dimanche 11 novembre 2018

Il y a, en Égypte, "fusion intime entre la nature et les monuments" (Jacques du Tillet)

illustration extraite de L'Égypte, par Georges Ebers, 1881
"C'est toujours la Nature qu'il faut regarder pour comprendre les ouvrages des hommes ; elle est le modèle originel, celui qui a frappé les regards de l'humanité première, celui qu'on a d'abord tenté d'imiter. Deux choses sont caractéristiques, dans cette vallée du Nil : les dimensions sont énormes, et les lignes sont droites. Les collines qui l'encadrent descendent perpendiculairement vers le sol ; leurs flancs, dépouillés par l'ardeur du soleil, laissent voir les couches successives qui les ont formées. Jusqu'au sommet, c'est une superposition de lignes horizontales, s'élevant au-dessus de la vallée plane. La crête des collines est horizontale aussi, sans qu'un col ou un pic en vienne rompre l'uniformité droite. Et toutes ces lignes parallèles, se prolongeant à perte de vue, semblent reculer l'horizon jusqu'à l'infini.
Ces deux caractères,vous les retrouvez dans les monuments de l'ancienne Égypte. La ligne horizontale et la ligne verticale sont exclusivement employées ; seules, les assises des pylônes descendent obliquement vers le sol.

Partout, c'est le "couloir" du Nil, large ou long, toujours coupé à angle droit ; les carrés succèdent aux rectangles, et les rectangles aux carrés. Nulle part l'angle n'est évité. Il est accusé au contraire, et marque le plan des moindres chapelles. Rectangulaires aussi, les sortes de "places" où s'élevaient les obélisques. Et les longues avenues de béliers, qui joignaient les temples au Nil, s'allongent toutes droites, tirées au cordeau. Les piliers ou les colonnes sont arrondis, et aussi les larges bases sur lesquelles ils reposent. Mais la toiture qu'ils supportent est faite de dalles horizontales, et eux-mêmes s'élèvent verticalement sur le sol. Avec leurs chapiteaux en forme de plantes, et rapprochées comme elles sont, ces colonnes, si l'on y met un peu de bonne volonté, rappellent assez bien les bois de palmiers qui ombrageaient les alentours des sanctuaires. Ainsi l'imitation de la nature est sensible dans ces temples à l'aspect raide.
Vues de loin, - j'entends vues d'après les dessins et les reproductions des musées, c'est-à-dire séparées de leur cadre, - ces implacables lignes droites donnent une impression de monotonie écrasante. Et, sans doute, même en Égypte, on est un peu "écrasé" par ces
masses gigantesques. Mais, si quelque monotonie subsiste, elle est causée surtout par les formes pareilles, pareilles au moins pour les profanes, qu'on retrouve dans chaque temple.
Nos églises, aussi, sont construites sur un plan identique : ce qui les varie, c'est la richesse ornementale, la fantaisie inépuisable des sculptures. Cet élément de variété manque aux temples égyptiens. Les sculptures, - les ciselures, plutôt, - en creux ou en relief, n'altèrent en rien la ligne générale. Et cette ligne est la même partout.
Mais elle est la seule aussi qui convînt en ce pays. Au-dessus du fleuve aux rives plates, les terrasses et les portiques se dressent avec majesté. Il y a, en vérité, fusion intime entre la nature et les monuments. Ceux-ci répètent le dessin calme et austère des collines ; et le faîte de celles-ci, droit sous le ciel clair, semble un immense pylône gardant l'entrée d'un temple fabuleux."

 
extrait de En Égypte, 1900, par Jacques Du Tillet (1857-1942),
homme de lettres et critique français

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