Chaouabti de la dame Repet, XVIIIe dynastie / Photographie d’André Pelle
via Histoire des statuettes funéraires égyptiennes, de Jacques François Aubert
via Histoire des statuettes funéraires égyptiennes, de Jacques François Aubert
"Nous avons montré quels étaient les secours, les uns permanents, les autres sans cesse renouvelés, dont l'hôte de la tombe avait besoin, croyait-on, pour résister à la destruction. À cette ombre, dont le peu de substance était toujours menacé de se dissoudre et de s'évaporer, il fallait, outre des aliments et des boissons qui entretinssent ce qu'elle gardait de vie, outre des prières dont la vertu magique pouvait suppléer à l'insuffisance de l'offrande, il fallait un soutien matériel où elle pût se prendre et se fixer, un corps qui remplaçât, autant que possible, celui dont elle avait été dépouillée par la mort.
Il y avait bien la momie, mais malgré toutes les précautions, qui donc pouvait dire au juste combien de temps la momie durerait ? Ne finirait-elle point par céder à la corruption et par tomber en poussière ? On ne put point ne pas se poser la question, et les craintes dont l'esprit était assailli durent bientôt conduire à l'invention de la statué funéraire.
La pierre elle-même, avec le climat de l'Égypte, le bois, présentaient de bien autres chances de durée que la dépouille mortelle la plus soigneusement embaumée. Les statues avaient encore cet avantage sur la momie que celle-ci était unique, tandis que l'on pouvait multiplier ces effigies. Chacune d'elles était, si l'on peut ainsi parler, un corps de rechange. Rien n'empêchait d'en mettre jusqu'à dix, quinze ou vingt dans une tombe. Qu'une seule de ces images fût sauvée, et ce serait assez pour que, même après la disparition de la momie, le double ne fût pas condamné à s'évanouir dans les ténèbres de sa demeure souterraine, faute d'un point d'attache et d'un appui corporel.
Travaillant sous l'empire de cette idée, le statuaire ne pouvait manquer de viser à reproduire fidèlement les traits de son modèle. On comprend pourquoi les statues égyptiennes qui ne représentent pas des dieux sont toujours et uniquement des portraits de tel ou tel individu, aussi exacts que l'artiste a pu les exécuter. Chacune de ces statues était un corps de pierre, non pas un corps idéal où l'on ne chercherait que la beauté des formes ou l'expression, mais un corps réel à qui l'on devait se garder d'ajouter ou de retrancher quoi que ce fût. Si le corps de chair avait été laid, il fallait que le corps de pierre fût laid de la même manière, sans quoi le double ne trouverait pas le support qui lui convenait.
La première statue égyptienne fut donc moins une œuvre d'art qu'un décalque de la réalité, qu'une sorte de moulage pris sur nature. Pour arriver à cette équivalence du modèle et de l'épreuve que l'on en tirait, l'artiste ne pouvait s'en rapporter à sa mémoire ; il fallait que l'original posât devant le sculpteur qui se chargeait d'immortaliser sa personne. La plupart de ces images, les plus soignées tout au moins, ont dû être exécutées du vivant de celui qu'elles représentent, autrement le statuaire n'aurait jamais produit ces effigies en présence desquelles vous sentez et vous affirmez aussitôt que ce sont des portraits, sur chacun desquels tout contemporain, sans hésiter, aurait mis tout d'abord un nom, tant les traits et l'expression du visage sont empreints d'un caractère particulier et vraiment unique, vraiment individuel.
Les premières statues que l'Égypte ait produites ont donc été des statues funéraires ; dans la pensée de ceux qui les commandaient et de ceux qui les fabriquaient, elles n'étaient que des portraits, et ce que l'on y cherchait surtout, c'était une ressemblance qui fût assez fidèle pour que l'ombre pût en quelque sorte s'y tromper elle-même et ne pas se croire dépouillée et dépossédée de son corps. Quand se développeront, avec le temps, la puissance et la richesse de l'Égypte, l'art aura chez ce peuple de plus hautes aspirations : il s'élèvera par degrés à la conception d'un certain idéal ; mais, alors même qu'il aura les visées les plus ambitieuses et qu'il aspirera le plus ouvertement au grand style, il laissera toujours deviner ses origines : dans les plus nobles et les plus heureusement composés des types qu'il aura créés, toujours on sentira la trace et l'effet persistant des habitudes premières.
Les statues ne présentent point la variété de gestes et d'attitudes qu'on admire dans les tableaux. Un pleureur, une femme qui écrase le grain du ménage, le boulanger qui brasse la pâte sont aussi rares en ronde bosse qu'ils sont fréquents en bas-reliefs. La plupart des personnages sont tantôt debout et marchant la jambe en avant, tantôt debout mais immobiles et les deux pieds réunis, tantôt assis sur un siège ou sur un dé de pierre, quelquefois agenouillés, et plus souvent accroupis, le buste droit et les jambes à plat sur le sol, comme les fellahs d'aujourd'hui. Cette monotonie voulue s'expliquerait peu si l'on ne connaissait l'usage auquel ces images étaient destinées.
Les statues sont appuyées, pour la plupart, à une sorte de dossier rectangulaire qui monte droit derrière elles et, tantôt se termine carrément au niveau du cervelet, tantôt s'achève en un pyramidion dont la pointe se perd parmi les cheveux, tantôt s'arrondit au sommet et paraît au-dessus de la tête du personnage. Les bras sont rarement séparés du corps ; dans bien des cas, ils adhèrent aux côtes et à. la hanche. Celle des jambes qui porte en avant, est reliée souvent au dossier, sur toute sa longueur, par une tranche de pierre."
extrait de Les monuments funéraires de l'Égypte ancienne, 1899, par l'égyptologue Albert Daninos Pacha (1843-1925), membre d'une importante famille grecque installée en Égypte au XIXe s. Il fut attaché au musée du Louvre et inspecteur des fouilles en Égypte.
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