samedi 17 novembre 2018

"L'art égyptien, pendant son long développement, n'est point resté immuable" (Charles Bayet)

illustration extraite de Histoire de l'art dans l'antiquité (Perrot, Chipiez)

 "L'art égyptien, pendant son long développement, n'est point resté immuable ; il apparaît fort différent, selon qu'on l'étudie à Memphis ou à Thèbes.
À Memphis, il est surtout connu par des monuments funéraires ; les temples ont disparu. La tombe est une demeure : le double y habite, c'est-à-dire "un second exemplaire du corps en une matière moins dense que la matière corporelle, une projection colorée, mais aérienne, de l'individu, le reproduisant trait pour trait". De là l'importance de l'architecture funéraire. (...)

(Les) vieux artistes étaient (...) d'admirables portraitistes ; il en faut chercher la raison dans les croyances religieuses du temps : on pensait que, si la momie était détruite, l'existence du double était encore possible, à la condition qu'il existât du mort une image scrupuleusement exacte.
Quant aux bas-reliefs et aux peintures, ils représentent souvent la vie terrestre du mort et initient ainsi aux mœurs de l'ancienne Égypte. La peinture égyptienne a ignoré l'art de la perspective et des nuances, elle procède par tons francs qu'elle juxtapose : l'ensemble forme une décoration éclatante, mais fort différente de nos procédés et de nos conceptions modernes.
Pendant
(la période thébaine et saïte), l'art funéraire conserva la même importance, et les nécropoles de Thèbes, d'Abydos, de Syout, de Beni-Hassan en offrent de nombreux spécimens ; mais alors les grands temples doivent surtout fixer l'attention. Voici quelle en était la disposition ordinaire. Une avenue, bordée de sphinx, longue parfois de deux kilomètres, conduisait à une porte qui donnait accès, non point dans le temple même, mais dans l'enceinte sacrée qui l'entourait. Cette entrée, pylône, avait un aspect monumental ; la porte était accompagnée de deux massifs pyramidaux, devant lesquels se dressaient des mâts pour les étendards, des obélisques, des statues colossales. 
Toute l'enceinte était délimitée par un mur épais. À l'intérieur s'étendaient de petits lacs sur lesquels, à certains jours de fêtes, voguaient des barques magnifiques, chargées des images des dieux. Un nouveau pylône marquait l'entrée du temple même.
Là, au fond d'une cour, s'ouvrait la grande salle, salle de l'assemblée ou de l'apparition, d'après les documents égyptiens ; les nombreuses colonnes qui en soutiennent le plafond l'ont fait appeler salle hypostyle. La foule s'y tenait, tandis que le roi et les principaux prêtres pénétraient dans le sanctuaire, où était placée l'image du dieu ; derrière le sanctuaire se trouvait une sorte de sacristie. Chacune de ces salles pouvait être répétée et l'étendue du temple était souvent immense. (...)
Le temple égyptien est d'aspect massif ; il semble qu'on ait voulu plutôt étonner le regard par l'énormité des dimensions que satisfaire le goût par l'harmonie des proportions ; le détails mêmes de la construction sont souvent négligés. Les architectes ne sont point arrivés à constituer des ordres, comme les Grecs ; mais leurs épais piliers, leurs colonnes, offrent des types assez variés ; souvent les chapiteaux affectent la forme d'une fleur qui s'évase et, d'ailleurs, la flore du Nil, le papyrus, le lotus, occupe une large place dans leur ornementation.
Quant à la sculpture, elle perd peu à peu les caractères qui la distinguaient dans les belles œuvres de la période memphite. On abandonne la reproduction exacte des traits pour donner aux figures des proportions plus sveltes que la nature ; on simplifie le modelé.
Le même type de tête est sans cesse reproduit : des yeux fendus en amande, des lèvres toujours souriantes, une finesse qui charme, mais ne varie guère. Les attitudes aussi sont uniformes ; l'art devient conventionnel, mais il est souvent d'une rare élégance qu'on retrouve dans tous ses produits, pièces d'orfèvrerie ou ustensiles aussi bien que bas-reliefs. L'emploi de matériaux très durs, tels que le granit, substitués au bois ou à des pierres plus tendres, a contribué à cet affaiblissement du modelé dont l'artiste, qui ne disposait que d'instruments imparfaits, ne savait plus préciser les détails.
Même sous la domination des Ptolémées, les traditions de l'art égyptien se maintinrent, tout en se combinant avec des influences grecques ; mais alors il avait perdu toute force d'invention." 



extrait de Précis d'histoire de l'art, 1886, par Charles Bayet (1849-1918),
docteur ès-lettres, historien spécialiste de l'art byzantin, membre des Écoles françaises de Rome et d'Athènes, professeur de la Faculté de lettres de Lyon et recteur de l'Académie de Lille.

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