Les monuments qui attestent l'orgueil, ceux qui consolent l'humanité et perpétuent la bienfaisance se présentent toujours avec bonheur en voyage, et sont l'objet pour tous d'innombrables remarques ; ce goût à la description architecturale, qui s'attache aux dimensions métriques, est très généralement répandu et très fatigant pour ceux qui lisent.
Quel si grand intérêt y a-t-il donc du nombre de pieds qui entrent dans la longueur et la largeur de chaque pierre ? est-ce là tout le langage qu'un temple, une mosquée ou un obélisque adresse à nos yeux ? Y a-t-il du mérite à avoir vu quelque chose de très gros et de très grand qu'il fallu conquérir bien loin de chez soi à la sueur de son front et après maintes fatigues ? Non, certes, mais c'est l'habitude, et on la pardonne.
Le goût de la dégradation du monument est encore le plus universel de tous, engendré par la vanité. Cette manie d'écrire son nom sur les murailles est d'un ridicule odieux. Un proverbe allemand, qui devrait être connu du vulgaire des touristes, est celui-ci : Les murailles et les tables sont le papier des ânes. Les Anglais qui voyagent beaucoup sont trop souvent affectés de cette désolante maladie ; on trouve, en effet, sur les diverses faces de la colonne de Pompée, des signatures qui confondent leur absurde obscurité avec celles de quelques Français aussi absurdes ; il y a même des gens qui ont été assez atteints du mal pour se faire hisser au sommet de la colonne et vouloir transmettre à la postérité en caractères gigantesques leurs vastes noms tracés avec le cirage immortel de leur patrie.
Oui, le cirage anglais du haut de ces monuments vous contemple ayec les siècles, et afin que personne n'en ignore, celui qui a eu l'heureuse idée de se populariser ainsi s'appelle Williams ou Peters... Pourtant, il a beaucoup voyagé, beaucoup mangé dans les hôtels et les couvents d'Orient ; il y a signé ses indigestions de voyage et a semé sa carte de visite tout le long de la vallée du Nil, jusqu'à Thèbes ; nous la trouverons sur la porte de la grande pyramide, sur la joue et le nez mutilé des sphinx les plus illustres ; il a fait invasion dans les domaines les plus reculés de l'archéologie."
extrait de Voyage d'Horace Vernet en Orient : orné de seize dessins, 1843, par Frédéric Goupil-Fesquet (1817-1878), peintre-aquarelliste-graveur, neveu du peintre Horace Vernet (qu’il accompagne en Égypte pour un bref séjour à Alexandrie et au Caire).
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