mercredi 7 novembre 2018

Dans la statuaire des Égyptiens, "l'imitation de la nature est poussée aussi loin que possible" (Frédéric Bourgeois de Mercey)

Colosses de Memnon - photo datée de 1897
"L'Égypte a toujours été la contrée mystérieuse par excellence. Confiné dans cette étroite et longue vallée du Nil que, depuis Méroé jusqu'à la mer intérieure, sur un espace de 400 lieues, borde une double solitude, son peuple singulier évitait avec soin tout contact et toutes relations avec les autres nations qu'il méprisait. Conquérant, il se bornait à détruire, ne songeant à donner aux vaincus ni sa religion ni ses lois ; conquis, sa civilisation absorbait le conquérant. (...)
L'architecture égyptienne, colossale comme celle du Gange et de l'Euphrate, aussi complexe et aussi variée, offre une expression plus savante et plus normale de la nature et de la théogonie. Les temples de Thèbes et de Karnak sont le plus parfait modèle de l'architecture sacerdotale. L'art chrétien leur doit le profil de ses cathédrales où les deux tours ont remplacé les pylônes de l'Égypte.
La statuaire des Égyptiens, bien que pétrifiée par des lois hiératiques, est puissante comme leur architecture. La jambe colossale de Sesourtasen Ier, le sphinx gigantesque de Ghizé, les colosses d'Ibsamboul, les statues de Memnon et tant d'autres monuments que nous ne pourrions énumérer ici, nous prouvent que les artistes égyptiens ne reculaient devant aucune des hardiesses de l'Inde ; mais ce qui distingue particulièrement l'art nilotique de l'art indien, c'est l'aspect de réalité de ces colosses ; l'imitation de la nature est poussée aussi loin que possible. Chaque figure est un portrait. Rien qui rappelle les monstrueuses bizarreries de la statuaire indienne.
La supériorité de l'art égyptien sur l'art fantasque des Indous et sa rationalité sont plutôt un résultat du climat et de la topographie que le fruit de l'expérience ou qu'un progrès de succession ; il est probable que l'art s'est développé simultanément aux bords du Nil, de l'Euphrate, du Gange et du fleuve Jaune.

La rationalité de l'art égyptien est une sorte de corollaire de sa théogonie la plus savante, la plus fondée sur l'observation et la connaissance des phénomènes de la nature, sur l'astronomie, les mathématiques et la morale, qui ait jamais existé. L'architecture est l'expression la plus élevée et la plus frappante du symbolisme ; nous ne devons donc pas être surpris de la majesté et de la variété infinie de formes que nous présente l'architecture égyptienne, depuis la gigantesque pyramide et le robuste temple protodorique jusqu'au plus délicat sacellum. Les Égyptiens ont inventé et employé tous les genres de colonnes, mais celle qu'ils ont reproduite de préférence, c'est la colonne à chapiteaux lotiformes, ou à feuillages de palmier, emblème de la puissance végétative du sol.
Une singularité qui est propre à l'art égyptien comme à l'art assyrien, c'est le degré de perfection que présentent tout d'abord les plus anciens et premiers monuments. Il semble que les architectes et les artistes de ces époques reculées aient acquis du premier coup, et par une sorte d'intuition particulière, la parfaite connaissance de leur art, et qu'ils soient arrivés, sans tâtonnement, à des résultats sinon complets, du moins très inattendus. Quoi de plus étrange, par exemple, que la science et l'habileté déployées dans la taille et la pose des blocs qui ont servi à construire les pyramides, ces prodigieux monuments de
la première période égyptienne ! Quelle connaissance des proportions ! Quelle fidèle et naïve imitation de la nature nous offrent les sculptures qui appartiennent à cette même époque et qui sont antérieures de bien des siècles à ce que les autres peuples ont produit ! (...)
On a peine à s'expliquer comment les architectes de Ghizé et les sculpteurs égyptiens et assyriens sont arrivés, dès le principe, à cette sorte de perfection relative, et on se demande à quelle époque on doit faire remonter, chez ces peuples, le commencement de l'art."

extrait de Étude sur les beaux-arts depuis leur origine jusqu'à nos jours. Tome 1, 1855-1857, par Frédéric Bourgeois de Mercey (1805-1860)
, chef de la division des beaux-arts au ministère de l’Intérieur où il fut nommé vers 1840. Peintre lui-même, il eut ainsi en charge le développement des arts en France, et était régulièrement sollicité à ce titre.

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