lundi 29 octobre 2018

"Sakkarah est assurément un des lieux les plus captivants d'Égypte" (Mohammed Zakaria Goneim)

 
auteur et date de ce cliché non mentionnés

"Pour quiconque s'intéresse aux temps anciens, Sakkarah est assurément un des lieux les plus captivants d'Égypte ; aussi est-il très regrettable que la plupart des visiteurs qui s'arrêtent aux pyramides de Gizeh ne fassent jamais un détour de quelques kilomètres vers le sud pour voir la plus grande nécropole des rois memphites. 

Imaginons qu'après avoir admiré la Grande Pyramide, nous revenions vers la route pour prendre ensuite la direction de Sakkarah, en suivant le plateau désert qui s'allonge sur notre droite. Tandis que la voiture cahote le long d'une route étroite, on croise des gens qui, çà et là, vaquent à leurs occupations. Ici, un homme conduit une charrue tirée par deux vaches attelées au même joug ; là, un autre en longue robe, coiffé d'un turban blanc, se penche sur un primitif appareil qui amène l'eau d'un canal à l'autre. Ce spectacle est presque resté le même depuis le temps des constructeurs de pyramides. On retrouve des scènes identiques sur les peintures ou les sculptures des tombeaux. 
Une vallée plate et verdoyante s'étale à notre gauche, ponctuée du vert plus sombre des palmiers. Sur le fond de l'horizon, au-delà du fleuve, s'élèvent les falaises des confins du désert oriental ; là sont les carrières où les constructeurs trouvaient leur matériau. À droite, à quelques centaines de mètres en avant, se profile un groupe de pyramides, celui des "Abousir", bâti par quatre rois de la Ve dynastie, Neferefra, Nieuserra, Neferirkara et  Sahura. À peine ont-elles disparu derrière nous que la pyramide à degrés de Djeser apparaît, puis d'autres à gauche, tandis que, semblable à un géant dans le lointain, l'énorme construction de Snefrou à Dahchour élève sa masse presque aussi imposante que celle de Chéphren. 
Bientôt, les terres cultivées sont dépassées et les roues de l'automobile ne sillonnent plus qu'un sable léger. Tout le long de la piste, des trouées profondes ou des monticules de poteries témoignent d'un siècle d'excavations. Car la nécro- pole de Sakkarah est l'un des sites les plus fouillés d'Égypte. Après avoir quitté la voiture, on s'avance tant bien que mal dans le sable mou, à travers un vent froid qui balaye le ras du sol. Vers l'ouest s'étend un désert aussi stérile et désolé qu'au temps des pharaons. En bordure, l'imposante pyramide de Djeser oblige à s'arrêter. Ce monument est aussi la première des grandes constructions de pierre existant au monde."
 

extrait de La Pyramide ensevelie, 1957 (traduction par Françoise Noël), de l'archéologue égyptien Mohammed Zakaria Goneim (1905-1959) qui a découvert en 1951 à Saqqarah, près du Caire, une pyramide identifiée comme celle de Sekhemkhet, quatrième souverain de la IIIe dynastie (2780-2720). 

dimanche 28 octobre 2018

La statue du Sphinx "indique la grandeur d'un art arrivé à la possession de tous ses moyens" (guide des Chemins de fer de l'État égyptien)

photo datée de 1900 - auteur non mentionné
"À gauche de Ména on suit sur la colline un chemin tournant qui conduit aux Pyramides. Le voyageur est frappé de la grandeur de ces monuments restés immuables au milieu des siècles. Leur grande masse dépouillée de leurs anciens revêtements, excepté pour la deuxième où on en voit encore une partie, est fort imposante. Ce sont des monuments d'un aspect un peu rude, car le temps, malgré tout, a fait son œuvre de destruction, mais ils laissent un souvenir in oubliable. 
Le Sphinx est encore plus impressionnant avec son regard extatique sondant les profondeurs de la voûte céleste, semblant chaque matin contempler le lever du soleil. On ne sait pas exactement son âge ; cependant dans un travail récent très documenté, Monsieur Daressy, le savant conservateur du Musée du Caire, lui attribue 5500 ans environ. II existait déjà quand Kephren construisit sa pyramide. 
Ce qui est certain, c'est que Thoutmès IV le fit désensabler après un ordre qui lui fut donné en rêve. Une stèle nous apprend que la Princesse Honitsen, fille de Chéops, le constructeur de la Grande Pyramide, vit de son temps un temple construit tout au près. 
Cette colossale statue monolithe est actuellement mutilée. Les anciens auteurs arabes en parlent comme d'une figure étrangement belle, et nous les croyons sans peine, car, malgré ses mutilations, elle donne une des impressions d'art les plus fortes qu'un homme puisse ressentir. C'est certainement un des monuments les plus anciens du monde, indiquant la grandeur d'un art arrivé à la possession de tous ses moyens. Nous devons nous incliner devant la beauté de ces vestiges des anciennes civilisations. 
Le petit temple en granit qui se trouve à une courte distance au sud-est du Sphinx est connu sous le nom de "Temple du Sphinx". On dit qu'il a été le sanctuaire de Sokaris Osiris. Il est très ancien et offre un intérêt considérable, pour les égyptologues. Il est formé de grands blocs de granit si parfaitement juxtaposés entre eux qu'on ne pourrait passer une aiguille dans les joints."


extrait de Comment visiter l'Égypte, 1911, par un groupe de fonctionnaires des Chemins de fer de l'État égyptien

samedi 27 octobre 2018

"L'orgueil d'un luxe inutile" : Volney, à propos des monuments égyptiens

Tombeau de Volney, cimetière du Père Lachaise (division 41), Paris.
Photo de Marc Baronnet (source : Wikipédia Commons)
"La main du temps, et plus encore celle des hommes, qui ont ravagé tous les monuments de l'antiquité, n'ont rien pu jusqu'ici contre les pyramides. La solidité de leur construction et l'énormité de leur masse les ont garanties de toute atteinte, et semblent leur assurer une durée éternelle. Les voyageurs en parlent tous avec enthousiasme, et cet enthousiasme n'est point exagéré. L'on commence à voir ces montagnes factices, dix lieues avant d'y arriver. Elles semblent s'éloigner à mesure qu'on s'en approche ; on en est encore à une lieue, et déjà elles dominent tellement sur la terre qu'on croit être à leur pied ; enfin l'on y touche, et rien ne peut exprimer la variété des sensations qu'on y éprouve : la hauteur de leur sommet, la rapidité de leur pente, l'ampleur de leur surface, le poids de leur assiette, la mémoire des temps qu'elles rappellent, le calcul du travail qu'elles ont coûté, l'idée que ces immenses rochers sont l'ouvrage de l'homme si petit et si faible, qui rampe à leurs pieds ; tout saisit à la fois le cœur et l'esprit d'étonnement, de terreur, d'humiliation, d'admiration, de respect ; mais, il faut l'avouer, un autre sentiment succède à ce premier transport. Après avoir pris une si grande opinion de la puissance de l'homme, quand on vient à méditer l'objet de son emploi, on ne jette plus qu'un œil de regret sur son ouvrage ; on s'afflige de penser que pour construire un vain tombeau, il a fallu tourmenter vingt ans une nation entière ; on gémit sur la foule d'injustices et de vexations qu'ont dû coûter les corvées onéreuses et du transport, et de la coupe, et de l'entassement de tant de matériaux. On s'indigne contre l'extravagance des despotes qui ont commandé ces barbares ouvrages : ce sentiment revient plus d'une fois en parcourant les monuments de l'Égypte ; ces labyrinthes, ces temples, ces pyramides, dans leur massive structure, attestent bien moins le génie d'un peuple opulent et ami des arts, que la servitude d'une nation tourmentée par le caprice de ses maîtres. Alors on pardonne à l'avarice, qui, violant leurs tombeaux, a frustré leur espoir : on en accorde moins de pitié à ces ruines ; et tandis que l'amateur des arts s'indigne dans Alexandrie, de voir scier les colonnes des palais, pour en faire des meules de moulin, le philosophe, après cette première émotion que cause la perte de toute belle chose, ne peut s'empêcher de sourire à la justice secrète du sort, qui rend au peuple ce qui lui coûta tant de peines, et qui soumet au plus humble de ses besoins, l'orgueil d'un luxe inutile." 


extrait de Voyage en Égypte et en Syrie pendant les années 1783, 1784 et 1785, par Constantin-François Chassebœuf de La Giraudais, comte Volney, dit Volney (1757-1820), membre de l'Institut

Description de l'Égypte, par Amrou Ibn el-'Âs, qui dirigea la conquête musulmane de ce pays en 640

village au bord du Nil - photo datée de 1880 (auteur non mentionné)

Omar Ibn al-Khattâb :
"Ô Amrou, fils d’el-'Âs, ce que je désire de toi, à la réception de cette lettre, c’est que tu me fasses de l'Égypte une peinture assez exacte et assez vive pour que je puisse m'imaginer voir de mes propres yeux cette belle contrée. Salut."

Amrou Ibn al-'Âs :
"Ô prince des fidèles ! peins-toi un désert aride, et une campagne magnifique au milieu de deux montagnes, dont l'une a la forme d’une colline de sable, et l’autre du ventre d’un cheval étique ou du dos d’un chameau : voilà l'Égypte ! Toutes ses productions et toutes ses richesses, depuis Asouan (Syène) jusqu’à Menchâ, viennent d'un fleuve béni qui coule avec majesté au milieu d'elle. 
Le moment de la crue et de la retraite de ses eaux est aussi réglé que le cours du soleil et de la lune ; il y a une époque fixe dans l’année où toutes les sources de l'univers viennent payer à ce roi des fleuves le tribut auquel la Providence les a assujetties envers lui. Alors les eaux augmentent, sortent de son lit, et couvrent toute la face de l'Égypte pour y déposer un limon productif. Il n'y a plus de communication d’un village à l’autre, que par le moyen de barques légères, aussi nombreuses que les feuilles de palmier.
Lorsqu’ensuite arrive le moment où ses eaux cessent d'être nécessaires à la fertilité du sol, ce fleuve docile rentre dans les bornes que le destin lui a prescrites, pour laisser recueillir le trésor qu’il a caché dans le sein de la terre.
Un peuple protégé du ciel, et qui comme l'abeille ne semble destiné qu'à travailler pour les autres, sans profiter lui-même du prix de ses sueurs, ouvre légèrement les entrailles de la terre, et y dépose des semences dont il attend la fécondité du bienfait de cet être qui fait croître et mûrir les moissons. Le germe se développe, la tige s'élève, l'épi se forme par le secours d’une rosée qui supplée aux pluies, et qui entretient le suc nourricier dont le sol est imbu. À la plus abondante récolte succède tout à coup la stérilité. 

C’est ainsi, ô prince des fidèles ! que l'Égypte offre tour à tour l'image d'un désert poudreux, d’une plaine liquide et argentée, d'un marécage noir et limoneux, d’une prairie verte et ondoyante, d'un parterre orné de fleurs variées, et d’un guéret couvert de moissons jaunissantes : béni soit le créateur de tant de merveilles !
Trois choses, ô prince des fidèles ! contribuent essentiellement à la prospérité de l'Égypte et au bonheur de ses habitants. La première, de ne point adopter légèrement des projets inventés par l’avidité fiscale, et tendant à accroître l'impôt ; la seconde, d'employer le tiers des revenus à l'entretien des canaux, des ponts et des digues ; la troisième, de ne lever l'impôt qu'en nature, sur les fruits que la terre produit. Salut."

Correspondance entre le khalife Omar Ibn al-Khattâb, compagnon du prophète Mahomet et Amrou Ibn al-'Âs, "capitaine de l'islamisme" (mort en 42 de l'hégire (662-663), qui dirigea la conquête d'Alexandrie et fit creuser un canal joignant la mer Rouge à la Méditerranée.
Texte repris par Constantin-François de Chasseboeuf Volney, dans Voyage en Égypte et en Syrie pendant les années 1783, 1784 et 1785




vendredi 26 octobre 2018

Le Caire, à la fin du XIXe siècle, par Lucien Trotignon

 
Le Caire - photo datée de 1885 - auteur mon mentionné
"Deux villes existent au Caire, bien distinctes. La ville arabe, la seule intéressante, très curieuse encore malgré sa décrépitude, peut-être même un peu à cause de cela. La ville européenne, moderne et banale, agrandie surtout par le khédive Ismaïl. De celle-ci pas grand bien à dire. Sa première attraction, c'est l'Ezbékyeh. Un jardin public, superbe jadis, paraît-il, dans le désordre de sa végétation luxuriante, et devenu aujourd'hui un vulgaire square, peigné, ratissé, tiré au cordeau, un parfait modèle du genre.
On y voit des grottes artificielles, un kiosque à musique, des cafés, un atelier de photographe, et d'ignobles aloès en zinc peinturlurés d'où émergent des becs de gaz. Ces aloès en zinc sont assez la caractéristique du goût égyptien contemporain.
Le jour de mon arrivée, j'aperçus en passant une musique militaire qui s'installait sous le kiosque. J'attendis son premier morceau. Elle joua En R'venant de la Revue !
De l'Ezbékyeh jusqu'au Nil s'étend le quartier aristocratique, la plaine Monceau du Caire ; de longues avenues bordées d'arbres, de grandes maisons qui s'isolent au fond de jardins invisibles, deux par deux pour la plupart, l'une réservée au maître, le sélamlik, l'autre pour les femmes et les enfants, le harem. Beaucoup sont construites à l'italienne, comme à Alexandrie.
Au lieu de copier le vieux style indigène, au lieu de s'inspirer de cette belle architecture sarrazine, pure et sévère, si parfaitement logique avec les mœurs et le climat du pays, on a voulu faire moderne, à l'instar de l'Europe, toujours. D'ailleurs, il faut le dire une fois pour toutes, l'art, dans l'Égypte actuelle, est absolument lettre morte. On en trouve à chaque pas de tristes exemples.
Une visite aux bazars va nous ramener en Orient. Ils forment à peu près la moitié du quartier arabe.
Ce sont des ruelles étroites et tortueuses, se croisant, se mêlant, s'enchevêtrant parfois en un dédale inextricable, quelques-unes entièrement couvertes, les autres abritées de distance en distance par des auvents qui se rejoignent par des
toiles tendues, par des paillassons qui tamisent la lumière et entretiennent la fraîcheur.
Là, dans un demi-jour mystérieux, au fond des boutiques minuscules, toutes pareilles et séparées par une simple cloison, les marchands se tiennent accroupis, majestueux et graves, savourant béatement leur narghileh et attendant les acheteurs ; les ouvriers travaillent, silencieux, entourés de leurs apprentis, des gamins à la mine éveillée et aux grands yeux noirs. Ils sont tous rangés par corporation. Chaque métier, chaque commerce occupe ses rues spéciales, un peu au hasard et sans ordre apparent. (...)

On ne peut parcourir les bazars sans être appelé et racolé fréquemment par les marchands. Veut-on acheter quelque bibelot, ils s'empressent avec de grands salamalecs, vous  font asseoir devant leur boutique, vous apportent une tasse de café et commencent par demander un prix exorbitant, quatre ou cinq fois la valeur de l'objet. Il faut discuter, se débattre, au besoin revenir deux ou trois fois, et l'affaire se conclut après des pourparlers interminables."
 


extrait de En Égypte : notes de voyage, 1890, par Lucien Trotignon (1860-19..)

Le canal de Suez, "chef-d'œuvre des temps modernes" (Antonin Thivel)

date de la photo : 1880 - auteur non mentionné
"L'entrée du canal de Suez est déjà magnifique par sa largeur. De grands mâts indiquent aux pilotes la direction à suivre.
C'est par une des plus belles nuits de ce climat que nous descendîmes le canal. La lune jetait un éclat éblouissant. Enveloppé de mon manteau je restais sur le pont pour jouir de la fraîcheur, tout en me défendant contre le froid, qu'on sait assez dangereux en Égypte.
Les bateaux destinés au service postal ont été construits en conséquence. On y a ménagé un petit salon intérieur, puis une terrasse couverte et enfin, à l'avant, un emplacement organisé pour les dernières classes.
Tout le monde a suivi avec passion dans les journaux les détails qui concernent le percement de l'isthme de Suez, l’œuvre pharaonique de notre époque. Mais qui a pu se rendre un compte exact des difficultés vaincues ?

Qui, sans les avoir vues, aurait pu se faire une idée de ces machines aussi puissantes qu'ingénieuses, préparées pour vaincre, dans cette lutte de géants, et contre les hommes et contre la nature ?
Le canal existe. Ce chef-d'œuvre des temps modernes dépasse en grandeur et surtout en utilité commerciale les huit merveilles de l'antiquité. Toutes les conditions de navigation facile et sûre il les réunit, au grand avantage des ennemis mêmes de cette entreprise. 

Toutefois, comme les choses humaines sont toujours imparfaites, il manque à celle-ci un développement plus complet. Il faudra une abondance encore plus grande des eaux pour ramener peu à peu la vie sur ces rives si longtemps abandonnées. Et pour cela il suffit qu'on veuille mettre à profit les années spécialement pluvieuses, réserver de grands volumes d'eaux douces et augmenter la masse destinée aux irrigations.
Ce n'était pas en un jour qu'on pouvait maîtriser le désert ; dans son œuvre de tant de siècles, il a opprimé et stérilisé la nature (...)"


extrait de L'Orient : tableau historique et poétique de l'Égypte (1880), par
Antonin Thivel (1826-1883), collaborateur de la Revue du Lyonnais

"L'élément religieux a toujours été le trait le plus saillant de la vie sociale des anciens Égyptiens" (Charles Taglioni)

 
temple de Louqsor - auteur de la photo non mentionné
"Le 29 octobre, à six heures du matin, une petite caravane, composée de huit personnes, et dont je faisais partie, montée sur des baudets, se mit en marche sous la direction de M. Erbkam, pour se rendre à Karnak et en visiter les ruines.
À peine avions-nous fait quelques pas, que nous nous trouvions au milieu des ruines de Louqsor. Nous étions à l'endroit où la vallée du Nil s'élargit pour former la vaste plaine de la Thébaïde.

Les flots du fleuve baignent les murs du temple ; les dunes du rivage, les décombres entassés depuis longtemps, les huttes qu'on y a construites cherchent à envahir les vastes cours avec leurs pylônes; mais, jusqu’à présent, ils ont vainement attaqué ces masses gigantesques.
C'est avec une admiration toujours croissante que nous plongeons dans les ruelles étroites de la ville actuelle, enclavée dans les cours du temple ; et après avoir quitté ce labyrinthe inextricable, nous nous arrêtâmes devant l’une des sinuosités du fleuve, d’où l'on aperçoit le dernier obélisque, qu'on n'a pas encore enlevé.
Les anciens historiographes ne nous donnent qu'une idée confuse du culte des anciens Égyptiens. Les détails assez peu complets qu’ils ont conservés ne se rattachent guère aux temples primitifs. Mais le cours naturel des choses permet de croire qu'ici comme ailleurs, la marche de la civilisation s'est manifestée sous la forme d’un progrès graduel partant des choses simples vers les choses composées, et cela d'autant plus que l'élément religieux a toujours été le trait le plus saillant de la vie sociale des anciens Égyptiens. Le nombre des divinités, peu considérable d’abord, fut quintuplé et même décuplé par des additions toujours nouvelles, et cette création continue de dieux nouveaux ne manqua pas de donner au rite, dont les formes essentielles étaient les sacrifices et les processions qui s’y rattachaient, une étendue telle qu’on ne le trouve peut-être plus chez aucune autre nation.
Toute action tant soit peu importante de la vie publique, tout changement produit par le retour des saisons ou d’autres circonstances naturelles étaient célébrés dans ce pays, ami du merveilleux, par des cérémonies religieuses. Les fêtes se succédaient pour ainsi dire sans interruption.

Les Rois, dans l'exercice de leur puissance, légitimée et fortifiée par l'influence et la sagesse des prêtres, se plaisaient à consacrer tous les trophées de leurs victoires, toutes les richesses des provinces conquises, à la splendeur du culte et à la décoration des temples.
Si l'on examine ces temples d’un œil attentif, on remarque qu’ils ont tous quelque chose de commun : c’est le sanctuaire divin.
Il importait avant tout de mettre à couvert cet endroit sacré pour le garantir contre les influences extérieures et le soustraire aux yeux profanes de la multitude. (...)

Nous trouvons les causes de cette tendance dans le grand nombre des prêtres chargés des cérémonies du culte. Leur service se faisait aussi bien de nuit que de jour. Divisés en différentes classes, ces prêtres étaient astreints aux règles hiérarchiques et prenaient une part active au gouvernement du pays, qui tirait de leur concours le principal élément de sa puissance.
Le Roi était donc soumis à leur autorité, et une surveillance active était exercée sur sa personne et sur ses actes. Assisté par eux, il avait à offrir des sacrifices publics et privés, et ses repas devaient se faire sous leur toute puissante surveillance. De cette façon, le temple était la demeure des Rois et des prêtres pendant la plus grande partie du jour, attendu que tout ce qui se rattachait au mystique devait se dérober aux regards profanes de la multitude. C'est aussi en ce lieu qu'on faisait l’'embaumement des morts et qu'on célébrait le culte toujours croissant des animaux sacrés ; que l’on gardait les riches trésors d'ouvrages religieux et profanes et les instruments variés qui servaient aux études astronomiques. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner que, sous le règne de Ramsès, il y eût tant d’annexes pour compléter le temple."

extrait de Deux mois en Égypte : journal d'un invité du khédive, 1870, par Charles Taglioni, conseiller aulique (ie de la cour) à l'ambassade de Prusse de Paris, "ni savant, ni homme de lettres" (pour reprendre sa propre expression)