Des tuyaux disposés dans l'épaisseur des murs, et partant d'une chaudière, font office de calorifères, et, s'élevant au haut de la voûte, font évaporer l'eau que l'on tient toujours en ébullition. D'autres conduits, qui partent d'un réservoir, sont également contenus dans la maçonnerie et fournissent de l'eau froide, qu'on peut faire couler à volonté par un robinet placé dans l'intérieur. Ces bains sont toujours maintenus à un degré de chaleur très élevé (30 ou 40° Réaumur).
Dans la première chambre, se trouvent des divans sur lesquels de grands coquins très noirs s'emparent de vous et vous débarrassent de vos habits en un clin d'œil, puis vous enveloppent le corps d'une pièce de toile de coton ou de soie, sorte de tablier qui descend depuis le sein jusqu'aux pieds ; ils vous hissent ensuite sur des sandales de bois, de six pouces de haut, pour vous empêcher de vous brûler les pieds sur les dalles ; cela fait, ils vous conduisent par les coudes dans la seconde chambre, où vous commencez à suffoquer ; mais la respiration revient bientôt, et vous pouvez vous livrer à l'étude très intéressante pour l'artiste de l'académie arabe dans toute sa pureté, moins la sécheresse des contours, qui devient impossible dans ces vapeurs laiteuses répandues autour de l'Européen étonné. Nos trois corps, plus ou moins gras, plus ou moins maigres, ne nous ont jamais paru si blancs qu'à côté de ces Africains musculeux. Le long des murs règne une estrade de marbre pour se reposer et se coucher ; de distance en distance, il y a des cuves de marbre d'où l'eau froide et chaude s'échappe à volonté des robinets et tombe dans des rigoles qui la portent à l'extérieur. Dès que nous sommes assis, trois baigneurs viennent nous prendre le bras, et, armés d'une sorte de gant ou sac en crin, commencent à nous en râper la peau avec une ardeur peu commune ; ils nous frottent de toute leur force et presque à faire sortir notre sang ; nous avons beau nous plaindre, ils continuent de plus belle, et notre drogman étant resté à la porte, les coups de poings sont la seule éloquence en notre pouvoir. Cependant ils se ralentissent, et procèdent successivement au décapage de chacun de nos membres ; ils nous couchent sur le dos, puis sur le ventre, nous font joindre les coudes, ployer les doigts, craquer tous les os, même ceux de la colonne vertébrale ; il faut s'abandonner entièrement et sans aucune résistance à toutes ces opérations, qui ne sont point douloureuses et vous dilatent le corps en le remettant pour ainsi dire à neuf et le préparant à un bien-être qu'on ne peut comprendre qu'en respirant l'air du dehors. On se trempe ensuite dans un bassin d'eau tiède, puis dans un d'eau chaude, on vous enduit de savon des pieds à la tête avec une espèce de plante filandreuse, appelée lifeh, qui ressemble à un peloton de chanvre ou de filasse ; le savon parfumé devient mousseux et blanc comme de la neige, et l'homme, ainsi couvert d'écume étincelante, paraît une statue de sel ou de marbre ; seulement, il faut avoir soin de fermer les yeux quand le baigneur vous badigeonne la figure. Après une seconde immersion, qui vous débarrasse de cette dernière toison, les Arabes vous essuient, vous entourent de draperies qu'ils ajustent savamment, vous enroulent un turban de toile blanche très chaude pour faire sécher les cheveux, et vous introduisent dans une chambre dont la température est moins chaude, où des lits très propres ont été disposés pour le repos le plus agréable. On s'y installe avec bonheur, car, après un bain qui a ouvert tous les pores et dilaté toutes les fibres, on éprouve une certaine fatigue qui fait désirer l'immobilité de la position horizontale ; le massage à sec est la dernière opération. Des boissons restaurantes et parfumées, du café excellent, et la pipe indispensable, vous sont tour à tour apportés. On ne s'étonne plus alors que les femmes passent dans ce lieu les moments les plus délicieux de leur existence ; car, pour qui ne vit point de poésie et d'imagination, qu'y a-t-il de plus charmant que de venir après la promenade se préparer de nouveau à respirer l'air et à trouver la chaleur extérieure très douce dans un climat si chaud ? Elles y font en partie leur toilette, y font apporter leur repas qu'elles prennent ensemble gaiment, car elles n'ont guère occasion de se trouver en compagnie, et profitent de ces instants pour s'entretenir de la grande affaire de la toilette, question bien autrement capitale pour elles que pour nos gracieuses lionnes."
extrait de Voyage d'Horace Vernet en Orient : orné de seize dessins, 1843, par Frédéric Goupil-Fesquet (1817-1878), peintre-aquarelliste-graveur, neveu du peintre Horace Vernet (qu’il accompagne en Égypte pour un bref séjour à Alexandrie et au Caire).
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