illustration : Émile René Ménard (français, 1862 - 1930) |
"En fait, c’était toujours pour moi une immense joie, une indescriptible sensation, que de retrouver cet occident thébain, et surtout cette sublime montagne qui, depuis notre première rencontre, me réservait sans cesse d’inoubliables surprises et tentations. Elle savait être mystérieuse lorsque je m’aventurais dans ses chaotiques et sauvages ouadis, curieux d’en connaître les secrets qui s’y cachaient encore, mais elle pouvait être généreuse aussi, lorsqu’elle m’offrait, à l’écart du piémont, la vue sur de grandioses paysages figés par le temps, où seul régnait le silence des millénaires. Entre nous, il y avait presque comme une complicité, comme un appel, m’invitant à la rejoindre par ces petits sentiers parsemés de cailloux blancs qui gravitaient jusqu’à sa sainte cime. Selon les heures et les couleurs dont elle se parait, elle était capable de me séduire, de m’envoûter même, au point de succomber à son indéfinissable charme. Bien des fois, elle m’incita à prendre le chemin du menhir, du dolmen, ou encore celui du village du col, pour que je puisse écouter, en sa minérale compagnie, l’écho de ces lointains artisans de Pharaon qui, chaque matin, partaient à l’exploration de ses profondes entrailles pour y enchâsser de somptueux tombeaux. Elle connaissait tout de l’histoire de Thèbes qu’elle avait vu naître, grandir, s’épanouir, mais également décliner, sombrer, puis se relever avec courage et dignité. Elle avait assisté à ses fastes et à sa gloire, aux révoltes et aux grèves des ouvriers d’antan lorsque l’opulence du royaume avait laissé place à la famine. Elle avait subi, impuissante, mais sans doute avec un impérieux mépris, ces hordes de conquérants dévastant sans pitié temples et sanctuaires qui se dressaient majestueusement à ses pieds. Et puis, comme pour se rendre plus humaine, elle avait su prêter ses pentes et ses flancs à ces petits îlots de vie, aux façades multicolores, s’attendrissant sur leurs sempiternelles et cocasses discordes, voire sur leurs intenses moments de réjouissance ou de douleur. Prodigieuse mémoire des innombrables événements que la cité d’AmonRê avait vécus au fil du temps, la montagne d’occident, en était le conservatoire éternel, le magistral reliquaire à la fois sacré et profane, devant lequel toute créature ne pouvait que pieusement s’incliner".
(extrait de “La Mémoire de Thèbes. Fragments d'Égypte d'hier et d'aujourd'hui”, L'Harmattan, Paris, 2015)
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