photo de H. Béchard |
Les premiers, les plus anciens et les plus grands, nous frappent d'étonnement par la masse prodigieuse qui recouvre la chambre mortuaire. L'esprit demeure confondu devant les Pyramides et recule effrayé à la pensée des efforts qu'ont coûtés de pareils monuments.
Cependant, malgré leur beauté, ces immenses tombeaux sont loin de nous offrir autant d'intérêt que ceux, plus modestes, qui se trouvent près de Thèbes.
Ces derniers appartiennent à la seconde catégorie. Loin de s'élever glorieusement au-dessus du sol et de défier le temps par l'immensité de leur masse, ils semblent se cacher humblement sous la terre, et chercher l'oubli. Et pourtant, que de trésors ils renferment ! Et comme nous les préférons aux Pyramides !
L'aspect de la montagne, qui les renferme, n'en rend point cependant la visite agréable. Pour s'y rendre on traverse un désert de sables brûlants, et des gorges profondes, dénuées de toute végétation, où règne l'aspect de la mort : les rayons du soleil s'y concentrent, la chaleur est accablante, le corps et l'esprit fatigués sont à bout de forces.
Heureusement, les guides s'arrêtent enfin devant un trou sombre qui s'ouvre dans le flanc de la montagne ; on pousse un soupir de soulagement, on touche au but.
Et c'est avec une curiosité bien légitime que nous pénétrons dans l'excavation, car l'idée de se trouver dans le palais souterrain qu'un Pharaon s'est plu à faire creuser pendant sa vie pour y dormir toujours, ne laisse pas que d'impressionner pendant qu'aux lueurs blafardes des flambeaux, nous nous enfonçons sous la montagne.
La tombe qui m'a le plus frappé est celle de Séti Ier, remontant à plus de quatorze siècles avant l'ère chrétienne.
On y pénètre par un escalier rapide qui conduit à une série de chambres et de couloirs dont le développement atteint plus de 150 mètres de longueur. Le sol, légèrement incliné, s'enfonce de plus en plus dans la terre, et le niveau de la dernière salle est à 50 mètres au-dessous du sol.
Il est impossible de raconter toutes les merveilles de ce souterrain ; les chambres succèdent aux chambres, toutes de plus en plus belles, et frappant d'autant plus d'étonnement qu'elles sont creusées dans le roc, que rien n'a été apporté du dehors, et que leurs colonnes, de même que leurs statues, font aussi partie de la montagne. C'est un véritable travail de découpure !
Les parois sont couvertes de peintures aussi fraîches qu'au premier jour, représentant des sujets de toutes sortes. Toutefois le vieux culte égyptien ayant déjà dégénéré et la simplicité des premiers âges ayant fait place à des rites plus compliqués et plus effrayants, nous assistons à des représentations épouvantables. Des serpents s'enroulent le long des salles ; des gens sont décapités et jetés dans les flammes. Le jugement suprême s'annonce terrible par les peines qu'il faudra subir.
Enfin, une merveille remplit la dernière chambre : c'est l'histoire des premiers âges du monde alors que, sous le règne du dieu-roi Ra, ce dernier, irrité contre les hommes, assembla son conseil pour détruire la race humaine. Lointaine et troublante réminiscence du déluge de l'histoire sainte.
Le tombeau n'est cependant pas achevé ; le roi sans doute venait de mourir. Aussi l'architecte s'est-il arrêté brusquement, selon l'usage adopté. Sur les colonnes nous voyons encore le trait de peinture fixant les contours de l'image que le sculpteur allait suivre avec son ciseau.
Nous pouvons même remarquer le soin apporté par les artistes égyptiens. Un premier ouvrier a dessiné en noir le contour de l'esquisse ; puis un second, le chef sans doute, est venu et par un autre trait rouge a rectifié l'ouvrage du premier. Malheureusement la mort du roi a arrêté la main de l'artiste et le sculpteur n'a pu exécuter l'œuvre que le peintre lui traçait.
Tout cela est si frais et semble de date si récente, qu'une émotion profonde s'empare du visiteur qui, tout attristé, sort lentement du tombeau. Après tant de siècles, la majesté de ces Pharaons s'impose encore comme au jour de leur puissance terrestre. Le temps n'a pas de prise sur eux, car loin de les diminuer, comme il fait d'habitude pour toute chose, il semble les grandir encore."
extrait de En Dahabieh, 1889, par Max Boucard (1855-1922), directeur du cabinet du ministre de l'Agriculture et maître des requêtes au Conseil d'État, administrateur ou président de grandes sociétés
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