photo d'Antonio Beato (né vers 1825, mort en 1906) |
"Pour goûter les monuments égyptiens dans ce qu'ils ont de vraiment bon, il faut une étude préalable et comme une sorte d'initiation. Quand Champollion n'avait pas encore retrouvé la clef si longtemps perdue des hiéroglyphes, on pouvait étudier un monument égyptien comme on étudie un monument grec et ne lui rien demander au-delà de ce que nous révèle sa forme extérieure. Mais les textes parfaitement lisibles qui sont aujourd'hui sous nos yeux, déplacent la question. L'art est rejeté au second plan, et ce que l'on demande à un monument égyptien, c'est avant tout ce qu'il signifie dans ses rapports avec l'histoire, avec la philosophie, avec la religion du pays.
Sans doute le voyageur qui vient en Égypte pour rencontrer des impressions d'artiste ne perdra pas son temps : la transparence du ciel est infinie ; à certaines heures du jour, le paysage est d'une ravissante délicatesse de lignes et de tons ; les ruines des temples produisent d'incomparables effets comme aspect pittoresque et grandiose. Mais le visiteur qui se contente d'admirer les monuments à ce point de vue, ne profite qu'à demi de son voyage, ou plutôt il ne lui a pas fait rendre tout ce qu'il peut donner.
Il y a, en effet, dans les monuments égyptiens, autre chose que la forme. Ce qu'un temple égyptien offre de plus remarquable, c'est souvent ce qu'on n'y voit pas. Il peut séduire plus ou moins par l'harmonie de ses lignes et la grandeur de ses proportions, mais on ne le connaîtra vraiment et on ne l'appréciera que si l'on réussit à saisir l'idée commune qui donne la vie à tout ce vaste ensemble.
On ne peut donc pas étudier un monument égyptien comme on étudie un monument grec. Entre tous ses dons précieux, la Grèce a celui de s'ouvrir sans effort devant le voyageur et de se laisser saisir sans préparation. Au pied du Panthéon, en face de la Vénus de Milo, l'admiration s'impose, si peu doué qu'on soit. On peut aller en Grèce sans un livre. On emporte toujours avec soi, cachée dans quelque repli de l'âme, une source qui ne demande qu'à jaillir : devant ces chefs-d'œuvre que l'humanité n'a produits qu'une fois et que peut-être elle n'est plus capable de produire encore, l'émotion nait d'elle-même. Mais il n'en est pas tout-à-fait ainsi pour l'Égypte. La Grèce a trouvé le beau absolu ; comme tous les arts conventionnels, l'art égyptien n'est beau que relativement à lui-même. Mais en supposant même qu'il égale en perfection l'art grec, il y a toujours quelque chose de plus à demander aux monuments qu'il a produits. Pour jouir tout-à-fait d'un voyage dans la Haute-Égypte, il faut une préparation."
extrait de Voyage dans la Haute-Égypte : compris entre le Caire et la première Cataracte : explication de quatre-vingt-trois vues photographiées d'après les monuments antiques, 1878, par Auguste Mariette (1821-1881), créateur du service des antiquités de l’Égypte et du musée de Boulaq
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