ancienne carte postale |
Mais, plus encore que la masse, ce qui saisit comme une chose religieuse pleine d'un sens caché que l'on ne comprend pas, c'est la similitude absolue de ces attitudes imperturbables, ce dédoublement, pour ainsi dire, du même être colossal. Ils sont deux, et par là l'impression de majesté suprême n'est pas seulement multipliée : elle s'approfondit de mystère. Il y a quelque chose de significatif qui trouble dans cette répétition voulue du même geste immobilisé. Geste simple de repos jusqu'à la fin des temps. Sur leurs sièges de pierre, ils trônent, les Amenhoteps, face à l'orient, les deux torses dressés tout droits, les deux pschents retombant sur les épaules, les quatre bras venant poser avec le même angle du coude sur les quatre genoux que les mains couvrent, étendues, tranquilles pour toujours ; et les quatre jambes descendent à terre, en lignes parallèles, simplement verticales. Ils trônent en silence, étrangers au jour qui passe, étrangers à notre monde, absorbés dans l'éternel. Leurs figures sont mutilées ; ils n'ont plus d'yeux, et pourtant ils regardent encore, d'un regard fixe, tendu au-dessus de nos têtes, comme le rigide rayon d'un phare passe dans le ciel au-dessus des régions trop voisines, - d'un regard qui ne voit pas la verte plaine, ni le fleuve, ni la riche vallée, ni rien des apparences vivantes qui s'y poursuivent, mais qui s'élance, inflexible, vers le monde immuable du désert, et ne se pose que très loin, sur les montagnes, sur les triangles roses, d'où Râ, leur père, leur semblable, le Soleil auguste, revient jaillir tous les matins."
extrait de Terres mortes : Thébaïde, Judée, par André Chevrillon (1864-1957), neveu d’Hippolyte Taine par sa mère, grand voyageur, collaborateur à La Revue des deux mondes, élu à l’Académie française le 3 juin 1920
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