mercredi 21 novembre 2018

"Les Égyptiennes avaient le désir de préciser leur beauté naturelle par les merveilleux artifices de la coiffure" (Stéphane, coiffeur)

Peinture de la chambre funéraire de "Userhet"
 "Il y a des milliers d'années, les Égyptiennes avaient le désir de préciser leur beauté naturelle, par les merveilleux artifices de la coiffure et de ses attributs. Déjà donc, dans la vieille Égypte, la toilette était, pour la femme de haut rang, d'un intérêt aussi puissant que pour la grande élégante de nos jours. (...)
La coiffure était la partie la plus riche de l'habillement. Sa préparation constituait une laborieuse opération. En premier lieu, la coiffure exigeait certainement que la chevelure fût coupée à différentes longueurs bien étagées. Ensuite, elle était séparée en centaines de petites mèches que l'on formait en nattes. L'ensemble obtenu par ces fines petites tresses - partant toutes du sommet de la tête - grâce à la coupe préalable, se disposait naturellement en chute verticale et étagée, couvrant le front, les tempes et les épaules.
La coiffure, dans la pratique, connut certainement d'autres dispositions. Nous retrouvons une coiffure aux cheveux roulés en spirales et formant de longues boucles, toutes d'épaisseur égale et très nettement roulées. Elles tombent droites, presque rigides autour du visage et sur la nuque. Le dessus de la coiffure épouse la conformation de la tête.
En raison de la longue préparation que nécessitait la réalisation d'une coiffure avec des cheveux naturels, généralement très abondants, la perruque fut d'un usage presque général. Cette chevelure fausse est d'un poids considérable. Il s'en fit de couleur bleue. La perruque était en laine chez les pauvres, en cheveux de coupe chez les riches.(...)

On piquait dans les cheveux, des peignes décoratifs - en bois - à dents très courtes, ornés parfois à la partie supérieure de figures d'animaux. (...)
Chez ce peuple industrieux, la fabrication des fleurs artificielles était aussi courante que de nos jours. Les coiffures étaient agrémentées de ces imitations florales, éclatantes de couleurs.
Il est certain que, dès ces temps reculés, la chevelure était considérée comme la plus précieuse des parures naturelles et que l'offrir en sacrifice était un présent digne des divinités.
Bérénice, reine d'Égypte, pendant une campagne entreprise par son mari, et craignant pour sa vie, fit vœu de consacrer ses cheveux à Aphrodite. Le roi ayant triomphé, elle sacrifia sa chevelure. Mais celle-ci disparut du temple de la Déesse. L'astronome Conon persuada la reine que sa chevelure avait été emportée au ciel et changée en astre. Il donna à une constellation de sept étoiles - qu'il venait de découvrir - le nom de "Chevelure de Bérénice". Les poètes chantèrent cette métamorphose.
Les habitants de la contrée du Nil, pour résister à l'éclat extraordinaire du soleil, durent se protéger de ses rayons brûlants et portèrent des bonnets dénommés "Claft". Mais l'éveil du bon goût féminin fit de ces couvre-chefs des coiffures riches et variées ; certains furent combinés à la chevelure, avec beaucoup de recherche et d'originalité.
La moindre parure était la bandelette. Pour les grandes cérémonies les ornements étaient plus importants et les coiffures étaient rehaussées de diadèmes d'or. Certains de ceux-ci comportaient des garnitures importantes figurant des pintades, des oiseaux aux plumes de couleurs vives, des têtes de faucons, d'éperviers, des plumes d'autruches montées très droites et très hautes, ou encore des riches parures cloisonnées d'or, serties de lapis, de grenats, de turquoises ou enfin des fleurs de lotus.
Les coiffures royales étaient seules à être surmontées du reptile sacré des Égyptiens : la vipère, attribut des Pharaons. (...)
Bien que l'art égyptien fût un art libre et aisé, il ne nous laisse qu'une idée imprécise du faste de la parure des reines égyptiennes, dans leur luxe éblouissant."



extrait de L'art de la coiffure féminine : son histoire à travers les siècles, 1932, par Stéphane (19..?-....), coiffeur. Aucune information à notre disposition sur cet auteur.

mardi 20 novembre 2018

"Thèbes est peut-être la ville la plus intéressante d’Égypte" (Edith Louisa Butcher)

Illustration extraite de l'ouvrage

"Thèbes, aujourd'hui appelée Louqsor, est peut-être la ville la plus intéressante d’Égypte. Là est le superbe temple de Karnak, dont la construction se poursuivit pendant plus de deux mille ans et qui mit ensuite deux mille ans à tomber en ruine. Les ruines en sont encore debout, et elles nous présentent l'histoire d’Égypte, gravée sur la pierre, depuis Usertesen, de la douzième dynastie, jus-qu'au jour où l'empire florissant de jadis devint une province romaine. 
On y peut contempler les grandes routes qui reliaient entre eux ces merveilleux temples ; elles étaient bordées de sphinx dont les restes mutilés ornent encore maintenant le bord du chemin. Des processions somptueuses traversaient le fleuve, allant des temples situés sur la rive orientale à ceux qui couvraient la rive opposée. Elles couchaient dans les flancs de ces collines stériles les morts puissants, et aujourd'hui, le voyageur venu des lointaines contrées de l'Occident, dont l'existence était presque ignorée à l'époque où les Pharaons régnaient sur le Nil, va profaner d'un regard curieux ces dépouilles exposées dans des vitrines. 
Là aussi se dresse, sur la rive occidentale, le temple de la plus grande reine d’Égypte ; il porte, gravée sur ses murailles, la longue histoire de son règne plein de magnificence. C'est dans une des châsses de ce temple que fut trouvée la vache Hathor qui orne actuellement le Musée égyptien. 
On a écrit bien des livres savants sur les ruines émouvantes et superbes de Thèbes aux cent portes ; mais elles sont d'un intérêt si profond et si pathétique que, même s'il avait lu tous ces livres, le visiteur aurait besoin de plusieurs semaines pour pouvoir étudier avec fruit ces splendeurs écroulées. Or les compagnies de bateaux à vapeur pour touristes lui accordent tout juste quatre jours."


extrait de En Égypte : choses vues, 1913, par Edith Louisa Butcher (1854-1933). Née Edith Louisa Floyer, elle a épousé, le 26 juin 1896, à l’âge de 42 ans, le révérend Charles Henry Boucher, chapelain de l'église anglicane All Saints Church à Ezbekiyya au Caire



 

"L’œuvre de la nature reste infiniment supérieure, en Égypte, à l’œuvre de l'art" (J. de Beauregard)

Jean Pascal Sebah, Statue de Ramsès

"Entre son lac, le désert, et le fleuve, Memphis régnait superbe, avec ses six lieues de pourtour : elle pouvait se croire sûre de l'avenir. Mais non : Memphis est là, au contraire, avec Babylone, Ninive, Balbeck, et vingt autres gigantesques cités aux constructions cyclopéennes, pour proclamer que l'avenir se rit des créations humaines, et n'appartient qu'à Dieu ! Au XIIe siècle, quand Abdallatif visitait les ruines de Memphis, elles étaient encore assez considérables pour qu'il ait pu dire qu'elles "confondent la raison". Depuis, on a bâti le Caire, avec leurs débris : mais la nature réparatrice a fait à Memphis une sépulture digne d'elle ; le Nil a recouvert la plaine de son limon ; et une forêt de palmiers a poussé dessus, qui balancent, au sommet de troncs énormes, leurs palmes gracieuses sur la nécropole à jamais endormie. Au surplus, pareille à un des bois sacrés de la mythologie antique, cette forêt garde un trésor qui en dit plus, sur l'âme de l’Égypte et la nature de son génie, que ne le feraient peut-être, si elles existaient encore, les ruines accumulées des palais et autres monuments granitiques de la capitale : c'est le colosse de Ramsès II, le plus glorieux des Pharaons (...). Couchée maintenant sur le dos, sous de verts ombrages, la statue de Ramsès a été trouvée, presque intacte, il y a quelques années, dans le lac de Bédrachein : seuls, les pieds ont disparu. Or, l'illustre Pharaon la fit élever en souvenir de la victoire qu'il venait de remporter, à Kadesch, en Palestine, sur les Kétas et autres peuples de l'est. (...)
... cette tête qui porte la double tiare des Pharaons et qui rappelle, par la courbe du nez et la grosseur des lèvres, le type sémitique, a une incroyable expression de jeunesse héroïque ; la bouche s'épanouit dans un noble sourire ; et une grande pensée dilate ces yeux pleins d'un clair courage : c'est un portrait parlant ! Le sculpteur inconnu, dont le ciseau inspiré a fait jaillir du granit ce monumental chef-d’œuvre, a donc réellement exprimé ici l'idéal d'un Pharaon, c'est-à-dire, d'après la pensée antique, d'un roi de justice et de vérité, d'un héros qui s'identifie avec le dieu national qu'il manifeste. Pour une fois, l'art égyptien a donc brisé, à Memphis, sa gaîne hiératique : il s'est affranchi des lourdes préoccupations tombales qui, partout ailleurs, lui ont brisé les ailes, en l'emprisonnant dans l'implacable donnée des Pyramides ; et ainsi, pour une fois, il a magnifiquement devancé l'art grec et moulé l'idéal dans la vie. Certes, je ne nie point que les Pyramides, le Sphinx, et les temples laissés par les Pharaons ne témoignent éloquemment de leur puissante imagination, et n'affirment bien haut leur goût prodigieux pour les édifices grandioses. Ils avaient indiscutablement le sentiment du beau et l'attrait du colossal ; ils l'ont même poussé à un degré extrême, au point de stupéfier, par leurs procédés de constructions, nos plus émérites architectes modernes, qui s'avouent impuissants à dégager l'inconnue de ces invraisemblables problèmes de balistique. Mais, tout compte fait, l’œuvre de la nature reste infiniment supérieure, en Égypte, à l’œuvre de l'art.
Quelque belles et imposantes que soient, par elles-mêmes, les masses de pierres, elles le sont encore davantage par le cadre enchanteur qui les enserre, par les sites incomparables dans lesquels des artistes épris du beau les ont placées : sans doute, ici, l'on admire les temples et les cônes cyclopéens ; mais on est plus ébloui encore par les spectacles insoupçonnés que la nature donne de ces merveilles, en les montrant sous des couleurs inconnues. Au contraire, avec cette statue de Ramsès, l'Art reprend tous ses avantages : elle en dit plus, à elle seule, que toutes les pyramides et tous les pylônes, parce que, encore un coup, dans ce pays où le côté pittoresque séduit plus que le côté architectural, on éprouve, en face de l'admirable colosse, la sensation du grand Art, tel que le conçurent les sculpteurs du roi Menés, devanciers, cette fois seulement, des Phidias et des Praxitèles."


extrait de
Parthénon, Pyramides, Saint-Sépulcre : Grèce, Égypte, Palestine, par J. de Beauregard (1844-1929), pseudonyme de l’abbé James Jean-Pierre Condamin, professeur de littérature étrangère et de littérature romane à l’Institut catholique de Lyon (France).

lundi 19 novembre 2018

"À Beni Hassan nous suivons de la première à la dernière les pratiques de l'agriculture égyptienne" (Max Dunker)

Récolte de fruits - tombe de Khnumhotep II (cliché Université de Macquarie)

"Si les grandes constructions nous montrent les derniers progrès d'une civilisation fort avancée, rien ne nous empêche de compléter le tableau en observant dans le plus grand détail l'état, la vie, les mœurs, les usages, les arts du pays. Nous n'avons qu'à jeter les yeux sur les tombeaux taillés dans les rochers de Béni Hassan, de Berschéh et de Siout (moyenne Égypte) qui appartiennent à cette période de l'histoire d’Égypte. On voit sur les tombeaux de Berschéh le transport d'une statue colossale. L'inscription qui l'accompagne lui donne 6m,82 de haut. Elle est posée sur un traîneau et tirée à bras d'hommes. 
À Béni Hassan nous suivons de la première à la dernière les pratiques de l'agriculture égyptienne. Des bœufs ou des esclaves tirent les charrues qui sont de cinq modèles différents. À défaut de herse, des brebis et des chèvres enterrent en piétinant les grains ensemencés. Le blé coupé est mis en gerbes, foulé par des bœufs au lieu d'être battu, mis en sac et porté dans les greniers. On charge le lin sur le dos des ânes, on cueille le lotus et les figues, on vendange. Le raisin est tantôt foulé aux pieds, tantôt pressuré dans un pressoir à levier ; les vases remplis de vin s'en vont aux celliers. Nous voyons arroser les champs, cultiver les jardins, soigner les oignons ; nous voyons le régisseur et ses scribes. Le régisseur juge les ouvriers paresseux et négligents ; après avoir entendu l'accusation et la défense, il fait appliquer la bastonnade au coupable et présente au maître un rapport écrit sur l'incident. Nous suivons avec la même exactitude l'élève du bétail. Nous voyons de beaux troupeaux de bœufs, de vaches et de veaux, d'ânes, de brebis et de chèvres, à l'écurie ou au pâturage avec leurs bergers. Nous voyons traire les vaches, fabriquer le beurre et le fromage. Une foule de canards et d'oies, appartenant à diverses espèces garnissent les basses cours. Même facilité à étudier exactement les métiers à l'œuvre, grâce aux tableaux des tombeaux de Béni Hassan. Nous voyons filer et tisser ; nous suivons le potier dans toutes les phases de sa besogne, depuis la première manipulation de l'argile jusqu'à l'achèvement et à la cuisson du vaisseau. Le charpentier et le tourneur, le tanneur et le cordonnier, le forgeron et l'orfèvre, le tailleur de pierres et le peintre travaillent sous nos yeux ; nous voyons confectionner des rames, des lances, des javelots, des arcs et des flèches, des massues et des haches d'armes, préparer enfin et même souffler le verre en passant par toutes les opérations.
La maison égyptienne nous découvre tout son intérieur, simple ou riche, avec son mobilier complet, avec les chiens, les chats et les singes qui comptaient parmi les habitants. La domesticité est sur pied et la cuisine fonctionne en grand. Ailleurs ce sont des soldats de toute arme et des officiers de tout grade, la discipline et l'art, militaire en action, la bataille, le siège, le bélier qui bat les murs ennemis, le toit de boucliers sous lequel l'armée assiégeante s'approche pour donner l'assaut.
Nous voyons comment on prenait les oiseaux avec des pièges et des filets, les poissons à l'hameçon, au filet, avec une fourchette à deux ou à trois dents ; nous assistons à plusieurs sortes de chasses. De longues files
de lutteurs nous font voir toutes les attitudes de cet exercice qui paraît avoir été fort pratiqué. À divers autres exercices de gymnastique se mêlent des jeux de pur amusement, par exemple celui de la balle et celui de la mourre. Nous voyons des danseurs et des danseuses dans les attitudes les plus variées et les plus étudiées ; les harpes et les flûtes qui se font entendre offrent une grande diversité de formes. Voici un chanteur qu'un musicien accompagne avec la harpe ; deux chœurs, l'un d'hommes, l'autre de femmes marquent la mesure avec les mains et complètent le concert. Les grands nous apparaissent dans des barques ou des litières richement ornées ; ils ont un nombreux cortège dans lequel nous remarquons beaucoup de nègres, des nains et quelques monstres humains." 


extrait de Les Égyptiens : histoire de l'antiquité, par Max Dunker (sic pour Duncker) ; traduction Mossmann.  Maximilian Wolfgang Duncker (1811-1886) était un historien et homme politique allemand

À travers le Delta (Saïs, Dessouk, Fouah, Rosette...), par Maxime Legrand


"Un bourg du Delta" - illustration extraite de l'ouvrage de l'auteur

"Le monde ne renferme pas de terres plus fertiles que ces rives du Nil ; il en renferme peu qui mettent à plus rude épreuve l'industrie du cultivateur. Des appareils de diverses sortes sont employés pour l'arrosage des buissons de cotonniers, des champs de blé, de lin et d'indigo.
Mais que sont ces bourgs bâtis juste sur la rive et les habitations qu'ils contiennent ? Un torchis de limon du Nil, un toit en branches et en pousses de palmiers sur lesquelles on étend de la terre, voilà la cabane d'un fellah pauvre ; les paysans riches habitent des maisons de briques séchées au soleil ; les maires de village, assez fréquemment, des bâtisses somptueuses en briques cuites. Aucune fenêtre n'ouvre sur la rue ; au-dessus de beaucoup de portes, des ornements fort simples, losanges, oves, spirales. Des tas d'ordures, recouverts de mauvaises herbes, dans lesquels les chiens poltrons cherchent leur nourriture avec force glapissements, barrent la rue du village ; parfois on rencontre le cadavre en décomposition d'un âne tombé sur place. Un minaret domine huttes et maisons ; des sycomores, le plus bel ornement de la localité, étalent leurs couronnes ombreuses, des dattiers élancés se bercent au vent, des acacias couverts de longues grappes de fleurs exhalent un doux parfum, des tamaris toujours verts ou des caroubiers s'élèvent, chargés de leurs gousses. (...)

Qu'on laisse le bateau et qu'on s'enfonce dans l'intérieur des terres, on trouve, un peu plus loin vers le nord, un bourg, des collines de décombres, un petit lac ; sur le bord de l'eau, des cigognes et une bande de hérons argentés, qui laissent approcher jusqu'à la distance de quelques pas, avant de détourner leur cou gracieux et de s'élever sur leurs ailes, pour s'en aller planer dans la direction du Nil, comme un nuage blanc. Ce sont les ruines de Saïs, la brillante résidence des Pharaons, la ville savante où florissait une école non moins célèbre parmi les Grecs que parmi les Égyptiens. Le bourg, dont la mosquée s'élève auprès des ruines, a conservé le nom orgueilleux de Saïs, sous la forme Sa ou Sa-el-Hagar. Jamais la prospérité matérielle de l'Égypte, jamais le nombre de ses villes et de ses habitants n'a été porté aussi haut qu'il le fut sous le règne de cette dynastie saïte, amie des Grecs. Mais depuis ? Un sentiment d'épouvante glace le sang, quand on jette les yeux sur les plaines désertes et sur les misérables ruines grises qui nous entourent. Pendant les premiers siècles de l'ère chrétienne, Saïs est encore citée comme étant le siège d'un évêché. Plus tard, nulle mention n'est faite de son existence : quant à son passé, il vivra toujours dans la mémoire des hommes.
Plus loin encore vers le nord, après trois heures de navigation, on arrive dans le port d'une jolie ville, Dessouk. Son marché hebdomadaire et son marché aux chameaux sont renommés. Devant la mosquée du cheik Ibrahim, paysans et Bédouins, en groupes pittoresques, font affaire, bavardent, jouent les uns avec les autres. La coupole majestueuse de la mosquée vient d'être fraîchement peinte, car bientôt, huit jours après la foire de Tantah, le jour de fête du saint de Dessouk, dont la renommée ne le cède, en Égypte, qu'à celle du saint Seyid-el-Bedaoui de Tantah, sera célébré par la prière et le marché annuel, par des récitations du Koran, enfin par des danses religieuses et des réjouissances publiques. Rien de plus oriental que ce spectacle. Parmi les femmes qui apportent au marché des légumes et de la volaille, ou vont en groupes animés s'approvisionner d'eau pour les besoins de la maison, se glisse plus d'une apparition pittoresque. Peut-être est-ce à Dessouk que s'élevait l'ancienne Naukratis.
Si l'on continue vers le nord, on rencontre sur la droite la petite ville proprette de Fouah, sur la gauche Foum-el-Mahmoudieh, où des machines à vapeur refoulent l'eau du fleuve dans le canal qui réunit Alexandrie au Nil. On passe ensuite devant la colline d'Abou-Mandour, couronnée de palmes, et le port de Rosette apparaît, encombré de bateaux arabes. Beaucoup de maisons de belle apparence, ornées de balcons, élevées à plusieurs étages, et presque européennes d'extérieur, donnent l'impression d'une ville trop spacieuse pour ses 17.000 habitants. Les jardins de Rosette sont charmants et bien entretenus ; la ville s'appelait en copte Ti Rashit, qu'on peut traduire par la Ville de la Joie. En sortant par la porte du nord, on rencontre quelques ouvrages de défense, entre autres le fort Saint-Julien. C'est en ce lieu qu'en 1799 fut trouvée la célèbre pierre de Rosette."  


extrait de La Vallée du Nil, époque contemporaine, 1892, par Maxime Legrand

Quand la nuit tombe sur la vallée du Nil : "Une paix qu'aucune parole humaine ne saurait traduire", par Jacques du Tillet

peinture d'Augustus Osborne Lamplough (1877-1930)
"Les sabots de nos ânes, ouatés tout à l'heure par l'épaisseur du sable, résonnent sur un sol rocheux où roulent des cailloux polis. Nous avançons jusqu'à l'extrémité du plateau, et notre vue s'étend sur le Désert.
Des dunes allongent leurs courbes molles et sans fin, et pas une aspérité ne vient en rompre le trait pur. Elles se croisent, se succèdent, se quittent et se rejoignent à travers l'immensité.
À nos pieds, des vallons ouvrent leurs creux 
sombres, et le sable dont ils sont revêtus est uni et miroitant comme une étoffe de soie. Des sentiers s'indiquent, tracés par les pieds lourds des chameaux, et leur ligne droite s'affine jusqu'à l'horizon... Le soleil baisse. Les ombres grandissent, s'étalent, se couchent. A l'Ouest, le ciel flambe, tout rouge. Vers l'Est, le Caire est inondé de lumière. Des Pyramides jusqu'au Mokattam, un immense voile rose semble étendu. Les Pyramides sont roses, le Nil débordé roule ses flots roses jusqu'au pied de la falaise. Des eaux tranquilles, émergent des villages aux maisons basses, qui se reflètent dans le fleuve avec une incroyable netteté ; la digue qui les relie à la terre est marquée d'un trait mince. (...)
L'air est d'une pureté insoupçonnable, d'une immobilité prodigieuse ; ni les feuilles ni les palmes ne bougent ; au-dessus de nous, pas un souffle : au-dessous de nous, pas un bruit. La vie de la nature semble interrompue.
Rapidement, le jour baisse. Et alors, c'est - pendant cinq minutes... dix minutes... que sais-je..: on perd la notion du temps... -, c'est la plus merveilleuse vision qui soit au monde !...
L'ombre descend sur la vallée du Nil, non pas l'ombre pesante et noire de nos pays du Nord, mais une ombre douce, légère, et transparente. Le fleuve, ses forêts, ses villages, ses lacs sont teintés de mille nuances infiniment tendres. On dirait que la lumière, avant de disparaître, veut les envelopper d'une dernière caresse. Les palmes les plus élevées, les plus hautes maisons des villages brillent, comme dorées ; plus bas, le Nil est mauve, violet, gris perle...
Une petite barque passe au loin, et son sillage plus foncé ride seul l'immobilité des eaux. C'est une paix qu'aucune parole humaine ne saurait traduire... Et le rose brille encore là-haut sur les minarets de la citadelle, il monte lentement le long de leurs pointes effilées ; une minute encore, et il s'est éteint... Derrière nous, brusquement, le soleil tombe et disparaît dans la splendeur vide... Et, aussitôt, presque sans transition, c'est la nuit. Le ciel est bleu clair, presque blanc. Les étoiles s'allument, leur scintillement se reflète dans les eaux calmes, et c'est la Lune, maintenant, qui argente, de sa lueur nacrée, l'inexprimable sérénité des choses..." 



extrait de En Égypte, 1900, par Jacques Du Tillet (1857-1942), homme de lettres et critique français

samedi 17 novembre 2018

"L'art égyptien, pendant son long développement, n'est point resté immuable" (Charles Bayet)

illustration extraite de Histoire de l'art dans l'antiquité (Perrot, Chipiez)

 "L'art égyptien, pendant son long développement, n'est point resté immuable ; il apparaît fort différent, selon qu'on l'étudie à Memphis ou à Thèbes.
À Memphis, il est surtout connu par des monuments funéraires ; les temples ont disparu. La tombe est une demeure : le double y habite, c'est-à-dire "un second exemplaire du corps en une matière moins dense que la matière corporelle, une projection colorée, mais aérienne, de l'individu, le reproduisant trait pour trait". De là l'importance de l'architecture funéraire. (...)

(Les) vieux artistes étaient (...) d'admirables portraitistes ; il en faut chercher la raison dans les croyances religieuses du temps : on pensait que, si la momie était détruite, l'existence du double était encore possible, à la condition qu'il existât du mort une image scrupuleusement exacte.
Quant aux bas-reliefs et aux peintures, ils représentent souvent la vie terrestre du mort et initient ainsi aux mœurs de l'ancienne Égypte. La peinture égyptienne a ignoré l'art de la perspective et des nuances, elle procède par tons francs qu'elle juxtapose : l'ensemble forme une décoration éclatante, mais fort différente de nos procédés et de nos conceptions modernes.
Pendant
(la période thébaine et saïte), l'art funéraire conserva la même importance, et les nécropoles de Thèbes, d'Abydos, de Syout, de Beni-Hassan en offrent de nombreux spécimens ; mais alors les grands temples doivent surtout fixer l'attention. Voici quelle en était la disposition ordinaire. Une avenue, bordée de sphinx, longue parfois de deux kilomètres, conduisait à une porte qui donnait accès, non point dans le temple même, mais dans l'enceinte sacrée qui l'entourait. Cette entrée, pylône, avait un aspect monumental ; la porte était accompagnée de deux massifs pyramidaux, devant lesquels se dressaient des mâts pour les étendards, des obélisques, des statues colossales. 
Toute l'enceinte était délimitée par un mur épais. À l'intérieur s'étendaient de petits lacs sur lesquels, à certains jours de fêtes, voguaient des barques magnifiques, chargées des images des dieux. Un nouveau pylône marquait l'entrée du temple même.
Là, au fond d'une cour, s'ouvrait la grande salle, salle de l'assemblée ou de l'apparition, d'après les documents égyptiens ; les nombreuses colonnes qui en soutiennent le plafond l'ont fait appeler salle hypostyle. La foule s'y tenait, tandis que le roi et les principaux prêtres pénétraient dans le sanctuaire, où était placée l'image du dieu ; derrière le sanctuaire se trouvait une sorte de sacristie. Chacune de ces salles pouvait être répétée et l'étendue du temple était souvent immense. (...)
Le temple égyptien est d'aspect massif ; il semble qu'on ait voulu plutôt étonner le regard par l'énormité des dimensions que satisfaire le goût par l'harmonie des proportions ; le détails mêmes de la construction sont souvent négligés. Les architectes ne sont point arrivés à constituer des ordres, comme les Grecs ; mais leurs épais piliers, leurs colonnes, offrent des types assez variés ; souvent les chapiteaux affectent la forme d'une fleur qui s'évase et, d'ailleurs, la flore du Nil, le papyrus, le lotus, occupe une large place dans leur ornementation.
Quant à la sculpture, elle perd peu à peu les caractères qui la distinguaient dans les belles œuvres de la période memphite. On abandonne la reproduction exacte des traits pour donner aux figures des proportions plus sveltes que la nature ; on simplifie le modelé.
Le même type de tête est sans cesse reproduit : des yeux fendus en amande, des lèvres toujours souriantes, une finesse qui charme, mais ne varie guère. Les attitudes aussi sont uniformes ; l'art devient conventionnel, mais il est souvent d'une rare élégance qu'on retrouve dans tous ses produits, pièces d'orfèvrerie ou ustensiles aussi bien que bas-reliefs. L'emploi de matériaux très durs, tels que le granit, substitués au bois ou à des pierres plus tendres, a contribué à cet affaiblissement du modelé dont l'artiste, qui ne disposait que d'instruments imparfaits, ne savait plus préciser les détails.
Même sous la domination des Ptolémées, les traditions de l'art égyptien se maintinrent, tout en se combinant avec des influences grecques ; mais alors il avait perdu toute force d'invention." 



extrait de Précis d'histoire de l'art, 1886, par Charles Bayet (1849-1918),
docteur ès-lettres, historien spécialiste de l'art byzantin, membre des Écoles françaises de Rome et d'Athènes, professeur de la Faculté de lettres de Lyon et recteur de l'Académie de Lille.