mardi 17 décembre 2019

"Philae, c'est la perle du Nil et le bijou de l'Égypte" (Joseph Joûbert)

par Edward Lear  (1812–1888)

"Notre dahabiéh passe ainsi successivement ces terribles rapides, que Diodore de Sicile réputait infranchissables, et tout à coup, à un détour du Nil, Philae, l'Ile sainte, se montre à nous, gracieuse apparition que le voyageur, sortant de ces arides parages, salue avec joie, comme l'Arabe, errant dans le désert, qui voit soudain se lever à l'horizon et grandir l'oasis tant souhaitée. 
Le cadre, d'ailleurs, fait encore ressortir l'incomparable beauté du tableau. D'un côté s'élève l'île de Bighèh, avec ses sombres rochers aux formes fantastiques et entassés en désordre les uns sur les autres dans un prodigieux chaos, comme si les Titans avaient pourfendu la montagne pour se livrer à coups de fragments quelque gigantesque combat. Sur l'autre rive verdoyante et cultivée des palmiers laissent retomber leur élégante chevelure, et des sycomores, aux larges branches étalées, ombragent un monastère de Franciscains aujourd'hui abandonné. Au loin une dahabiéh se détache des roches noires et luisantes comme des blocs de houille, et la longue voile fend de sa ligne blanche le bleu éclatant du ciel ou la surface dorée des sables. Le Nil, qui à quelques cents mètres de là écume et bondit mugissant, coule ici sans bruit et frôle doucement la rive.
On ne saurait imaginer un site plus adorable et plus enchanteur. Ici l'art et la nature se sont mariés, et de leur mystérieuse union est sortie cette merveille de grandeur superbe et de grâce exquise. Au milieu de cette nappe d'eau, aussi calme et azurée qu'un lac, se dresse l'île dont la divine beauté, comme celle de Vénus, semble avoir jailli du sein des flots. 

Philae, avec sa ceinture de terrasses demi-écroulées, les bouquets d'acacias et les dais de palmiers qui festonnent ses berges, sa couronne architecturale de ruines en partie voilées par le feuillage mouvant, Philae, avec ses pylônes grandioses, ses majestueux portiques et surtout la ravissante colonnade du Kiosque, diadème de cet écrin sans rival, Philae, c'est la perle du Nil et le bijou de l'Égypte que le regard contemple avec délices et que l’œil enivré ne peut se lasser d'admirer ! Que dire enfin de la lumière orientale qui baigne et inonde toute cette nature si poétique ? Rien de criard, rien de discordant qui éblouisse ou heurte la vue. Les ruines resplendissent de blancheur, le noir des roches étincelle, les sables ont des reflets d'or éclatant, l'onde miroite par mille lames d'argent, la verdure renvoie des feux d'émeraude, le dôme céleste arrondit sa coupole ruisselante d'azur, et pourtant toutes ces nuances vives et ardentes sont fondues dans une suave harmonie que versent les rayons d'un soleil prodigue.
Quoi de plus charmant qu'une promenade dans l'île de Philae à travers le fouillis des ruines et des buissons, des débris et des plantes entrelacés ?"



extrait de En Dahabièh, du Caire aux cataractes : Le Caire, le Nil, Thèbes, la Nubie, l'Égypte ptolémaïque, 1894, par Joseph Joûbert (1853-1925?), voyageur, explorateur, conseiller de la Société des études coloniales et maritimes

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