jeudi 18 juillet 2019

Le temple de Dendérah, par Auguste Mariette

photo de Zangaki

“Le temple de Dendérah a pour lui son excellente conservation et l’abondance des matériaux qu’il nous met entre les mains. Accessible comme il l’est aujourd’hui jusque dans la dernière de ses chambres, il semble se présenter au visiteur comme un livre qu’il n’a qu’à ouvrir et à consulter. Mais le temple de Dendérah est, en somme, un monument terriblement complexe. Quand on ne l’a pas vu, on ne peut, en effet, se faire une idée de l’extraordinaire profusion de légendes, de figures, de tableaux, d’ornements, de symboles, dont il est couvert et sous lesquels ses murailles disparaissent littéralement. (...)
La nature même de la décoration du temple et son point de départ sont un autre écueil. À première vue, on serait tenté de croire qu’on a déployé sur les parois du temple les nombreux sujets de décoration qu’on y voit dans le but de démontrer et de conserver les formules de doctrines dont le temple est la consécration. Mais on risquerait de faire fausse route si on suivait trop à la lettre cette définition. L’esprit de la décoration est tout autre. On peut se représenter la décoration du temple de Dendérah comme composée d’une suite presque innombrable de tableaux mis à côté les uns des autres, et représentant uniformément le roi fondateur devant Hathor ou un de ses parèdres. Or, chacun de ces tableaux est un logis donné à l’âme de la divinité dont l’image y est sculptée ; l’âme de la divinité hante et fréquente le tableau ; elle s’y tient et s’y trouve toujours présente. Hathor habite ainsi réellement le temple bâti à son intention, ou, pour mieux dire, les Tentyrites croyaient à la présence réelle de la déesse dans le temple qu’ils lui avaient élevé. (...)
Il n’y a pas de temple qui soit mieux conservé que le temple de Dendérah. Les parois, les colonnes, les plafonds, tout y est en place comme au plus beau temps de l’édifice. De tous les temples de l’Égypte, le temple de Dendérah est celui qui se présente comme le spécimen le plus achevé et le plus intact de l’architecture égyptienne. Les seules traces de dévastation qu’on y rencontre se trouvent sur les terrasses où la moitié de deux des colonnes du petit temple hypèthre a disparu, et où quatre ou cinq pierres ont été détachées de la corniche du mur méridional. Il faut, malheureusement, compter aussi parmi les mutilations subies par le temple, le trou béant qu’a laissé dans le plafond de l’une des chambres, l’enlèvement brutalement et maladroitement exécuté du zodiaque circulaire, maintenant à Paris.”
(extrait de “Dendérah: description générale du grand temple de cette ville”, Volume 1, 1875)


illustration : photo Zangaki

Le temple de Louqsor, par Maurice Pillet


“Situé au bord du fleuve, le temple de Louxor, avec son obélisque, son pylône et sa grande colonnade émergeant des ruines, frappe d’abord l'œil du voyageur abordant à Thèbes. Cependant, si magnifique qu'il fut, ce temple imposant n'était que la maison de campagne d'Amon, "sa demeure du sud" comme l’appellent les inscriptions et s’il y venait en pompe, à certaines fêtes de l’année, comme il allait sur la rive occidentale, sa grande demeure était Karnak. Aussi, pour le bien comprendre faut-il s'être initié aux rites sacrés, en parcourant l’immensité du domaine principal du dieu.
Ce temple fut construit par Aménophis III, le Memnon des Grecs, au milieu de la XVIII° dynastie, environ quatorze siècles avant notre ère et les derniers rois de la dynastie, Toutankhamon et Horemheb, terminèrent ou restaurèrent sa décoration mutilée par Akhenaton. Quelque cent vingt-cinq ans plus tard, Ramsès II l'augmenta d'une grande cour ornée de statues, d'un pylône d'entrée flanqué de deux beaux obélisques et de colosses royaux. Les successeurs se contentèrent d'apporter certains embellissements à l'édifice, puis, après plus de neuf siècles de splendeur, Alexandre le Grand fit restaurer quelques parties du temple et transformer l'emplacement du sanctuaire de barque sacrée. Lorsqu'enfin le christianisme s'établit officiellement dans la haute vallée du Nil, deux églises se logèrent dans l'édifice désaffecté.
En construisant sa grande cour et le nouveau pylône, Ramsès II apportait un changement notable à l'ordonnance du temple, non seulement par son agrandissement, mais encore par une déviation de son axe vers l’est.”
(extrait de “Thèbes, Karnak et Louxor”, 1928)

La Vallée des Nobles, avec le guide Arthaud

photo Marie Grillot

“Après la visite de la Vallée des Rois, pénétrer dans ces tombes est presque un retour à la vie ! Le monde souterrain infernal et hiératique des tombes royales disparaît. Et pourtant, les scènes religieuses sont toujours en rapport avec le Livre des Morts : momification par Anubis, parution du Mort devant le tribunal d'Osiris et pesée de son cœur.
Parallèlement, l'artiste y évoque la vie terrestre du défunt entouré de sa famille et de ses serviteurs : banquets, musiciens et danseuses, récompenses décernées par le roi, pêche, chasse au désert… Nul ne montre un visage tragique mais au contraire une sérénité apaisante. Jamais épouse ou parente du mort ne fut plus belle ; son corps est paré d'une longue robe de lin plissée et transparente, laissant apparaître ses formes pleines et combien gracieuses, une longue perruque encadre le fin visage, de larges colliers floraux enserrent le cou gracile, et, sur la tête est posée le cône de graisse parfumée. Elle porte à sa narine ou à celle de son époux la fleur de lotus, celle de la renaissance dont le parfum et l'émanation du souffle divin.
Mais qu'on ne se leurre pas, il est un sens caché à ce rappel des gestes quotidiens de la vie terrestre : le défunt doit, même dans l'au-delà, assurer l'harmonie et l'équilibre cosmique incarné par la déesse Maât. La pêche au harpon des poissons ou de l'hippopotame dans les marais, le chasse au boomerang des oiseaux sauvages sont plus que de simples distractions. Le mort doit anéantir ces animaux sauvages incarnant le mal. Les champs moissonnés ne sont pas des champs ordinaires, mais ceux d'Osiris ou la campagne des "Bienheureux", et ce paradis se mérite. Le mort et sa femme parés de leurs plus beaux atours et dont les mains n'ont jamais touché la terre de leur vivant, ensemencent, fauchent, et moissonnent pour continuer le cycle annuel des saisons garantissant l'harmonie terrestre, passeport indispensable pour assurer la victoire sur le néant et une renaissance éternelle auprès d'Osiris.”
(Guide Arthaud, “Egypte”, 1997 - 1998)


Le temple de Karnak, par Maurice Pillet



“Un peu confus au premier aspect, le plan de Karnak obéit cependant à une conception simple que les modifications successives n'ont pas altérée. Une grande enceinte de puissants murs en briques crues mesurant une dizaine de mètres à la base, s'élevant primitivement à 16 ou 18 mètres enferme le temple d'Amon proprement dit et celui de Khonsou son fils mesurant 480 mètres sur 550 mètres environ ; elle est percée de quatre grandes portes et de trois poternes. L'axe principal du temple est perpendiculaire au cours du Nil, c'est-à-dire qu'il a une direction sud-est-nord-ouest ; une courte avenue de béliers, l'animal consacré à Amon, et un quai d'embarquement le terminent au nord-ouest.
Accolée à cette enceinte, sur sa face nord, est une enceinte plus petite, celle de Mantou, dieu guerrier de l'ancienne Thèbes, qui ne mesure que 155 mètres au carré. L'axe de ses constructions est perpendiculaire à celui du grand temple d'Amon et se signale par une grande porte d'entrée, précédée d'une allée de béliers ruinée et d'un autre quai d'embarquement.
De l'autre côté, se détachant du milieu sud de l'enceinte d'Amon, une longue avenue de béliers de 325 mètres environ conduit à l'entrée d'un temple ruiné, celui de Mout, la femme du dieu, orienté ver le nord. L'enceinte de briques crues, très abîmée, mesure 160 mètres sur 350 mètres.
En dehors de ces trois enceintes, il existe bien des ruines d'édifices plus petits, pour le plupart encore ensevelis sous les décombres et auxquelles il est inutile de nous arrêter. Mais signalons de suite, devant le temple de Khonsou, à l'angle sud-ouest de l'enceinte d'Amon, la grande porte intacte décorée par Evergète Ier, et d'où partait une longue route dallée, bordée d'une double rangée de béliers, "le chemin du dieu" qui, long de 2 kilomètres et demi, joignait Karnak au temple de Louxor, la maison de campagne d'Amon, où il allait à certaines grandes fêtes de l'année.”
(extrait de “Thèbes, Karnak et Louxor”, 1928)

La Montagne de Thèbes, par Christian Leblanc

illustration : Émile René Ménard (français, 1862 - 1930)
"Caractéristique par son aspect pyramidal, la Cime thébaine évoquait pour les habitants de l'antique Ouaset, un symbole à la fois religieux et funéraire. Objet de vénération, on sait aussi que cette imposante crête servait de repaire à la déesse Meret­Seger "Celle­qui­aime­le­silence", dont le culte, associé à celui de Ptah, était rendu dans un sanctuaire rupestre situé à l'entrée de la "Vallée des Reines". Protégeant la population défunte ensevelie à ses pieds, la Cime demeura longtemps un élément naturel sacralisé, comme du reste toute la montagne environnante, à laquelle on attribuait le nom de t3 dsr "Terre Sainte". À l'époque gréco­romaine encore, cette dévotion particulière que l'on portait à la montagne de Thèses et à sa pyramide, est rappelé par nombre d'inscriptions gravées sur les rochers des ouadis asséchés".
"En fait, c’était toujours pour moi une immense joie, une indescriptible sensation, que de retrouver cet occident thébain, et surtout cette sublime montagne qui, depuis notre première rencontre, me réservait sans cesse d’inoubliables surprises et tentations. Elle savait être mystérieuse lorsque je m’aventurais dans ses chaotiques et sauvages ouadis, curieux d’en connaître les secrets qui s’y cachaient encore, mais elle pouvait être généreuse aussi, lorsqu’elle m’offrait, à l’écart du piémont, la vue sur de grandioses paysages figés par le temps, où seul régnait le silence des millénaires. Entre nous, il y avait presque comme une complicité, comme un appel, m’invitant à la rejoindre par ces petits sentiers parsemés de cailloux blancs qui gravitaient jusqu’à sa sainte cime. Selon les heures et les couleurs dont elle se parait, elle était capable de me séduire, de m’envoûter même, au point de succomber à son indéfinissable charme. Bien des fois, elle m’incita à prendre le chemin du menhir, du dolmen, ou encore celui du village du col, pour que je puisse écouter, en sa minérale compagnie, l’écho de ces lointains artisans de Pharaon qui, chaque matin, partaient à l’exploration de ses profondes entrailles pour y enchâsser de somptueux tombeaux. Elle connaissait tout de l’histoire de Thèbes qu’elle avait vu naître, grandir, s’épanouir, mais également décliner, sombrer, puis se relever avec courage et dignité. Elle avait assisté à ses fastes et à sa gloire, aux révoltes et aux grèves des ouvriers d’antan lorsque l’opulence du royaume avait laissé place à la famine. Elle avait subi, impuissante, mais sans doute avec un impérieux mépris, ces hordes de conquérants dévastant sans pitié temples et sanctuaires qui se dressaient majestueusement à ses pieds. Et puis, comme pour se rendre plus humaine, elle avait su prêter ses pentes et ses flancs à ces petits îlots de vie, aux façades multicolores, s’attendrissant sur leurs sempiternelles et cocasses discordes, voire sur leurs intenses moments de réjouissance ou de douleur. Prodigieuse mémoire des innombrables événements que la cité d’Amon­Rê avait vécus au fil du temps, la montagne d’occident, en était le conservatoire éternel, le magistral reliquaire à la fois sacré et profane, devant lequel toute créature ne pouvait que pieusement s’incliner".

(extrait de “La Mémoire de Thèbes. Fragments d'Égypte d'hier et d'aujourd'hui”, L'Harmattan, Paris, 2015)


mercredi 17 juillet 2019

Deir el-Medineh : "Un des plus jolis exemples de l'architecture égyptienne sous les Ptolémées" (Georges Bénédite)

photo Marie Grillot

"Derrière la colline de Qournet el-Mourrayi et 10 m. au S.0. de Cheikh Abd el-Qournah, une petite vallée pittoresque abrite le temple connu sous le nom de Deir el-Médinèh, l'un des plus intéressants de la rive g., quoique fort petit et d'époque ptolémaïque, par son caractère artistique (c'est un des plus jolis exemples de l'architecture égyptienne sous les Ptolémées) et surtout parce qu'il est l'unique exemple d'un temple ayant conservé à peu près intégralement toutes ses dépendances, c'est-à-dire son mur d'enceinte et ses magasins. Cet état de conservation, il le doit à la circonstance que, parfaitement adapté aux besoins des moines chrétiens, il fut employé tel quel par eux comme habitation (d'où son nom de Deir el-Médinéh, “le couvent de la ville”) sans avoir eu à souffrir d'autres dommages que la mutilation inévitable de quelques bas-reliefs. Fondé par Ptolémée Philopator et consacré aux déesses de la nécropole, Hâthor et Mâit, il a été continué sous Philométor et Evergète II ; sa décoration, reprise sous Néos Dionysios, est restée néanmoins inachevée.
Franchissant un portail en grès gravé aux cartouches de Néos Dionysios (scènes d'adoration à plusieurs divinitės), on pénètre dans une cour mesurant 48 m. sur 50 m. s'adossant presque à montagne et dont le mur d'enceinte est formé d'assises en briques crues légèrement infléchies, selon le procédé courant des Égyptiens. À dr., restes d'anciennes chambres faisant partie des communs de l'édifice ; à g., une petite porte de sortie.
Le temple, qui n'est pas exactement au milieu de la cour, est un petit édifice en grès de 15 m. de profond sur 9 m. de large, comprenant une petite salle hypostyle, un vestibule et trois petites chapelles.
La façade nue mais couverte d'inscriptions grecques et coptes a son portail dans l'axe du portail d'enceinte ; les cartouches des scènes d'adoration y sont mutilés. (...)
Toute la colline de Deir el-Médinèh est occupée par des tombeaux d’époques diverses et de conservation très inégale.”
(extrait du Guide Joanne, 1900)

“Ce site, par le témoignage unique de l’Égypte du Nouvel Empire qu’il représente (maison des ouvriers, textes documentaires ou littéraires, dessins, céramiques et mobilier divers) permet aux archéologues et aux égyptologues de rendre compte, non seulement de la vie quotidienne, mais aussi de la littérature, de l’art, de l’administration et de l’architecture qui avaient cours à cette période. (...)
Après de multiples expéditions et fouilles ponctuelles menées à Deir al-Medina à partir du début du XIXᵉ siècle par des intervenants de différentes nationalités (...), la concession du site est définitivement attribuée à l’Ifao en 1917. Si le potentiel archéologique du site n’était, dès cette époque, plus à démontrer, ce sont pourtant les travaux entrepris par l’Ifao à partir de 1922, sous l’égide de B. Bruyère, qui vont donner à Deir al-Medina ses lettres de noblesse. Pendant près de trente ans, l’archéologue dégage systématiquement toutes les zones qui étaient restées ensevelies sous le sable millénaire.” (source : IFAO)

"Deir­ el­-Bahari a été construit sur un plan bizarre qui ne rappelle, même de loin, aucun des autres temples de l'Égypte" (Auguste Mariette)

photo Marie Grillot
 “Le temple de Deir­el­Bahari occupe le fond du cirque dont l'Assassif est le centre. Il est adossé à une montagne à pic, dont le versant opposé aboutit à la vallée que nous connaîtrons bientôt sous le nom de Bab­el­Molouk.
L'origine du temple n'est pas douteuse. Deir­el­Bahari est élevé à la gloire de la reine Hatasou, comme Médinet­Abou est élevé à la gloire de Ramsès III. Le lieu choisi pour l'érection de ces temples commémoratifs tient à des motifs religieux propres à l'Égypte, sur lesquels nous ne revenons pas.
Les murs de Deir­el­Bahari sont couverts de cartouches divers qui, à première vue, établissent une certaine confusion dans l'esprit du visiteur. C'est que, en effet, Hatasou a successivement pris plusieurs noms selon qu'elle fut associée au trône du vivant de ses deux frères Thoutmès II et Thoutmès III, selon qu'elle fut régente au nom du dernier d'entre eux ou qu'elle régna en son propre nom. La science n'a pas, nous le pensons, encore dit son dernier mot sur ces différents noms, et peut­-être la solution du problème se trouve-­t­-elle dans les inscriptions nouvellement déblayées et encore peu connues du temple de Deir­el­Bahari.
Deir­el­Bahari a été construit sur un plan bizarre qui ne rappelle, même de loin, aucun des autres temples de l'Égypte. Une longue allée de sphinx, détruite de fond en comble, deux obélisques dont les bases seules sont encore visibles, le précédaient. À partir de là, le temple montait par cours successivement étagées vers la montagne, le passage d'une cour à l'autre se faisant au moyen de rampes inclinées.
Le temple de Deir­el­Bahari est bâti en beau calcaire blanc et l'on s'étonnerait qu'un seul pan de mur en soit encore debout, si l'on ne remarquait que l'Assassif, par l'abondance des ressources qu'il offre et sa proximité de la plaine, présentait aux exploiteurs des facilités que leur refusait Deir­el­Bahari.”
 

(extrait de Itinéraires de la Haute­-Égypte : comprenant une description des monuments antiques des rives du Nil entre le Caire et la première cataracte, 1880)