lundi 29 novembre 2021

"Prisme des préjugés" et "vérité des faits" à propos de l'Égypte, selon le journaliste S. de Chonski (XIXe s.)

auteur et date du cliché non identifiables

"Nous sommes sujets, en France, à un singulier phénomène d'optique : plus une contrée se trouve rapprochée de nous, plus elle nous apparaît sous un faux jour, et, si notre examen se prolonge, notre erreur prend, sans peine, des proportions gigantesques.
Nos idées générales sur l'Égypte offrent un exemple frappant de ce travers de jugement. Il y a peu de pays dont on ait tant parlé, tant écrit, et, néanmoins, sur les événements les plus simples, dont la terre des khédives est journellement le théâtre, des énormités s'impriment dans les organes les plus autorisés de la presse française et s'accréditent sans discussion dans l'opinion publique.
D'un autre côté, peu de lecteurs daignent se donner la peine d'étudier et de rétablir dans leur entière vérité des faits aperçus à travers le prisme de nos préjugés, où, au milieu des émotions d'un chauvinisme presque toujours mal entendu.
Nos errements tiennent en effet à des raisons multiples.
Peu habitués à voyager, dès qu'il faut affronter quatre ou cinq jours de traversée, nous préférons juger les peuples voisins d'après nous-mêmes.
C'est généralement un honneur que nous leur accordons, mais nous devrions pourtant admettre que des races, absolument différentes de la grande famille latine, peuvent avoir le mauvais goût de ne pas penser, de ne pas vivre, de ne pas agir, ainsi que nous le faisons nous-mêmes.
Puis, en fait d'histoire, nous aimons à nous en tenir aux données recueillies distraitement sur les bancs de l'école ou dans les lectures hâtives de notre existence fiévreuse ; notre connaissance des pays étrangers, même les plus voisins, se bornent donc, pour beaucoup d'entre nous, aux banalités des guides des voyageurs.
Enfin, tous les écrivains qui se sont aventurés en Égypte étaient, soit des savants, soit des fantaisistes.
Les égyptologues ont déchiffré les rébus hiéroglyphiques, ils les ont commentés et même - au besoin - inventés, mais ils ont toujours eu soin de se tenir hors de la portée des profanes.
Les fantaisistes, poètes pour la plupart, ou romanciers, ont créé un Orient spécial qui existe seulement dans leur imagination surchauffée par un soleil ardent, hantée par des visions légères de houris ou d'aimées.
Quant aux diplomates et aux journalistes, ils appartiennent à un clan plus terre à terre, et, nous décrivent le pays en partant d'une opinion faite d'avance, en suivant une ligne de conduite toute tracée par les obligations diplomatiques ou par les exigences du journal.
Nos croquis n'auront qu'une prétention, et, si ce n'est pas trop dire - un mérite - celui de la vérité.
Avec la plus grande impartialité, nous nous attacherons simplement à essayer de détruire les absurdes fantaisies qui, à force d'avoir été ressassées, ont pris les allures d'axiomes incontestables.
Ni poètes ou savants : ni optimistes ou pessimistes, - vrais.
"Pas de pays plus riche que l'Égypte ! Pas de peuple plus indolent que l'Égyptien !" se sont écriés tous les publicistes - ou presque tous - avec une entente d'autant plus touchante, qu'elle est plus rare.
Les deux qualificatifs sont complètement erronés. Pour s'en apercevoir, et bientôt s'en convaincre, il suffit au voyageur, le moins enclin à l'observation, de monter dans un wagon du chemin de fer - allemand, mais confortable - qui fait le service entre Alexandrie et le Caire.
Il y a deux panoramas bien distincts, bien différents l'un de l'autre : celui du Delta, et celui de la moyenne Égypte.
D'abord, à perte de vue, des champs verts sous l'enchevêtrement des canaux.
Près de la voie ferrée, ici, une mosquée au dôme en moitié d'orange ; là, une cheminée de haut fourneau ; plus loin une sakièh qui, en grinçant, élève l'eau nécessaire à l'arrosage ; partout dans la verdure, un fourmillement d'hommes, de femmes, d'enfants qui défrichent, ensemencent, arrosent, moissonnent.
Un jour d'interruption dans ce labeur infernal, c'est la gerbe qui jaunit, brûlée : c'est le champ qui se crevasse, desséché !
Dans le lointain, le reflet gris-bleuté d'un grand lac !
Cette Égypte-là est fertile ; mais, au prix de combien d'efforts, de difficultés, d'alternatives et d'inquiétudes ! Brûlé par une chaleur torride, sans un moment de sieste, il faut que le paysan lutte perpétuellement pour le pain quotidien.
À la ville, c'est le même tableau.
Un fouillis d'hommes, de femmes, d'enfants se livrant à tous les petits commerces des rues. Fruits, légumes, arachides grillées passent et repassent dans les éventaires, en équilibre sur la tête des marchands.
Des gamins suivent et pressent en courant leurs ânes loués pour plusieurs heures.
Dans la maison en construction, le père de famille utilise tous les bras de sa smala.
Dans les fabriques, jamais les machines ne s'arrêtent, et, pour un salaire infime, les équipes d'ouvriers se succèdent en se partageant les vingt-quatre heures du jour.
Voilà cependant le peuple auquel nous avons fait un renom d'indolence.
Poursuivons notre excursion.
Nous avons dépassé Tantah, où des foires colossales amènent deux fois par an, et par centaines de mille, tous les petits commerçants du pays.
Le Caire apparaît ! et, déjà sur l'horizon immense se détache une ligne jaunâtre : c'est le désert, le sable, le néant.
Plus d'eau !
Rien ne pousse, que quelques racines rabougries de tamarins rampant sur la poussière.
Plus de culture !
Rien ne subsiste, que les rares bouquets de palmiers desséchés sur pieds.
À l'infini s'étend, désolé, presque lugubre, l'océan d'ocre, où les pieds des chameaux enfoncent comme embourbés, et sur lequel surgissent les triangles inégaux des Pyramides, témoins muets d'un temps préhistorique, où ce sable a dû être cultivé, couvert d'une population énorme, qui a pu seule arriver à entasser les blocs gigantesques du tombeau de Képhren.
À partir du Caire, aussi loin que nous remonterons vers le centre de l'Afrique, aussi loin que s'étendra l'Égypte, bien au-delà de Wadi-Halfa, cette frontière scientifique inventée par l'Angleterre, car de borne naturelle au sud, le pays n'en a pas, le tableau sera le même.
La frontière naturelle, ce n'est en effet, ni Berber, ni Korosko, c'est la ligne au delà de laquelle la barbarie et le désert défendent aux percepteurs de taxes de pénétrer.
Aussi haut qu'on voudra s'aventurer, l'aspect général du pays, c'est le panorama que tous les touristes vont admirer de Hélouan, cet Enghien des Cairotes.
Deux énormes nappes de sable jaune s'allongent, coupées par un filet étincelant, - le Nil - que bordent deux étroits lisérés d'un vert sombre - les terres cultivées.
Voilà le pays dont la fertilité est si vantée par les faiseurs de rapports officiels : deux bordures verdoyantes et le Fayoum, - un point vert, - dans la poussière aveuglante du désert."

extrait de Croquis égyptiens, 1887, par S. de Chonski, rédacteur-directeur du service des affaires étrangères au journal Le Constitutionnel.

samedi 27 novembre 2021

"Thèbes, ta poussière est faite de héros, de rois et de dieux " (Lucien Augé de Lassus - XIXe s.)

auteur et date de ce cliché non précisés (domaine public)

"Thèbes, cité royale et sainte
Dont cent portes perçaient l'enceinte,
Ô toi qui détrônas Memphis !
Terre en héros longtemps féconde,
Qui lançais à travers le monde
Le flot débordant de tes fils !

Tes rois, de l'Éthiopie ingrate
Aux bords fortunés de l'Euphrate,
Planaient, aigles victorieux.
Que de fleurons à ta couronne !
Dans le passé ton nom résonne
De tons les fracas glorieux !

Maintenant de débris sans nombre
Ton immense ruine encombre
Du désert le sable doré.
Vide et muette, tu contemples
La grande image de tes temples
Que reflète le Nil sacré.

Oh ! combien ont compté d'aurores
Tes colosses aux flancs sonores,
Quand à l'Orient radieux,
Le gai soleil, dardant sa flamme,
Sous ses baisers éveillait l'âme 
De tes granits mélodieux !

J'aime ces formidables bornes
Qui dressent dans les plaines mornes
Leur front par la foudre ébréché.
Là, le soir, vient le vautour chauve
Qui ferme sa prunelle fauve
Et l'aile basse dort perché.

C'est la tombe ; et pourtant il semble
Que l'air vibre, que le sol tremble.
Tant de gloire ébranla ces lieux !
Tu triomphes dans ta défaite,
Thèbes, et ta poussière est faite
De héros, de rois et de dieux !"

extrait de Thèbes, hymne et chanson, 1877, par Lucien Augé de Lassus (1841-1914), auteur dramatique, poète, librettiste de Camille de Saint-Saëns, archéologue, passionné de voyages.

mercredi 24 novembre 2021

"La majesté de l’architecture des anciens Égyptiens", par Alexandre Lacorre, XVIIIe-XIXe s.)

Louxor - allée des Sphinx à tête de bélier, par Antonio Beato, 1864

"On peut, après avoir vu Girgéh, se former une idée de la Haute-Égypte. À mesure que l’on monte, et que le terrain se rétrécit entre les deux chaînes stériles qui l’enferment, on remarque même que la végétation acquiert encore plus de forces, et la nature de nouveaux charmes : on dirait que cette mère prodigue veut témoigner à l'Égypte, en l’accablant de présents, le regret qu’elle a de la quitter pour aller expirer dans les déserts qui l’attendent aux confins de la Nubie.
Il faut voir Kennéh (l’ancienne Thèbes), Luxor, les temples d’Esnéh et de Denderah, pour se convaincre de la majesté de l’architecture des anciens Égyptiens : on se croit transporté dans le pays des fées et des génies. Ce ne sont que colosses, que portiques gigantesques de deux seuls blocs. Des obélisques, des colonnes d'une hauteur prodigieuse, se trouvent entassés dans un espace très rapproché. À quelques pas plus loin, on voit une allée de sphinx, d’un quart de lieue de long. Personne ne résiste à l'impression de grandeur que produit l’accumulation de ces masses ; presque toutes sont de granit. Plusieurs temples subsistent encore, aussi bien conservés que le plus récent de nos édifices publics, et cependant le plus moderne n’a pas moins de 4000 ans.
Les montagnes de la Lybie sont percées en face de Thèbes, d’un nombre étonnant de grottes sépulcrales, ornées de bas-reliefs et de peintures à fresque. Elles servirent d’habitations aux premiers hommes qui peuplèrent les bords du Nil, et ils en firent ensuite des caveaux pour leurs momies : on en trouve tous les jours dans ces souterrains, où elles sont placées dans des espèces de niches. J’ai vu au Caire trois de ces corps embaumés ; ils étaient renfermés dans des coffres de bois de sycomore, qui s’ouvraient comme un étui de violon. Ils avaient en outre une enveloppe de carton très épais, formé de toiles collées les unes contre les autres. Deux des coffres étaient sculptés ; le troisième était sans ornement en relief, mais son enveloppe de carton était couverte d’hiéroglyphes. Dans une autre momie, les hiéroglyphes étaient dessinés sur le coffre de bois qui était tapissé de toiles fines et peintes, et l’enveloppe de carton ne présentait que des peintures insignifiantes, mais qui avaient conservé tout leur éclat et toute leur fraîcheur. Ces momies, comme celles que j’ai eu occasion de voir par la suite, étaient entortillées de longues et larges bandes de toile, depuis la tête jusqu’à l’extrémité des pieds ; les ongles, qui dans quelques-unes
étaient dorés, avaient un entourage de fil, pour les empêcher de tomber. On a trouvé dans la bouche de plusieurs momies une petite pièce d’argent : c’était le tribut qu’il fallait payer pour passer l’Achéron."

texte extrait de Coup d'oeil sur l'Égypte et la Palestine, 1807, par Alexandre Lacorre, ex-employé dans l’armée d’Orient et simple commis aux vivres, attaché à la division du général Lannes pendant la campagne de Syrie, puis plus tard, adjoint aux gardes-magasins de Rosette et du Caire pendant la Campagne d’Égypte.




lundi 22 novembre 2021

Un musée "excessivement intéressant, disposé avec un goût extrême" (Achille Fouquier, à propos du musée de Boulaq)


Illustration extraite de l'Album du musée de Boulaq : comprenant quarante planches / photographiées par MM. Delié et Béchard ; 
avec un texte explicatif par Auguste Mariette-Bey, 1872

"J'avais pour M. Mariette, le savant égyptologue, une lettre d'introduction, je désirais le voir et visiter aussi l'intéressant musée d'antiquités qu'il a fondé à Boulaq, sa résidence habituelle. Je me rendis donc à ce joli village situé sur la rive droite du Nil. Boulaq contient 4 ou 5,000 habitants. C'est le port de toutes les barques qui viennent de la basse Égypte à destination du Caire, de sorte qu'aux abords du fleuve il règne toujours une animation extrême. Quant au musée, il est excessivement intéressant, et, quoique dans un local provisoire, dit-on, il est disposé avec un goût extrême.
En parcourant les salles bien éclairées où sont déposés les précieux restes d'une civilisation qui remonte à bien des siècles, on reconnaît vite le soin en toutes choses, l'esprit de méthode qui caractérise les Occidentaux. Mais comme il faut rendre à César ce qui appartient à César, on doit avant tout remercier le vice-roi d'avoir mis M. Mariette à même de réunir tant d'éléments précieux pour l'histoire.
Jadis les antiques monuments de l'Égypte, les grandes villes en ruine, les nécropoles que l'on trouve dans leur voisinage, étaient comme des mines où les fellahs allaient puiser à l'aventure, et sans discernement, tout ce qu'ils vendaient aux étrangers désireux de recueillir quelques débris du passé. Bien des objets d'un haut intérêt ont été ainsi dispersés dans des collections particulières qui se sont elles-mêmes évanouies à la mort de celui qui les avait faites. L'ignorante avidité des chercheurs d'antiquités a souvent amené la destruction de monuments très intéressants.
Pour couper le mal dans sa racine, le vice-roi décida que puisque le sol de l'Égypte lui appartenait, il était également le seul et unique possesseur de tout ce que la terre recélait au-dessous de sa surface. Il fut donc interdit aux fellahs de faire la moindre fouille, de rechercher la moindre antiquité et d'en faire le commerce. Extraire une momie de son tombeau, et la vendre, fut considéré désormais comme un vol commis au préjudice de Son Altesse. S'il n'est pas facile de faire exécuter cette mesure dans toute sa rigueur, elle n'en a pas moins eu pour résultat d'arrêter en grande partie le pillage qui n'eût été qu'en augmentant avec le nombre de plus en plus considérable des voyageurs qui visitent l'Égypte. (...)
Sous l'habile direction de M. Mariette, bien des fouilles ont été exécutées et ont amené des découvertes de la plus haute importance. II ne s'est pas borné à garnir les murs du musée de Boulaq de stèles, ou pierres gravées couvertes d'hiéroglyphes, à exposer aux regards les statues en granit et en porphyre des rois qui ont régné jadis sur l'Égypte, à mettre dans des vitrines les scarabées que l'on trouve avec les momies, les petites figures des
nombreuses divinités qu'on plaçait auprès des morts pour les sanctifier et les protéger, et les divers ustensiles qui servaient, soit au culte, soit aux usages quotidiens des hommes d'autrefois ; il a fait encore un catalogue dont la lecture attentive suffirait pour initier aux idées religieuses, aux mœurs et aux habitudes des anciens habitants de la vallée du Nil. Ce catalogue a le rare mérite de décrire, en quelques mots, chaque objet avec clarté et précision, d'en indiquer l'usage et de n'être pas d'une lecture aride comme le sont ordinairement ces sortes d'ouvrages.
Il est aisé de voir, en parcourant le musée, que l'art égyptien a subi des phases bien diverses : il a, pendant certaines périodes, brillé avec éclat, puis sont venus les temps de décadence. Sans pouvoir lire ni comprendre les hiéroglyphes, on reconnaît dans le soin, la précision, l'élégance de la gravure, des différences telles qu'elles frappent au premier coup d'œil.
La vue des statues donne lieu aux mêmes remarques. Les belles époques de l'art ont toujours concordé avec celles de la prospérité du royaume, comme on peut s'en assurer en étudiant la suite des événements qui se sont accomplis dans l'Égypte ancienne.
Depuis que le génie de Champollion a découvert les moyens de lire les caractères hiéroglyphiques, l'histoire de ce pays, écrite en grande partie sur ses monuments, a pris tout à coup un degré de précision inattendu. Les trois premières dynasties pharaoniques restent encore enveloppées de ténèbres ; mais à partir de la quatrième la lumière se fait, car on sait que la grande pyramide de Guiseh, construite par Chéops, date de cette époque lointaine. Elle prouve à elle seule que, dans un temps où les nations qui devaient occuper plus tard la plus grande place dans l'histoire du monde étaient encore plongées dans une barbarie profonde, déjà sur les bords du Nil il existait une civilisation tellement avancée, qu'on doit augmenter le nombre, admis jusqu'ici, des siècles écoulés depuis que les hommes sont constitués en société régulière."

De ses voyages (Europe, Balkans, Afrique du Nord, Proche et Moyen-Orient), Achille Fouquier (1817-1895), diplômé de l'École des mines de Paris, rapporta de nombreuses illustrations. Il relata également ses périples dans quelques ouvrages, dont 
Hors de Paris : canal de Suez, Le Caire, Jérusalem, Damas, publié en 1869, dont est extrait le texte ci-dessus.




mercredi 17 novembre 2021

"Sentiment de stabilité, sentiment d'éternité, c'est ce qui nous frappe d'abord dans le paysage égyptien" (Georges Dumani)

Egyptian Landscape, by Joseph Farquharson (1846-1935)

La philosophie du paysage égyptien

"Des écrivains comme Hérédia, Anatole France, Pierre Louys, Gabriele d'Annunzio qui, avant tout, sont des artistes, ont eu de l'Égypte une vision poétique. Un écrivain, comme Maspéro, l'a regardée en savant et en historien. Avec lui ce ne sont plus des évocations fantaisistes, c'est le commentaire de ce qui fut et de ce qui vécut vraiment. Il ne dérange la poussière des morts que pour faire lever, d'entre les ombres des siècles, la vie !
Maspéro a achevé l'œuvre de ses prédécesseurs, et il les a dépassés, car il a communiqué aux pierres insensibles, que les siècles mêmes n'ont pas touchées, un souffle de beauté admirable. Sans doute, il n'a pas écrit l'histoire psychologique de ce peuple dont la civilisation fut la première du monde. Il s'est borné à le faire revive dans son milieu familial, dans ses rites religieux et dans ses époques guerrières.
Cependant, il a compris l'élément poétique que comportait le passé si profond de l'Égypte. Une chose du moins n'y a pas changé : la nature. Et, avec l'orgueil, la fierté délicieuse de l'homme qui découvre, sous les voiles qu'il soulève, les formes de la femme désirée, il soulève les voiles qui cachaient, dans un passé ténébreux, l'Isis mystérieuse.
Ceux qui l'ont devancé furent des savants austères. D'autres ont découvert la "lettre", mais lui a découvert "l'esprit". Il nous ouvre le chemin des temples et des tombeaux illustres avec une émotion touchante ; il apparaît comme envoûté par le passé d'un sol où les hommes ont pu mourir, mais dont la beauté demeure inaltérable.
En somme, peu d'artistes ont aussi bien décrit l'Égypte que cet historien qui, parti à la conquête des villes mortes, a rencontré partout la vie. Curieux contraste avec Pierre Loti qui, en voulant découvrir la vie, n'a trouvé que la mort et la désolation, et qui traîne, dans la lumineuse ardeur d'un sol généreux et sous l'éclat d'un ciel immarcescible, une âme de mélancolie.
Le paysage égyptien ne vaut que par les idées qu'il suggère. Il comporte peu de grâce, mais il est évocateur dans son apparente immobilité. Observez que nos souvenirs se trouvent éternellement emprisonnés dans le même décor, décor merveilleusement prenant et expressif. Evoquez, par exemple, les paysages de votre enfance, et vous les trouverez identiques à ceux qui vous entourent aujourd'hui. Rien n'a changé, pas plus en eux qu'en nous. Ce sont les mêmes impressions qui se lèvent des mêmes images. Et cela a dû être toujours ainsi : plaines éternelles, ciel pur et fleuve mélancolique qui mire dans ses eaux lentes de vieux palais en ruines, fleuve ancien comme le monde et témoin de plus vieilles aventures humaines, vestige d'un passé grandiose qui défie le temps ! Sentiment de stabilité, sentiment d'éternité, c'est ce qui nous frappe d'abord dans le paysage égyptien. Oui, paysage immobile ; la lumière seule varie sans le changer. Il semble plus profond de demeurer lui-même dans le rose du matin, l'or du midi, le vert des crépuscules et le bleu des nuits.
Partout ou l'on voyage en Égypte, on trouve la même immobilité, et cette même vie sans mouvement.
Sans doute, il ne parle pas de suite à l'imagination. Il convient davantage à la maturité, qui est le temps du repos et de la réflexion. Il ne séduit vraiment qu'aux abords de la vieillesse. Alors se révèle cette beauté simple, austère de lignes et riche de lumière. C'est parce que nous le trouvons si différent du paysage de France, au charme doux et nuancé, gracieux et innombrable, du paysage d'Italie, voluptueux et contracté tour à tour, du paysage proche de l'Asie Mineure, sauvage et ardent, que le calme éternel du paysage égyptien nous émeut si fortement !
La vie doit être un incessant effort vers l'amour. Ceux-là seuls, qui ne la consument pas en agitations mesquines, aiment. Car ceux-là découvrent des raisons qui éveillent en eux les idées lointaines de la race, et les réalités mortes qui se prolongent indéfiniment dans la sensibilité. L'amour n'est pas un sentiment superficiel, éprouvé devant des objets ou des êtres qui plaisent. Il est plus appliqué et plus difficile.
S'il est une minute dans une longue suite de siècles, il est surtout un orgueil de vivre pleinement et de sentir battre en soi le cœur des chers morts dont nous avons tout hérité.
L'amour se rattache par des "faits" à tout le passé. Or, si le passé de chaque race lui appartient en propre, il est des passés qui appartiennent à toute l'humanité civilisée.
Il y eut dans l'antiquité deux nations qui vécurent de la vie la plus intense et la plus brillante. L'Égypte et la Grèce possédèrent les premières religions et les premiers arts, et elles créèrent les premières traditions. Qu'en reste-t-il ? Des souvenirs - et quelques monuments d'art et de littérature ! Voilà donc des passés qui appartiennent à tout le monde, car voilà des civilisations éteintes où communia l'humanité entière, depuis des siècles.
Nous ne pouvons remonter à ces passés en suivant une chaîne dont tous les anneaux existent. Il y a un arrêt, et puis le silence des siècles, et puis la folie des conquêtes, et puis le passage de mille peuples. Quand la chaîne se renoue, les anneaux ont changé. C'est une suite, et non pas une évolution.
L'ancienne Égypte est une page d'histoire "isolée". Elle nous touche peut-être moins que la Grèce, dont l'art demeure sensible jusqu'à présent. Elle domine, hautaine et triste, du haut de son art granitique et obscur… Ses ruines ne sont belles qu'au milieu de la mer de sable. Les Pyramides, et le Sphinx, et Karnak, et Louqsor ne sont si magnifiques que parce que les vagues d'or du désert viennent expirer à leurs pieds. Ruines qui veulent la solitude des temps et de l'espace ! En quoi peuvent-elles nous être utiles ? Ce n'est pas sur une image de la Beauté, comme sous le ciel attique, qu'on peut méditer ici. Ce serait plutôt sur une image de la Force qui se dresse fière, auguste et éternelle. Triste constatation : les hommes se sont éloignés de ces travaux faits par d'autres hommes. On ne va pas à eux avec la piété d'un pèlerinage : la curiosité seule nous attire ; et devant eux on n'éprouve rien qu'une admiration étonnée. Il faut le dire : on ne sent pas l'âme de ceux qui ont bâti ces grandes choses silencieuses ; on ne découvre pas leur pensée. Ruines qui sont vraiment des tombeaux !
Cependant, si le lien de la race n'est pas toujours sensible, il y a celui de la terre. Ici même, dans la même lumière et sous le même ciel, des êtres ont vécu qui ont subi des influences naturelles identiques à celles qui nous forment. Une chose donc n'a pas changé, et c'est ce paysage de rêve lourd et mélancolique, ce paysage endormeur de la sensibilité et de la pensée, plus troublant et plus exquis que l'opium, d'une triste et négative volupté.
À cause de cela, comme il explique merveilleusement l'adaptation rapide de l'âme égyptienne à l'Islam ! Ces vestiges grandioses ne sont ils pas eux-mêmes une preuve ? N'attestent-ils pas une tendance au fatalisme qui n'est qu'une forme détournée de la quiétude ?
Le charme du paysage égyptien n'est pas dans cette lumière, romantiquement chantée par des peintres qui ne l'ont regardée qu'avec leurs yeux, ou par des poètes plus sensibles aux mirages qu'à la vérité. Il est dans sa tristesse calme, dans une griserie de désespérance passive ! Tout ce que nous voyons autour de nous est comme une invitation à la mélancolie. Envoûtement délicieux, poison oriental ! L'âme occidentale et chrétienne, prisonnière d'un rêve qui se prolonge, a des sursauts devant cette immobilité qui gagne. La nature égyptienne se charge d'égaliser tous les êtres et toutes les sensibilités. Elle fait de nous des dormants lucides."

extrait de L'Art vivant : revue bi-mensuelle des amateurs et des artistes, éditée par les Nouvelles littéraires (Paris), 1er juillet 1930, par Georges Dumani bey, né en 1882 à Tantah, d'origine libanaise, mort en 1950. Journaliste littéraire, fondateur de la revue Goha, et homme politique.



lundi 15 novembre 2021

L'originale et attachante beauté de l'Égypte, par Firmin Van den Bosch

On the Banks of the Nile, by Johann Jakob Frey (1813-1865)

"Pour avoir tant de fois cheminé à l'ombre des mausolées triangulaires des rois de Memphis ou sous les voûtes souveraines de ces lieux de prières pour géants que sont les temples de Karnak, de Louxor, d'Abydos et de Denderah, pour avoir contemplé tant de fois les obélisques dressant vers l'azur leur défi à la destruction, et pour m'être si souvent assis de longues heures, pendant les nuits d'améthyste, devant le masque camus et lunaire du Sphinx, j'ai compris que l'art des pharaons fut surtout un art de grandeur massive et de hautaine majesté et que le don qu'il fait est une sorte d'exaltation purement cérébrale devant ses appels solennels et tenaces à l'immortalité. 
"Pour que mon nom vive à jamais" a inscrit sur son obélisque, toujours debout parmi les vestiges de Karnak, la reine Hatassou, ambitieuse, rude et perverse pharaon-femme. Et ce sont ces mots que répètent à leur tour tous ces pylônes, toutes ces statues, toutes ces colonnes qui, depuis des millénaires, affirment, dans le néant du désert, la contemplation de la mort et la fièvre de la survivance.
Grand art, certes, mais qui ne parle qu'à l'intelligence, sans toucher le cœur.
C'est dans le mystère des vieilles mosquées qu'il faut chercher un aliment à la sensibilité et ces nuances d'art qui procurent de douces vibrations intérieures. L'art arabe est le visage songeur et apaisé de l'Islam et qui contraste si étrangement avec son autre visage de volonté farouche et têtue. Ici, tout est calme, paix, symphonie harmonieuse de couleurs, élégante simplicité de lignes, une beauté où rien n'écrase et qui est comme l'illustration du silence ponctué par le lent égouttement de la fontaine aux ablutions.
C'est à l'heure surtout où le mauve crépuscule descend sur la cité que cet art arabe revêt sa véritable faculté d'émotivité. C'est une chanson qui berce avec toute la douceur du nirvanâ. Il y a, épais dans l'air, un rêve sur lequel ne pèse pas l'impitoyable et dur ananké que dispense l'art pharaonique, mais une sorte de résignation très douce à la destinée.
L'art pharaonique commande aux intelligences ; l'art arabe s'incline, avec tant de grâce émue, vers les sensibilités.
Le pèlerin de Beauté est requis encore, en Égypte, par d'autres aspects. Et ceux-là relèvent plus directement de la vie journalière et ambiante, et, sous l'éclatant soleil et l'implacable azur, déroulent les pages d'un livre d'images du plus étincelant pittoresque...
Et ces images sont d'une telle qualité picturale qu'elles ont toujours déconcerté et découragé les transpositions de l'art.
Barques aux formes éternelles, tendant à la brise, sur les frisottis du Nil, leurs voiles triangulaires ; théorie de chameaux cheminant le long de la berge ocrée et détachant, en violent relief, sur la pourpre du couchant, une mouvante frise ; femmes du peuple, aux amples robes noires, descendant lentement vers le fleuve, la cruche à l'épaule, en des attitudes hiératiques de porteuses d'amphore ; cortège de notables, aux allures graves, et dont les riches galabiehs chantent, dans la triomphale lumière, l'hosanna de toutes les tonalités ; au fond ombreux des bazars, chauds miroitements des cuivres, reflets moirés des tapis, et ces marchands de parfums, assis derrière le comptoir comme des grands prêtres des "odeurs suaves", et, aux jours où la foule se rue vers la chimère, remous intenses de peuple qui charrient à la fois de la violence et de la couleur !
Au touriste qui, au pas de course, traverse l'Égypte d'Alexandrie à Assouan, si vous demandez, à son retour au foyer, la vision artistique qu'il a emportée, il vous parlera pêle-mêle d'un temple aux colonnes gigantesques se profilant en puissance sur l'or des sables, ou d'une mosquée aux architectures délicates baignant, dans une fraîcheur exquise, le chatoiement nacré ou azuré de ses arabesques.
Mais il lui échappera presque toujours qu'entre ces deux formes de Beauté il y a plus qu'une solution de continuité, une cassure nette due aux remous de l'Histoire.
L'art pharaonique est un art autochtone, né du sol même d'où il a surgi ; l'art arabe est un art importé et qui s'est, du reste, adapté et incorporé admirablement aux ambiances.
Mais aucun contact entre ces deux arts, aucun concept commun, aucune similitude d'inspiration, aucune ressemblance d'exécution.
Une grande tradition est morte, et une autre est née qui lui est totalement étrangère et qui n'a de fraternel avec elle que d'être autrement mais également belle.
Désordre ? Oui, un beau désordre, dû aux événements politiques, qui apparaît vraiment comme un "effet de l'art" et qui donne au visage esthétique de l'Égypte son originale et attachante Beauté...
Et par-dessus tout, le désert, le désert qui partout enserre l'Égypte et demeure son grand patrimoine inviolé de Beauté ! Absurde légende que sa prétendue monotonie ! Il est le royaume d'une féerie toujours renouvelée, où, sous la chevauchée des nuages, les rayons et les ombres se livrent des combats inédits. Son aride végétation, d'une si surprenante et changeante variété, est comme un dur chemin qui conduit vers les oasis, refuges de verdure, d'eau vive et d'ombre qui sont les haltes reposantes de l'immensité et où se dressent, au seuil, en gestes d'accueil, les chefs bédouins drapés dans la blancheur des burnous, à la manière de statues antiques..
Égypte, terre des beautés diverses et multiples, somptueuse et frissonnante palette où toutes les couleurs se mêlent, ton souvenir demeure, pour qui te quitte, le viatique d'art de sa destinée."


extrait de L'Art Vivant, revue bi-mensuelle des amateurs et des artistes éditée par Les Nouvelles Littéraires, 5e année, n° 97, 1er janvier 1929, par Firmin Van den Bosch (1864-1949), magistrat et écrivain belge ayant participé activement à la vie artistique de l'Égypte, procureur général aux Juridictions internationales, fondateur et président des 'Amis de l'Art' à Alexandrie où il vécut vingt ans.

Une séance aux bains publics, par Frédéric Goupil-Fesquet



"Pour nous délasser de notre tournée dans les bazars, nous prions Ibrahim de nous conduire aux bains, en manière de passe-temps et pour nous mettre en appétit. Toutes les villes, et jusqu'aux moindres villages, possèdent des bains publics qui sont toujours chauffés, et les musulmans de toutes les classes s'y baignent plusieurs fois la semaine, par esprit de religion aussi bien que par raison de santé. Souvent il y en a de séparés pour les femmes et pour les hommes ; quelquefois ils sont communs aux deux sexes, qui s'y baignent alternativement, les femmes pendant le jour et les hommes pendant la nuit. Ceux où nous entrons sont des étuves spécialement consacrées aux hommes. Le prix d'entrée varie, dans les capitales, depuis la valeur de douze jusqu'à quarante sous ; cependant les gens du peuple, qui sont très misérables, y sont admis sans rétribution. On se croirait dans quelques thermes des anciens ; nous pénétrons dans de grandes salles bâties en pierres et revêtues de marbre ou de stuc, couronnées de coupoles percées de trous en étoiles fermés par des verres dépolis qui laissent arriver le jour très doux, et opposent un sûr obstacle à la curiosité. Les portes en sont garnies de feutre, et, par ce moyen, elles conservent la température qui est différente pour chacune, afin que le passage de l'air libre à l'excessive chaleur qu'on éprouve dans la salle de bain soit plus insensible.
Des tuyaux disposés dans l'épaisseur des murs, et partant d'une chaudière, font office de calorifères, et, s'élevant au haut de la voûte, font évaporer l'eau que l'on tient toujours en ébullition. D'autres conduits, qui partent d'un réservoir, sont également contenus dans la maçonnerie et fournissent de l'eau froide, qu'on peut faire couler à volonté par un robinet placé dans l'intérieur. Ces bains sont toujours maintenus à un degré de chaleur très élevé (30 ou 40° Réaumur).
Dans la première chambre, se trouvent des divans sur lesquels de grands coquins très noirs s'emparent de vous et vous débarrassent de vos habits en un clin d'œil, puis vous enveloppent le corps d'une pièce de toile de coton ou de soie, sorte de tablier qui descend depuis le sein jusqu'aux pieds ; ils vous hissent ensuite sur des sandales de bois, de six pouces de haut, pour vous empêcher de vous brûler les pieds sur les dalles ; cela fait, ils vous conduisent par les coudes dans la seconde chambre, où vous commencez à suffoquer ; mais la respiration revient bientôt, et vous pouvez vous livrer à l'étude très intéressante pour l'artiste de l'académie arabe dans toute sa pureté, moins la sécheresse des contours, qui devient impossible dans ces vapeurs laiteuses répandues autour de l'Européen étonné. Nos trois corps, plus ou moins gras, plus ou moins maigres, ne nous ont jamais paru si blancs qu'à côté de ces Africains musculeux. Le long des murs règne une estrade de marbre pour se reposer et se coucher ; de distance en distance, il y a des cuves de marbre d'où l'eau froide et chaude s'échappe à volonté des robinets et tombe dans des rigoles qui la portent à l'extérieur. Dès que nous sommes assis, trois baigneurs viennent nous prendre le bras, et, armés d'une sorte de gant ou sac en crin, commencent à nous en râper la peau avec une ardeur peu commune ; ils nous frottent de toute leur force et presque à faire sortir notre sang ; nous avons beau nous plaindre, ils continuent de plus belle, et notre drogman étant resté à la porte, les coups de poings sont la seule éloquence en notre pouvoir. Cependant ils se ralentissent, et procèdent successivement au décapage de chacun de nos membres ; ils nous couchent sur le dos, puis sur le ventre, nous font joindre les coudes, ployer les doigts, craquer tous les os, même ceux de la colonne vertébrale ; il faut s'abandonner entièrement et sans aucune résistance à toutes ces opérations, qui ne sont point douloureuses et vous dilatent le corps en le remettant pour ainsi dire à neuf et le préparant à un bien-être qu'on ne peut comprendre qu'en respirant l'air du dehors. On se trempe ensuite dans un bassin d'eau tiède, puis dans un d'eau chaude, on vous enduit de savon des pieds à la tête avec une espèce de plante filandreuse, appelée lifeh, qui ressemble à un peloton de chanvre ou de filasse ; le savon parfumé devient mousseux et blanc comme de la neige, et l'homme, ainsi couvert d'écume étincelante, paraît une statue de sel ou de marbre ; seulement, il faut avoir soin de fermer les yeux quand le baigneur vous badigeonne la figure. Après une seconde immersion, qui vous débarrasse de cette dernière toison, les Arabes vous essuient, vous entourent de draperies qu'ils ajustent savamment, vous enroulent un turban de toile blanche très chaude pour faire sécher les cheveux, et vous introduisent dans une chambre dont la température est moins chaude, où des lits très propres ont été disposés pour le repos le plus agréable. On s'y installe avec bonheur, car, après un bain qui a ouvert tous les pores et dilaté toutes les fibres, on éprouve une certaine fatigue qui fait désirer l'immobilité de la position horizontale ; le massage à sec est la dernière opération. Des boissons restaurantes et parfumées, du café excellent, et la pipe indispensable, vous sont tour à tour apportés. On ne s'étonne plus alors que les femmes passent dans ce lieu les moments les plus délicieux de leur existence ; car, pour qui ne vit point de poésie et d'imagination, qu'y a-t-il de plus charmant que de venir après la promenade se préparer de nouveau à respirer l'air et à trouver la chaleur extérieure très douce dans un climat si chaud ? Elles y font en partie leur toilette, y font apporter leur repas qu'elles prennent ensemble gaiment, car elles n'ont guère occasion de se trouver en compagnie, et profitent de ces instants pour s'entretenir de la grande affaire de la toilette, question bien autrement capitale pour elles que pour nos gracieuses lionnes."

extrait de Voyage d'Horace Vernet en Orient : orné de seize dessins, 1843, par Frédéric Goupil-Fesquet (1817-1878), peintre-aquarelliste-graveur, neveu du peintre Horace Vernet (qu’il accompagne en Égypte pour un bref séjour à Alexandrie et au Caire).