lundi 27 avril 2020

"Les tombeaux des califes passent, avec l'Alhambra de Grenade, pour les produits les plus achevés, les plus exquis de l'architecture sarrasine" (Victor Fournel)

illustration extraite de l'ouvrage de Victor Fournel

"Une autre excursion un peu plus longue et d’un plus vif intérêt est celle qui conduit aux tombeaux des califes. On sort de la ville par la porte Bab-el-Nasr (de la conquête), un bijou colossal dont les deux grosses tours carrées, les riches sculptures et les proportions élégantes font un des monuments du Caire. Des soldats d’opéra-comique, à mine farouche, à moustaches tombantes, portant à leur ceinture tout un arsenal d’armes et de pistolets aux crosses richement ciselées, s’appuient contre l’arcade, comme des bas-reliefs.
On aperçoit l'enceinte ruinée de la ville, la ligne de petits rochers ou dunes qui l'enserrent, le cimetière, qui borde tout le côté oriental, prolongeant à perte de vue ses tas de pierres, en forme de masures ou de cippes, couronnés d'un turban dont la forme désigne le rang du défunt. Là reposent d'innombrables générations de morts, tous le visage tourné vers la Mecque. Les tombeaux, improprement appelés tombeaux des califes, apparaissent de loin comme une vision fantastique, - véritable ville funèbre, nécropole du désert où dorment les sultans mameluks de la fin du XIVe siècle à la conquête de Sélim, en 1517, qui transmit aux sultans de Constantinople, avec la souveraineté de l'Égypte, le titre d’Imam et l'étendard du Prophète.
Les tombeaux des califes passent, avec l'Alhambra de Grenade, pour les produits les plus achevés, les plus exquis de l'architecture sarrasine. Ce ne sont pas de simples tombeaux, dans le sens où nous entendons ce mot ; suivant l'usage oriental, ils sont, au moins pour la plupart, accompagnés de mosquées. Parmi les plus belles, il convient de signaler celle de Tastouchi, celle d’Ascraf, pavée en mosaïque de marbre, avec ses deux salles, dont la seconde, plus élevée que la première et surmontée d’une belle coupole, renferme le tombeau ; surtout celle du sultan Barkouk, immense rotonde couronnée d’une voûte hardie, avec une porte d'entrée que surmontent des galeries du plus bel effet, une chaire d’un travail exquis et d’un goût charmant, des escaliers de marbre, d’admirables colonnes de porphyre, et une foule de détails caractéristiques qui pourraient occuper un examen de plusieurs heures et que je n’ose entreprendre de décrire. L’imagination la plus ardente est dépassée par ce décor féerique jeté dans une solitude sauvage qui en rehausse l'effet, par cet entassement de dômes, de coupoles oblongues au-dessus desquelles jaillissent les flèches élégantes des minarets surmontés du croissant. On dirait le rêve du plus magnifique et du plus illuminé des sultans, saisi au vol et fixé par les génies d'Aladin."

extrait de D'Alexandrie au Caire, par (François-)Victor Fournel (1829-1894), érudit, écrivain, journaliste et historien français

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.