samedi 10 novembre 2018

"L'architecture égyptienne sut observer des convenances qui avaient échappé au goût d'ailleurs si sûr et si délicat" des Grecs (Amand Biéchy)

Philae - photo Marc  Chartier
"Ce qui caractérise plus particulièrement les monuments égyptiens, c'est leur solidité et leur durée ; ce sont leurs formes graves et austères ; c'est enfin le volume extraordinaire des matériaux dont ils se composent. Leurs habitations particulières étaient construites en roseaux enduits de terre grasse : un petit nombre seulement étaient à plusieurs étages et en briques. Quelques pyramides sont faites de cette dernière matière. Les autres monuments publics sont en pierres, généralement d'une grandeur énorme. Elles sont en calcaire ou en granit ; aujourd'hui encore, malgré le temps et les barbares, on peut admirer la vivacité de leurs arêtes, la justesse de leurs traits et la perfection de leur poli. Les Égyptiens avaient l'art de les ajuster avec tant de soin que c'est à peine si l'on distingue les assises les unes des autres. 
Le temple des Égyptiens, dit M. R. Rochette, par sa forme lourde, basse et carrée, par son intérieur sombre et mystérieux, par ses portes et ses rares ouvertures de communication, taillées en forme pyramidale, par sa façade simple et nue, par ses nombreux supports, ronds, carrés ou octogones, par les dessins hiéroglyphiqnes creusés sur les parois de ses murailles, par le grand nombre de ses statues peintes, par les niches carrées qui ornent ses cellae, par les colonnes qui se dressent sous ses vestibules et en avant de ses portiques ; le temple égyptien semble avoir été extrait du flanc d'une montagne, pour être placé, sans aucune transformation, au milieu des plaines de la Moyenne-Égypte. On dirait que les architectes ont cherché, avant tout, la force, la solidité, le grandiose.
Nulle part la mécanique n'a produit de si grands résultats , ainsi que l'atteste l'observation la plus superficielle ; et, sans revenir sur l'énormité des masses que les Égyptiens ont mises en œuvre, et transportées souvent à des distances considérables, considérons seulement la solidité et la durée de leurs constructions. Les monuments grecs et romains sont tous ruinés ; ceux de l'Europe du moyen-âge et moderne ne résistent point à quelques siècles ; tandis que des constructions égyptiennes d'une grandeur et d'une hauteur extraordinaire ne présentent pas le plus petit dérangement dans les nombreuses assises qui les composent : l'œil ne voit sur ces vastes surfaces que des lignes parfaitement droites et des plans parfaitement dressés.
Bien plus ancienne que celle des Grecs, l'architecture égyptienne sut observer des convenances qui avaient
échappé au goût d'ailleurs si sûr et si délicat de ce peuple. Au lieu des feuilles d'acanthe des chapiteaux corinthiens, les Égyptiens se servaient de feuilles de palmiers, dont ils avaient le modèle naturel sous les yeux ; mais, comprenant combien il était peu convenable que la masse pesante de l'architecture posât directement sur les feuilles, sur les fleurs et les ornements délicats du chapiteau, ils avaient placé au sommet de celui-ci un dé carré, moins large que lui, et sur lequel s'appuyait l'architecture. Ils tiraient d'ailleurs un autre avantage de cette disposition : dans les suites de colonnes, les chapitraves se trouvant éloignés de l'architecture, les grandes lignes, qui sont toujours une source de beauté dans l'architecture, n'étaient point interrompues.
On sait que, si l'on en exempte quelques constructions de la Thébaïde, on ne trouve point de voûtes dans les monuments de l'antiquité ; l'Égypte n'en avait, à la vérité, nul besoin, parce que sa méthode d'exploiter les carrières lui fournissait des masses de pierre ou de granit des plus grandes dimensions désirables ; tandis que l'Europe est réduite à se servir de voûtes, parce qu'elle ne peut extraire et mettre en œuvre que des matériaux beaucoup moins considérables."


extrait de Traité élémentaire d'archéologie classique, 1846, par Amand Biéchy (1813-1882).
Cet "agrégé des lycées pour l’enseignement des lettres" est également l’auteur de La Peinture chez les Égyptiens, édité en 1868.

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