mardi 24 décembre 2019

Comment voyager en Égypte, selon Edmond Combes

 
par Eugène Fromentin (The National Gallery - London)
"J'allais bientôt voir le Nil !... Absorbé par cette pensée, je supportais vaillamment les privations de toute nature auxquelles je m'étais soumis, et qui auraient dû me paraître d'autant plus dures que j'en étais encore à mon début. L'eau du canal, d'ailleurs très bonne, mais jaunâtre et terreuse, me semblait du lait ; je ne connaissais pas de fruit préférable à la datte ; le pain arabe mal pétri, mal cuit, imprégné d'odeurs fortes et désagréables, à cause des matières employées à sa cuisson, ne m'inspirait pas le moindre dégoût. Je n'avais d'autre lit que les planches du bateau, et je voyais sans envie les couches moelleuses des passagers plus heureux, qui me regardaient peut-être avec dédain. J'étais fier de ma pauvreté comme ils l'étaient sans doute de leur richesse, et je comprenais instinctivement (qu'on me pardonne ce manque de modestie) que j'avais plus d'avenir, comme voyageur, que ces hommes qui ne consentent à quitter leur pays, qu'à la condition de pouvoir s'entourer, même en voyage, de toutes les commodités de la vie.
Avant mon départ d'Alexandrie, j'avais commencé, pour mon usage, un vocabulaire français et arabe, et je ne négligeais rien pour l'enrichir de mots nouveaux, dès que ma mémoire s'était approprié ceux qu'il renfermait déjà. Mon petit recueil grossissait sensiblement : j'avais appris la phrase sacramentelle, is mou é dé, comment s'appelle cela ? et chaque fois que je voulais connaître le nom arabe d'un objet, je mettais cet objet sous les yeux des matelots de la cange, en répétant ma phrase, et ceux-ci répondaient toujours à ma question avec un bienveillant empressement. La langue de Mahomet est d'une difficulté extrême, à cause surtout de sa prononciation. Les Arabes sont, pour les étrangers qui la parlent , d'une indulgence qu'on ne saurait trop admirer ; la phrase la plus incohérente, les constructions les plus irrégulières n'excitent jamais leur hilarité, n'amènent jamais sur leurs lèvres un sourire railleur."
 
extrait de Voyage en Égypte et en Nubie, 1846, par (Jean Alexandre) Edmond Combes (1812-1848), explorateur français

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