L’art resplendit. L’architecture nous a laissé les Pyramides ; l’admirable statue de Chéphren nous dit ce qu’était la sculpture de ce temps. Le pharaon est assis ; derrière sa tête, un épervier aux ailes éployées le protège ; il a dans sa main droite une bandelette roulée ; sa main gauche, ouverte, est à plat sur sa cuisse. Le siège du pharaon termine ses bras en têtes de lions, et sur les côtés, en haut relief, des ornements d’une extrême sobriété, - les tiges de deux plantes, - désignent les deux Égyptes qu’il gouvernait, réunies. La majesté tranquille du pharaon est étonnamment exprimée, et l’on retrouve, ici encore, par une réflexion bien dirigée, la loi du grand art qui explique les Pyramides et les fait admirer.
Le sculpteur qui voulut représenter Chéphren n’eut pas un seul instant l’idée de chercher d’autre modèle que le pharaon lui-même. Il lui a donné son âge ; il a reproduit ses épaules, ses pectoraux, ses genoux puissamment modelés, et c’est un homme ; mais cet homme devait avoir ce que le sculpteur a également reproduit, une attitude calme, quiète, cette majesté du souverain ayant la conscience de sa force, le dédain des joies que l’exercice du pouvoir a dissipées, cette bienveillance qui est la résignation des autocrates désillusionnés. La sobriété des lignes, le caractère d’un ensemble très noble résultant d’une appropriation intelligente des détails très vrais, font de cette statue une œuvre d’art. Il n’y manque, pour être un chef-d’œuvre, que la dissimulation du travail, de l’effort qui l’exécuta, et de la matière qui la compose. Au point de vue historique, quelle distance entre cette statue vraie, simple, d’un pharaon tout puissant, et ce Sphinx de Gizeh, mi-bête, mi-homme, plein de grossièretés dans son corps et de finesses inutiles dans sa face, avec une bouche de deux mètres et un tiers, un nez de deux mètres, des oreilles de plus d’un mètre et demi ! Les yeux de ce colosse sont doux, sa bouche est bonne, mais le regard n’a jamais rien vu, la bouche n’a jamais rien dit ; et l’homme qui passe, voyant le Sphinx, ne songera sans doute, ni à se dérober s’il est coupable, ni à réclamer un conseil s’il est perplexe. Rocher sculpté, et rien de plus, le Sphinx est à peine une œuvre d’art. Bien autrement belles sont les Pyramides ; bien autrement stylée est la statue de Chéphren."
extrait de Histoire universelle - Les Égyptes (de 5000 à 715 av. J.-C.), par Marius Fontane (1838-1914), historien, orientaliste et romancier français, membre de la Société de géographie
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