samedi 28 décembre 2019

De l'art de voyager en Égypte, selon Jean-Jacques Rifaud

Campement, par Charles-Théodore Frère (1814-1888)
"Les relations de voyages sont précieuses lorsqu'elles ajoutent de nouveaux faits aux faits déjà connus de la géographie et de l'histoire naturelle des pays éloignés ; mais le plus grand charme de ces récits est dû à la peinture qu'ils font des mœurs et des usages d'hommes nouveaux pour nous. L'observation des habitudes sociales d'un peuple étranger cause d'abord une surprise pleine d'intérêt ; la comparaison de ces habitudes entre elles devient ensuite la meilleure leçon de scepticisme, de tolérance et de philosophie. 
Une section importante de mon grand ouvrage sur l'Égypte contient tout ce que j'ai recueilli pendant un séjour de plus de vingt ans, sur la vie privée et sur la vie politique des Égyptiens. Ce travail est beaucoup plus complet que ceux qui ont été faits jusqu'à ce jour ; les dessins nombreux qui l'accompagnent représentent fidèlement les choses, et ne doivent rien laisser de vague et d'indécis dans mes descriptions. Cette publication exige plus d'une année, et d'ailleurs son étendue et son volume seraient, dans beaucoup de cas, un obstacle à ce qu'elle entrât dans le mobilier portatif de la plupart des voyageurs. 
La connaissance des mœurs d'un peuple ne s'acquiert bien qu'aux lieux mêmes où ces mœurs sont vivantes et pratiquées ; pourtant, je l'ai moi-même éprouvé, beaucoup de renseignements utiles sont à prendre de ceux qui nous ont précédés dans la carrière. Cette considération me détermine à consigner ici les esquisses suivantes.
J'ai vécu dans les villes et dans la partie agricole de l'Égypte ; j'ai aussi vécu dans ses déserts. Les voyageurs d'un rang élevé, qu'une forte escorte accompagne et qui sont pourvus des meilleurs dromadaires et chevaux, ne voient les choses que de la position commode et particulière qu'ils ont choisie : moi, j'ai tout vu, et de toute manière. J'étais acclimaté, la langue du pays m'était familière, une robuste santé me permettait de résister à la fatigue et aux privations. L'orgueil humain ne m'a jamais fait reculer devant une occasion de m'instruire ; en voyage, et selon l'occasion, je mangeais d'aussi bon cœur avec un chamelier et le premier fellah venu, que si j'eusse été dans la meilleure compagnie du monde. Au moment du départ, j'ai souvent prêté la main pour charger les bagages ; ensuite j'ai supporté l'ardeur du soleil avec la même résignation que mes guides. Le soir avec des hôtes arabes, je me contentais de leur bouillie à l'eau et au sel, de leurs dattes et de leur fromage ; j'évitais de demander l'hospitalité comme étranger, car alors on eût tué un bouquetin ou un chevreau, on m'aurait fait rafraîchir avec du lait de chamelle ; mais
aussi l'on agissait sans gêne, on parlait sans réserve devant moi, et par là j'ai saisi une foule de renseignements qu'une dignité intempestive m'aurait nécessairement fait perdre."


extrait de Tableau de l'Égypte, de la Nubie et des lieux circonvoisins ; ou Itinéraire à l'usage des voyageurs qui visitent ces contrées, 1830, par Jean-Jacques Rifaud (1786-1852), membre de l'Académie royale de Marseille, de la Société Statistique de la même ville, de la Société de Géographie de Paris et de la Société Asiatique ; membre correspondant de la Société royale des Antiquaires de France, et membre correspondant de l'Académie de Nantes. Grand voyageur, passionné de fouilles archéologiques, il séjourna en Égypte treize années.

"Le grand temple d'Edfou est une des ruines les plus imposantes de l'Égypte" (Jean-Jacques Ampère)

photo d'Émile Béchard
"Le grand temple d'Edfou est une des ruines les plus imposantes de l'Égypte ; quand il apparaît de loin aux voyageurs qui remontent le Nil, les deux massifs de son gigantesque pylône ressemblent un peu aux tours d'une cathédrale. 
Les deux temples d'Edfou ne remontent pas au delà de l'époque des Ptolémées ; le grand temple est un des monuments les plus imposants et les plus majestueux de l'Égypte. Ici le goût grec n'a point rendu plus sveltes les proportions des colonnes comme à Esné. L'architecture égyptienne, au contraire, est devenue plus massive et plus compacte qu'au temps des Pharaons. Si l'on voulait prendre un type de cette architecture telle qu'on se la figure ordinairement, c'est le grand temple d'Edfou qu'on choisirait, et précisément ce temple n'est pas de l'époque égyptienne. 
En approchant, on voit d'abord les deux massifs du pylône parfaitement conservés et sur ces massifs l'image gigantesque d'un roi tenant de la main gauche par les cheveux un groupe de vaincus que de la droite il menace de frapper. C'est un Ptolémée qui est représenté dans cette attitude traditionnelle, donnée si souvent sur les monuments pharaoniques aux rois conquérants de la dix-neuvième dynastie ; ce Ptolémée singe Sésostris. On a cru que ces représentations indiquaient chez les anciens Égyptiens l'usage des sacrifices humains : c'est une erreur. Le monarque brandissant la massue, les captifs agenouillés devant lui et saisis par sa main puissante, formaient un groupe hiéroglyphique, exprimant, dans de vastes proportions, l'idée de la soumission absolue au vainqueur, du droit de vie et de mort dont celui-ci était investi, et rien de plus. Cet immense hiéroglyphe, répété sur chacun des massifs du pylône qui sert de porte au temple d'Edfou, devait produire chez ceux qui arrivaient à cette porte colossale une forte impression de terreur et de respect en leur présentant une image parlante de la puissance souveraine et formidable de leur roi. 
La cour, entourée d'un péristyle, est malheureusement en partie encombrée. En plusieurs endroits, les énormes chapiteaux semblent sortir de terre et s'épanouir à la surface du sol comme une fleur sans tige. Il en résulte un effet extraordinaire, et qui a quelque chose de monstrueux. Un déblaiement, facile à exécuter, permettrait de contempler sous son véritable aspect cet édifice, dont les proportions réelles échappent aujourd'hui au regard, et qui semble un géant enfoui jusqu'à la ceinture et dominant encore de son buste énorme les chétives statures des hommes. 
Après avoir fait le tour du temple intérieurement et extérieurement, - car à l'extérieur il est couvert aussi d'hiéroglyphes, - et avoir recueilli ceux qui me paraissaient offrir quelque intérêt, je suis venu me reposer d'une journée laborieuse en m'asseyant sur le mur qui enceint la partie postérieure du temple. Là, les pieds ballants, l'esprit et le corps alanguis par l'attention et la fatigue, j'ai contemplé longtemps d'un regard rêveur la plaine, entrecoupée de terrains arides et de terrains cultivés, qui s'étendait devant moi, tandis que les approches du soir ramenaient les fellahs vers leurs pauvres demeures, vers les huttes de terre que je voyais là-bas au-dessous de moi comme des taupinières. Après avoir joui longtemps, sur le mur où j'étais perché, du calme, du silence et de la sérénité qui m'entouraient, je suis redescendu, j'ai regagné ma barque, et, le vent du nord s'étant levé, nous avons continué notre route aux clartés de la lune, qui répandait sur le Nil une blancheur lactée et faisait resplendir les rames dans la nuit."
extrait de Voyage en Égypte et en Nubie, par Jean-Jacques Ampère (1800-1864)

vendredi 27 décembre 2019

Les charmes et "délices" de Rosette, selon Claude Étienne Savary

City of Rosetta  by Thomas Milton (after Luigi Mayer), 1801–1803
"Rosette appelée Raschid par les Arabes, est située sur l'ancienne branche Bolbitine, à laquelle elle a donné son nom. Sa fondation remonte au huitième siècle. Les ensablements continuels du Nil, ne permettant plus aux navires d'arriver jusqu'à Faoüé, on bâtit cette nouvelle ville à l'embouchure du fleuve. Elle en est déjà éloignée de deux lieues. Abulfeda nous apprend qu'elle était peu considérable au treizième siècle. Deux cents ans après, elle n'avait pas pris de grands accroissements. Mais lorsque les Ottomans eurent ajouté l'Égypte à leurs conquêtes, ils négligèrent l'entretien des canaux. Celui de Faoüé ayant cessé d'être navigable, Rosette devint l'entrepôt des marchandises d'Alexandrie et du Caire. Bientôt le commerce la rendit florissante. 
Aujourd'hui c'est une des plus jolies villes d'Égypte. Elle s'étend sur la rive occidentale du Nil, et a près d'une lieue de long sur un quart de large. On n'y voit point de place remarquable, point de rue parfaitement alignée, mais toutes les maisons, bâties en terrasse, bien percées, bien entretenues, ont un air de propreté et d'élégance qui plaît. Leur intérieur renferme de vastes appartements où l'air se renouvelle sans cesse, par un grand nombre de fenêtres toujours ouvertes. Les jalousies et les toiles claires qu'on y tend arrêtent les rayons du soleil, y entretiennent un jour doux, et tempèrent l'excès des chaleurs. 
Les seuls édifices publics qui se fassent remarquer sont les mosquées accompagnées de hauts minarets construits avec beaucoup de légèreté et de hardiesse. Ils produisent un effet pittoresque dans une ville, 0ù tous les toits sont planes, et jettent de la variété dans le tableau. La plupart des maisons ont la vue du Nil et du Delta ; c'est un magnifique spectacle. Le fleuve est toujours couvert de bâtiments, qui montent et descendent à la rame et à la voile. Le tumulte du port, la joie des mariniers, leur musique bruyante, offrent une scène mobile et vivante. 
Le Delta, cet immense jardin 0ù la terre ne se lasse jamais de produire, présente toute l'année des moissons, des légumes, des fleurs et des fruits. Cette abondante variété satisfait à la fois le cœur et les yeux. Il y croît diverses espèces de concombres et des melons délicieux ; la figue, l'orange, la banane, la grenade y sont d'un goût exquis. Combien la culture ajouterait encore à leur excellence, si les Égyptiens savaient greffer.
Au nord de la ville, on trouve des jardins où les citronniers, les orangers, les dattiers, les sycomores sont plantés au hasard. Ce désordre n'a pas de grâces, mais le mélange de ces arbres, leur voûte impénétrable aux rayons du soleil, des fleurs jetées à l'aventure dans ces bosquets en rendent l'ombrage charmant.
Lorsque l'atmosphère est en feu, que la sueur coule de tous les membres, que l'homme haletant soupire après la fraîcheur comme le malade après la santé, avec quel charme il va respirer sous ces berceaux, au bord du ruisseau qui les arrose ! C'est là que le Turc tenant dans ses mains une longue pipe de jasmin garnie d'ambre, se croit transporté dans le jardin de délices, que lui promet Mahomet. Froid, tranquille, pensant peu, il fume un jour entier sans ennui. Vivant sans désir, sans ambition, jamais il ne porte un regard curieux sur l'avenir. Cette activité qui nous tourmente, cette activité, l'âme de tous nos talents, lui est inconnue. Content de ce qu'il possède, il n'invente et ne perfectionne rien. Sa vie nous paraît un long sommeil ; la nôtre lui semble une continuelle ivresse : mais tandis que nous courons après le bonheur qui nous échappe, il jouit paisiblement des biens que la nature lui offre, que chaque jour lui présente, sans s'occuper du lendemain."


extrait de Lettres sur l'Égypte, tome premier, 1786, par Claude Étienne Savary (1750-1788), orientaliste, pionnier de l'égyptologie

"Qui n'a pas vu le Caire n’a rien vu" (Léon Hugonnet)

Le Caire, par Jean-Léon Gérôme (1824-1904)
 "Lorsqu'on prononce le nom de la cité des kalifes, on ne peut s'empêcher de songer aux Mille et une Nuits. Cette question, d'un des personnages de ces merveilleux récits, se présente aussitôt à la mémoire : "N'est-ce pas la ville de l'univers la plus vaste, la plus peuplée et la plus riche que le Grand-Caire ?" La réponse ne pouvait être douteuse à l'époque où furent écrits les gracieux et poétiques contes arabes. Il n'en serait plus de même aujourd'hui. On peut toutefois affirmer qu'au point de vue du pittoresque et de la couleur locale, il n'existe rien de plus extraordinaire.
Qui n'a pas vu le Caire n’a rien vu. Ses splendeurs sont au-dessus de tout éloge ; mais pour les apprécier dignement, il est nécessaire d'acquérir un sens artistique particulier. Cette ville prodigieuse ressemble à une pièce de Shakespeare. Elle renferme de sublimes beautés, mais il y a quelques ombres au tableau. C'est pourquoi il est indispensable de se familiariser avec les conceptions variées, parfois grandioses, mais toujours charmantes, des artistes orientaux. Il faut essayer de s'élever jusqu'à leur hauteur, au lieu de les rabaisser à notre niveau bourgeois, banal et utilitaire.
Pour bien connaître le Caire, on ne doit pas, dès le premier jour, s’égarer dans le dédale inextricable de ses rues tortueuses, sans posséder un plan, un fil d'Ariane qui vous guide dans vos excursions.
Je sais bien que, suivant Méry, "il y a du charme à se laisser barrer inopinément le passage par une antiquité. Un artiste abhorre tout esprit de suite et de méthode dans ses courses, ne classe pas ses visites par chapitres et consent à s’égarer dans un labyrinthe plutôt que de se lier à la remorque d’un cicerone." Dans toute autre ville que le Caire et si j'avais beaucoup de loisirs, je procéderais, sans doute, de cette façon ; mais ici on risquerait de gaspiller plusieurs années sans avoir tout vu. On pourrait accorder trop d'attention à des objets de peu de valeur et on négligerait de réels chefs-d'œuvre. D'ailleurs, il existe au Caire un nombre inouï d'impasses au fond desquelles on se trouve acculé à chaque instant. D’autres fois, après avoir parcouru péniblement une infinité de ruelles bizarrement enchevêtrées, on est ramené au point de départ. On pourrait tourner sans cesse dans les mêmes cercles si l’on n’adoptait pas un bon système d'orientation. (...)

Pour moi, je crois bon d'imiter les artistes qui commencent par ébaucher les grandes lignes de leur œuvre, puis la dégrossissent peu à peu et enfin l’achèvent par le perfectionnement des détails. Pour atteindre ce but, il est nécessaire de se transporter aussitôt arrivé, sur une hauteur d'où l'on puisse contempler l'ensemble du panorama et se rendre bien compte de la topographie de l'immense cité et de ses environs. Une fois que l'on a gravé dans sa mémoire le plan du Caire, remarqué des points de repères, établi de grandes divisions pour classer ses excursions, alors on peut s'abandonner à la fantaisie, sans sortir des limites de l'itinéraire qu’on s’est tracé. C’est le seul moyen d'employer utilement son temps et de ne pas commettre d’oubli aussi impardonnable que celui de ce pasteur genevois qui est allé au Caire, sans visiter les pyramides."

extrait de En Égypte, 1883, par Léon Hugonnet (1842 - 1910), homme de lettres et publiciste

jeudi 26 décembre 2019

"Il n'y a aucune raison pour que dans cent mille ans elles ne soient pas encore telles que nous les voyons aujourd'hui" (Auguste Mariette, à propos des pyramides de Gizeh)

photo de Francis Frith (1858)

"Il est juste d'accorder aux pyramides l'admiration qui leur a valu d'être rangées au nombre des sept merveilles du monde. Il faut dire cependant que cette admiration ne s'impose pas au visiteur dès qu'il arrive au pied de ces monuments célèbres. L'immensité du désert environnant et le manque d'un point de comparaison rapetissent, en effet, les pyramides et empêchent de les bien juger. Mais, à la réflexion, les pyramides grandissent et reprennent leurs véritables proportions. On s'étonne alors de l'immensité de ces constructions. On y voit les monuments les plus durables et les plus élevés sous le ciel que jamais l'homme ait bâtis. Les pyramides ont six ou sept mille ans de date ; mais il n'y a aucune raison pour que dans cent mille ans elles ne soient pas encore telles que nous les voyons aujourd'hui, si des mains ignorantes ou criminelles ne viennent pas aider à leur destruction.
Les trois grandes pyramides sont les tombeaux de Chéops, de Chéphren et de Mycérinus ; les petites sont les tombeaux des membres de la famille de ces rois. La grande avait primitivement 146 mètres de hauteur ; dans l'état actuel elle n'en a plus que 138 ; son cube est de 2 562 576 mètres. Tout ce que l'on a dit, toutes les phrases qu'après Hérodote on a faites sur la haine que ces rois s'étaient attirée par suite des corvées imposées aux Égyptiens qui travaillaient aux pyramides, peut être réduit à néant ; les monuments contemporains, témoins bien plus croyables qu'Hérodote lui-même, nous montrent en effet que, de leur vivant et après eux, Chéops et Chéphren, à l'exemple de tous les autres rois, étaient honorés par un culte spécial ; quant à Mycérinus, c'était un roi si pieux, qu'il est cité dans le Rituel comme l'auteur de l'un des livres le plus en renom de la littérature religieuse de l'Égypte. 

En ce qui regarde l'usage auquel les pyramides étaient destinées, c'est faire violence à tout ce que nous savons de l'Égypte, à tout ce que l'archéologie nous a appris sur les habitudes monumentales de ce pays, que d'y voir autre chose que des tombeaux. Les pyramides, quelles qu'elles soient, sont des tombeaux, massifs, pleins, bouchés partout, même dans leurs couloirs les plus soignés, sans fenêtres, sans portes, sans ouverture extérieure. Elles sont l'enveloppe gigantesque et à jamais impénétrable d'une momie, et une seule d'entre elles aurait montré à l'intérieur un chemin accessible d'où, par exemple, des observations astronomiques auraient pu être faites comme du fond d'un puits, que la pyramide aurait été ainsi contre sa propre destination. 
En vain dira-t-on que les quatre faces orientées dénotent une intention astronomique ; les quatre faces sont orientées parce qu'elles sont dédiées par des raisons mythologiques aux quatre points cardinaux, et que dans un monument soigné comme l'est une pyramide, une face dédiée au nord, par exemple, ne peut pas être tournée vers un autre point que le nord. Les pyramides ne sont donc que des tombeaux, et leur masse immense ne saurait être un argument contre cette destination puisqu'on en trouve qui n'ont pas six mètres de hauteur. Notons d'ailleurs qu'il n'est pas en Égypte une pyramide qui ne soit le centre d'une nécropole, et que le caractère de ces monuments est par là amplement certifié.
Ce qu'on voit aujourd'hui des pyramides n'en est plus que le noyau. Originairement elles étaient recouvertes d'un revêtement lisse qui a disparu. Elles se terminaient en pointe aiguë. Les pyramides étant des tombeaux hermétiquement clos, chacune d'elles (au moins celles qui ont servi à la sépulture d'un roi), avait un temple extérieur, qui s'élevait à quelques mètres en avant de la façade orientale. Le roi déifié comme une sorte d'incarnation de la divinité y recevait un culte. Les trois grandes pyramides de Gizeh ont comme les autres un temple extérieur."

extrait de Itinéraire de la Haute-Égypte : Comprenant une description des monuments antiques des rives du Nil entre le Caire et la première cataracte, 1872, par Auguste Mariette-Bey

mardi 24 décembre 2019

Recommandations aux visiteurs de l'Égypte, par Auguste Mariette

tombe de Sethi Ier (KV 17), par Jean-Pierre Dalbéra (Wikipédia)

"L'importance des monuments qui couvrent les rives du Nil n'a pas besoin d'être démontrée. Ils sont pour l'Égypte les témoins de sa grandeur passée et comme les parchemins de son antique noblesse. Ils représentent pour les étrangers les pages déchirées des archives de l'un des peuples les plus glorieux du monde. Mais plus les monuments de l'Égypte sont précieux, plus il faut tenir à les conserver. De leur conservation dépend en partie le progrès de ces belles études qui ont pour objet l'histoire de l'Égypte ancienne. Il faut aussi les conserver, non pas seulement pour nous qui en jouissons aujourd'hui, mais pour les égyptologues de l'avenir. Il faut que dans cinquante ans, dans cent ans, dans cinq cents ans, l'Égypte puisse encore montrer aux savants qui viendront la visiter, les monuments que nous décrivons ici. 
Ce que la science à peine née du déchiffrement des hiéroglyphes en a tiré, est immense. Que sera-ce quand plusieurs générations de savants se seront appliquées à l'étude de ces admirables ruines, de plus en plus fécondes à mesure qu'on les connaît mieux ? Aussi ne cesserons-nous de recommander aux visiteurs de la Haute-Égypte de s'abstenir de ces enfantillages qui consistent à écrire des noms sur des monuments. Qu'on visite l'intérieur du tombeau de Ti, à Saqqarah, et on verra que ce tombeau a plus souffert par la main des visiteurs depuis dix ans, que pendant les six mille ans de sa durée antérieure. L'admirable tombe de Séti Ier, à Babel-Molouk, est à peu près perdue, et c'est à peine si nous réussissons à obtenir que le mal ne devienne pas plus grand encore. 
Je ne sais si M. Ampère, qui visitait l'Égypte en l844, n'a pas dépassé la mesure dans ces lignes que j'extrais de son journal de voyage. Mais je ne les transcris pas moins pour montrer à quels jugements s'exposent ceux qui, innocemment peut-être, gravent leur nom sur les monuments : "La première chose qui frappe en approchant du monument (la Colonne de Pompée), ce sont des noms propres tracés en caractères gigantesques par des voyageurs qui sont venus graver insolemment la mémoire de leur obscurité sur la colonne des siècles. Rien de plus niais que cette manie renouvelée des Grecs qui flétrit les monuments quand elle ne les dégrade pas. Souvent il a fallu des heures de patience pour tracer sur le granit ces majuscules qui le déshonorent. Comment peut-on se donner tant de peine pour apprendre à l'univers qu'un homme parfaitement inconnu a visité un monument, et que cet homme inconnu l'a mutilé ?" Je recommande la lecture de ces lignes au jeune voyageur américain qui, en 1870, a visité les ruines de la Haute-Égypte, un pot de goudron à la main, et a laissé sur tous les temples les traces indélébiles de son passage."


extrait de Itinéraire de la Haute-Égypte : Comprenant une description des monuments antiques des rives du Nil entre le Caire et la première cataracte, 1872, par Auguste Mariette-Bey

Comment voyager en Égypte, selon Edmond Combes

 
par Eugène Fromentin (The National Gallery - London)
"J'allais bientôt voir le Nil !... Absorbé par cette pensée, je supportais vaillamment les privations de toute nature auxquelles je m'étais soumis, et qui auraient dû me paraître d'autant plus dures que j'en étais encore à mon début. L'eau du canal, d'ailleurs très bonne, mais jaunâtre et terreuse, me semblait du lait ; je ne connaissais pas de fruit préférable à la datte ; le pain arabe mal pétri, mal cuit, imprégné d'odeurs fortes et désagréables, à cause des matières employées à sa cuisson, ne m'inspirait pas le moindre dégoût. Je n'avais d'autre lit que les planches du bateau, et je voyais sans envie les couches moelleuses des passagers plus heureux, qui me regardaient peut-être avec dédain. J'étais fier de ma pauvreté comme ils l'étaient sans doute de leur richesse, et je comprenais instinctivement (qu'on me pardonne ce manque de modestie) que j'avais plus d'avenir, comme voyageur, que ces hommes qui ne consentent à quitter leur pays, qu'à la condition de pouvoir s'entourer, même en voyage, de toutes les commodités de la vie.
Avant mon départ d'Alexandrie, j'avais commencé, pour mon usage, un vocabulaire français et arabe, et je ne négligeais rien pour l'enrichir de mots nouveaux, dès que ma mémoire s'était approprié ceux qu'il renfermait déjà. Mon petit recueil grossissait sensiblement : j'avais appris la phrase sacramentelle, is mou é dé, comment s'appelle cela ? et chaque fois que je voulais connaître le nom arabe d'un objet, je mettais cet objet sous les yeux des matelots de la cange, en répétant ma phrase, et ceux-ci répondaient toujours à ma question avec un bienveillant empressement. La langue de Mahomet est d'une difficulté extrême, à cause surtout de sa prononciation. Les Arabes sont, pour les étrangers qui la parlent , d'une indulgence qu'on ne saurait trop admirer ; la phrase la plus incohérente, les constructions les plus irrégulières n'excitent jamais leur hilarité, n'amènent jamais sur leurs lèvres un sourire railleur."
 
extrait de Voyage en Égypte et en Nubie, 1846, par (Jean Alexandre) Edmond Combes (1812-1848), explorateur français