulaq)


Illustration extraite de l'Album du musée de Boulaq : comprenant quarante planches / photographiées par MM. Delié et Béchard ; 
avec un texte explicatif par Auguste Mariette-Bey, 1872

"J'avais pour M. Mariette, le savant égyptologue, une lettre d'introduction, je désirais le voir et visiter aussi l'intéressant musée d'antiquités qu'il a fondé à Boulaq, sa résidence habituelle. Je me rendis donc à ce joli village situé sur la rive droite du Nil. Boulaq contient 4 ou 5,000 habitants. C'est le port de toutes les barques qui viennent de la basse Égypte à destination du Caire, de sorte qu'aux abords du fleuve il règne toujours une animation extrême. Quant au musée, il est excessivement intéressant, et, quoique dans un local provisoire, dit-on, il est disposé avec un goût extrême.
En parcourant les salles bien éclairées où sont déposés les précieux restes d'une civilisation qui remonte à bien des siècles, on reconnaît vite le soin en toutes choses, l'esprit de méthode qui caractérise les Occidentaux. Mais comme il faut rendre à César ce qui appartient à César, on doit avant tout remercier le vice-roi d'avoir mis M. Mariette à même de réunir tant d'éléments précieux pour l'histoire.
Jadis les antiques monuments de l'Égypte, les grandes villes en ruine, les nécropoles que l'on trouve dans leur voisinage, étaient comme des mines où les fellahs allaient puiser à l'aventure, et sans discernement, tout ce qu'ils vendaient aux étrangers désireux de recueillir quelques débris du passé. Bien des objets d'un haut intérêt ont été ainsi dispersés dans des collections particulières qui se sont elles-mêmes évanouies à la mort de celui qui les avait faites. L'ignorante avidité des chercheurs d'antiquités a souvent amené la destruction de monuments très intéressants.
Pour couper le mal dans sa racine, le vice-roi décida que puisque le sol de l'Égypte lui appartenait, il était également le seul et unique possesseur de tout ce que la terre recélait au-dessous de sa surface. Il fut donc interdit aux fellahs de faire la moindre fouille, de rechercher la moindre antiquité et d'en faire le commerce. Extraire une momie de son tombeau, et la vendre, fut considéré désormais comme un vol commis au préjudice de Son Altesse. S'il n'est pas facile de faire exécuter cette mesure dans toute sa rigueur, elle n'en a pas moins eu pour résultat d'arrêter en grande partie le pillage qui n'eût été qu'en augmentant avec le nombre de plus en plus considérable des voyageurs qui visitent l'Égypte. (...)
Sous l'habile direction de M. Mariette, bien des fouilles ont été exécutées et ont amené des découvertes de la plus haute importance. II ne s'est pas borné à garnir les murs du musée de Boulaq de stèles, ou pierres gravées couvertes d'hiéroglyphes, à exposer aux regards les statues en granit et en porphyre des rois qui ont régné jadis sur l'Égypte, à mettre dans des vitrines les scarabées que l'on trouve avec les momies, les petites figures des
nombreuses divinités qu'on plaçait auprès des morts pour les sanctifier et les protéger, et les divers ustensiles qui servaient, soit au culte, soit aux usages quotidiens des hommes d'autrefois ; il a fait encore un catalogue dont la lecture attentive suffirait pour initier aux idées religieuses, aux mœurs et aux habitudes des anciens habitants de la vallée du Nil. Ce catalogue a le rare mérite de décrire, en quelques mots, chaque objet avec clarté et précision, d'en indiquer l'usage et de n'être pas d'une lecture aride comme le sont ordinairement ces sortes d'ouvrages.
Il est aisé de voir, en parcourant le musée, que l'art égyptien a subi des phases bien diverses : il a, pendant certaines périodes, brillé avec éclat, puis sont venus les temps de décadence. Sans pouvoir lire ni comprendre les hiéroglyphes, on reconnaît dans le soin, la précision, l'élégance de la gravure, des différences telles qu'elles frappent au premier coup d'œil.
La vue des statues donne lieu aux mêmes remarques. Les belles époques de l'art ont toujours concordé avec celles de la prospérité du royaume, comme on peut s'en assurer en étudiant la suite des événements qui se sont accomplis dans l'Égypte ancienne.
Depuis que le génie de Champollion a découvert les moyens de lire les caractères hiéroglyphiques, l'histoire de ce pays, écrite en grande partie sur ses monuments, a pris tout à coup un degré de précision inattendu. Les trois premières dynasties pharaoniques restent encore enveloppées de ténèbres ; mais à partir de la quatrième la lumière se fait, car on sait que la grande pyramide de Guiseh, construite par Chéops, date de cette époque lointaine. Elle prouve à elle seule que, dans un temps où les nations qui devaient occuper plus tard la plus grande place dans l'histoire du monde étaient encore plongées dans une barbarie profonde, déjà sur les bords du Nil il existait une civilisation tellement avancée, qu'on doit augmenter le nombre, admis jusqu'ici, des siècles écoulés depuis que les hommes sont constitués en société régulière."

De ses voyages (Europe, Balkans, Afrique du Nord, Proche et Moyen-Orient), Achille Fouquier (1817-1895), diplômé de l'École des mines de Paris, rapporta de nombreuses illustrations. Il relata également ses périples dans quelques ouvrages, dont 
Hors de Paris : canal de Suez, Le Caire, Jérusalem, Damas, publié en 1869, dont est extrait le texte ci-dessus.