mardi 3 décembre 2019

L'aurore, en Égypte, par Gérard de Nerval

Augustus Osborne Lamplough (1877 - 1930) - Sunset over Cairo

"Je monte quelquefois sur la terrasse de la maison que j’habite dans le quartier cophte, pour voir les premiers rayons qui embrasent au loin la plaine d’Héliopolis et les versants du Mokattam, où s’étend la Ville des Morts, entre le Caire et Matarée. C’est d’ordinaire un beau spectacle, quand l’aube colore peu à peu les coupoles et les arceaux grêles des tombeaux consacrés aux trois dynasties de califes, de soudans et de sultans qui, depuis l’an 1000, ont gouverné l’Égypte. L’un des obélisques de l’ancien temple du soleil est resté seul debout, dans cette plaine, comme une sentinelle oubliée ; il se dresse au milieu d’un bouquet touffu de palmiers et de sycomores, et reçoit toujours le premier regard du dieu que l’on adorait jadis à ses pieds. 
L’aurore, en Égypte, n’a pas ces belles teintes vermeilles qu’on admire dans les Cyclades ou sur les côtes de Candie ; le soleil éclate tout à coup au bord du ciel, précédé seulement d’une vague lueur blanche ; quelquefois il semble avoir peine à soulever les longs plis d’un linceul grisâtre, et nous apparaît pâle et privé de rayons, comme l’Osiris souterrain ; son empreinte décolorée attriste encore le ciel aride, qui ressemble alors, à s’y méprendre, au ciel couvert de notre Europe, mais qui, loin d’amener la pluie, absorbe toute humidité. Cette poudre épaisse qui charge l’horizon ne se découpe jamais en frais nuages comme nos brouillards : à peine le soleil, au plus haut point de sa force, parvient-il à percer l’atmosphère cendreuse sous la forme d’un disque rouge, qu’on croirait sorti des forges libyques du dieu Phtha. On comprend alors cette mélancolie profonde de la vieille Égypte, cette préoccupation fréquente de la souffrance et des tombeaux que les monuments nous transmettent. C’est Typhon qui triomphe pour un temps des divinités bienfaisantes ; il irrite les yeux, dessèche les poumons, et jette des nuées d’insectes sur les champs et sur les vergers."

extrait de Voyage en Orient, Volume 1, par Gérard de Nerval (1808-1855), écrivain et poète français

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