samedi 28 décembre 2019

"Le grand temple d'Edfou est une des ruines les plus imposantes de l'Égypte" (Jean-Jacques Ampère)

photo d'Émile Béchard
"Le grand temple d'Edfou est une des ruines les plus imposantes de l'Égypte ; quand il apparaît de loin aux voyageurs qui remontent le Nil, les deux massifs de son gigantesque pylône ressemblent un peu aux tours d'une cathédrale. 
Les deux temples d'Edfou ne remontent pas au delà de l'époque des Ptolémées ; le grand temple est un des monuments les plus imposants et les plus majestueux de l'Égypte. Ici le goût grec n'a point rendu plus sveltes les proportions des colonnes comme à Esné. L'architecture égyptienne, au contraire, est devenue plus massive et plus compacte qu'au temps des Pharaons. Si l'on voulait prendre un type de cette architecture telle qu'on se la figure ordinairement, c'est le grand temple d'Edfou qu'on choisirait, et précisément ce temple n'est pas de l'époque égyptienne. 
En approchant, on voit d'abord les deux massifs du pylône parfaitement conservés et sur ces massifs l'image gigantesque d'un roi tenant de la main gauche par les cheveux un groupe de vaincus que de la droite il menace de frapper. C'est un Ptolémée qui est représenté dans cette attitude traditionnelle, donnée si souvent sur les monuments pharaoniques aux rois conquérants de la dix-neuvième dynastie ; ce Ptolémée singe Sésostris. On a cru que ces représentations indiquaient chez les anciens Égyptiens l'usage des sacrifices humains : c'est une erreur. Le monarque brandissant la massue, les captifs agenouillés devant lui et saisis par sa main puissante, formaient un groupe hiéroglyphique, exprimant, dans de vastes proportions, l'idée de la soumission absolue au vainqueur, du droit de vie et de mort dont celui-ci était investi, et rien de plus. Cet immense hiéroglyphe, répété sur chacun des massifs du pylône qui sert de porte au temple d'Edfou, devait produire chez ceux qui arrivaient à cette porte colossale une forte impression de terreur et de respect en leur présentant une image parlante de la puissance souveraine et formidable de leur roi. 
La cour, entourée d'un péristyle, est malheureusement en partie encombrée. En plusieurs endroits, les énormes chapiteaux semblent sortir de terre et s'épanouir à la surface du sol comme une fleur sans tige. Il en résulte un effet extraordinaire, et qui a quelque chose de monstrueux. Un déblaiement, facile à exécuter, permettrait de contempler sous son véritable aspect cet édifice, dont les proportions réelles échappent aujourd'hui au regard, et qui semble un géant enfoui jusqu'à la ceinture et dominant encore de son buste énorme les chétives statures des hommes. 
Après avoir fait le tour du temple intérieurement et extérieurement, - car à l'extérieur il est couvert aussi d'hiéroglyphes, - et avoir recueilli ceux qui me paraissaient offrir quelque intérêt, je suis venu me reposer d'une journée laborieuse en m'asseyant sur le mur qui enceint la partie postérieure du temple. Là, les pieds ballants, l'esprit et le corps alanguis par l'attention et la fatigue, j'ai contemplé longtemps d'un regard rêveur la plaine, entrecoupée de terrains arides et de terrains cultivés, qui s'étendait devant moi, tandis que les approches du soir ramenaient les fellahs vers leurs pauvres demeures, vers les huttes de terre que je voyais là-bas au-dessous de moi comme des taupinières. Après avoir joui longtemps, sur le mur où j'étais perché, du calme, du silence et de la sérénité qui m'entouraient, je suis redescendu, j'ai regagné ma barque, et, le vent du nord s'étant levé, nous avons continué notre route aux clartés de la lune, qui répandait sur le Nil une blancheur lactée et faisait resplendir les rames dans la nuit."
extrait de Voyage en Égypte et en Nubie, par Jean-Jacques Ampère (1800-1864)

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