jeudi 9 avril 2020

"L'architecture est en Égypte ce que fatalement elle devait être, colossale et par cela même imposante" (Charles Blanc)

Nubia - The Small Temple at Abu Simbel (Getty Museum)

"Il n'est rien de tel pour bien connaître le génie d'un peuple, que de parcourir la contrée qu'il habite. Aucun genre d'information ne vaut un voyage quand on le fait avec la volonté de chercher le vrai. On peut ici vérifier sur le vif ce que Bossuet a dit par intuition : "La température toujours uniforme de l'Égypte y faisait les esprits solides et constants." C'est un grand trait qui, dans sa simplicité, est lumineux. On s'explique comment les Égyptiens ont été si semblables à eux-mêmes, au sein d'une nature si uniforme, sous un ciel immobile, en présence de ces phénomènes invariables du Nil, d'où leur vie même dépendait. La mythologie de ce peuple, ses mœurs, son esprit de famille, son goût pour l'agriculture, sa douceur qui le rendait facilement esclave, sa manière de comprendre les arts, son architecture, tout devient plus aisé à comprendre dès qu'on respire l'air pur de l'Égypte, dès qu'on reçoit les rayons du soleil qui l'embrase, dès qu'on navigue sur le fleuve qui la féconde.
L'architecture ! elle est en Égypte ce que fatalement elle devait être, colossale et par cela même imposante. Pourquoi y aurait-on inventé la voûte quand on avait des pierres assez grandes pour couvrir la distance d'un support à l'autre ? Pourquoi les Égyptiens auraient-ils posé sur leurs édifices des combles à deux pentes ou des coupoles, quand ils n'avaient à craindre ni la neige ni la pluie ? Pourquoi auraient-ils employé de petits matériaux où la nature leur en fournissait d'énormes ? Alors qu'ils trouvaient dans les carrières d'immenses blocs de calcaire, de grès ou de granit, pour quelle raison auraient-ils pris la peine de les débiter, se trouvant assez habiles pour les extraire et les transporter à pied-d'oeuvre ?
Ainsi, les édifices en plate-bande, les lignes horizontales des couvertures, et les sentiments de calme et de durée qui s'y attachent, tiennent en grande partie aux influences du climat et du sol, en même temps qu'ils traduisent les pensées d'un peuple que la nature a fait "solide et constant" et qui, croyant à l'immortalité de la vie, voulait une architecture impérissable comme elle."

extrait de Voyage de la Haute Égypte, 1876, par Charles Blanc (1813-1882), historien, critique d'art et graveur français, membre de l'Académie des beaux-arts et de l'Académie française, professeur d'esthétique et d'histoire de l'art au Collège de France.

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