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Je me sentais attiré vers la Haute-Égypte par la poésie des souvenirs, par la grandeur des monuments.
On peut faire le voyage du Nil de plusieurs manières. Il y a les canges et les bateaux à vapeur. Les canges sont les gondoles de l'Égypte ; elles sont de forme élégante, effilée, de construction légère et propice à la rapidité de la marche. Elles ont de trente à quarante pieds de long sur dix de large. Ordinairement elles ont deux mâts auxquels on attache des voiles triangulaires; à l'arrière, elles possèdent plusieurs chambres peintes et ornées avec goût. Les canges des grands seigneurs et celles des dames du harem se distinguent par l'élégance de leurs décorations ; plusieurs sont dorées au dehors. Ces barques légères marchent avec une rapidité incroyable.
Le premier bateau à vapeur, construit pour Méhémet-Ali, qui a parcouru le Nil, produisit une grande sensation sur les habitants de l'Égypte, étonnés de voir cet élégant navire, qui se mouvait de lui-même, en laissant au ciel des nuages de fumée. Ils prirent d'abord cette nef merveilleuse pour un gigantesque animal.
Rien n'est pittoresque comme cette navigation du Nil. Pour jouir à notre aise du climat, du ciel et du fleuve, nous choisissons la cange traditionnelle aux deux grandes voiles latines, avec son équipage arabe. Cette manière de voyager tente le plus notre imagination. On va moins vite, mais on voit mieux ; on marche aux caprices du vent et on a tous les hasards et tous les charmes de l'impression ; puis, on jouit de l'inappréciable avantage d'être chez soi.
Une fois notre cange choisie dans le port de Boulaq, tous les arrangements furent promptement terminés par notre intelligent drogman, ou reis, chargé des approvisionnements, de tout le matériel du voyage, ainsi que des gens du service. Notre équipage se compose de douze matelots. Nous avons un valet de chambre et un cuisinier italiens. Notre drogman, honnête et expérimenté, veille sur notre bien-être matériel avec la plus grande sollicitude.
Tous les aménagements terminés, nous prenons possession de notre habitation flottante, qui doit nous abriter pendant plusieurs semaines. Le vent est propice et nous levons l'ancre par une belle matinée de février. Notre drogman, sur l'avant, dirige les manœuvres avec une imposante gravité. (...) Assis à l'ombre de la voile, nous voyons fuir le rivage et nous laissons aller nos pensées au gré de l'imagination ou de l'intime causerie.
Les paysages du Nil, un peu monotones au premier aspect, ont néanmoins un charme indicible. La grandeur des horizons, la beauté des lignes émeuvent l'âme. C'est la même impression qu'on ressent dans la campagne de Rome. C'est le même contraste de la solitude présente avec le mouvement de la vie d'autrefois.
Ce ciel d'une inaltérable pureté, cette nature sévère, tout concourt à la majesté du tableau. Le vent est frais et nous filons grand train.
Après le dîner, nous montons sur la dunette pour jouir de la première soirée de notre navigation. Rien de plus imposant que la vue du Nil sur lequel nous glissons insensiblement. À notre droite, de grands bois de palmiers projetaient leurs ombres sur l'eau calme et profonde ; le croissant, qui montait dans un ciel resplendissant d'étoiles, blanchissait légèrement leurs cimes et transformait le fleuve en une nappe argentée.
Les nuits sont fraîches sur le Nil, la rosée est abondante et il est prudent de ne pas s'y exposer, car elle cause des ophtalmies très fréquentes dans ce pays. Nous rentrons de bonne heure au salon, nous lisons, jouons à l'écarté, au wist ; à dix heures, chacun se retire et les divans sont transformés en couchettes.
De grand matin nous montons sur le pont et nous voyons le soleil se lever derrière la chaîne libyque. Quel éclat, quelle fête de lumière pour nos yeux charmés ! (...)
C'est surtout le soir, au coucher du soleil, que les paysages du Nil nous apparaissent dans toute leur splendeur. Aussitôt que le soleil a disparu derrière l'horizon, le ciel s'embrase subitement et prend des teintes d'or vif qui illuminent tout le paysage et se reflètent sur les grandes nappes d'eau du Nil ; peu à peu, cette teinte passe du pourpre ardent par tous les tons orangés, pour se perdre dans des nuances d'or pâle. Bientôt, d'innombrables étoiles s'allument au ciel et une nuit brillante, nuit des tropiques, semble continuer le crépuscule. (...)
La température devient plus chaude à mesure que nous approchons de la Haute-Égypte. Les aspects du Nil, toujours plus magnifiques, sont plus variés : tantôt il court, profond et rapide, resserré entre de hautes rives ombragées de grands bois de palmiers ; tantôt il s'élargit en nappes étincelantes qui entourent mollement des îlots de verdure."
extrait de Le pays des Pharaons, 1890, par J.-T. de Belloc (1854-19.?), écrivaine et biographe. D’origine irlandaise (elle était née Swanton), elle choisit le nom de "Joséphine Turck" pour signer dans les journaux et les revues (elle fonda la Bibliothèque des familles en 1821-1822 et La Ruche en 1836).
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