Photoglob - circa 1890
"(La) croyance naïve du monde gréco-romain, qui voyait dans l'Égypte le pays de la science hermétique, a persisté pendant dix-sept siècles. Naguère encore, en entendant parler de pyramides et d’obélisques, on sentait monter en soi l'effroi des plus impénétrables mystères, on considérait avec une réelle terreur les sarcophages égyptiens et leurs grotesques images de génies, et Rose-Croix et francs-maçons s'entouraient d’hiéroglyphes et de «symboles » égyptiens. Aujourd’hui, que nous connaissons directement les monuments de l'Égypte, que nous lisons ses inscriptions et étudions sa littérature, ce prestige s’est évanoui. Au lieu du « crépuscule sacré » à travers lequel l'Égypte apparaissait encore à Gœthe, la claire lumière de l’histoire a brillé, et les anciens Égyptiens sont devenus pour nous un peuple ni meilleur ni pire que les autres peuples. Sa « sagesse » se révèle, à l'examiner de plus près, comme un monde d'idées, parmi lesquelles il en est de saines et de raisonnables, à côté d'autres qui relèvent de la fantasmagorie religieuse ; ses moeurs aussi ne sont pas plus étranges que celles des autres peuples. Il y a un seul point qui vaut aujourd’hui à cet antique peuple notre admiration sans réserve, mais les Anciens n'y avaient guère pris attention : c'est son art à la fois si original et si grand, que, dans ce domaine, peu d'autres nations peuvent être comparées aux Égyptiens.
Si, aujourd'hui, l'intérêt enthousiaste excité par l’ancienne Égypte s'est évanoui, un autre intérêt, non mois profond, s’est éveillé en nous pour ce pays, et il poussera toujours les savants à explorer ses monuments. Les Égyptiens se trouvent aux extrêmes avant-postes de l'histoire de l'humanité. Il n’y a guère d'autre peuple dont nous connaissions quelque chose de plus ancien. Nous savons quel était l'aspect de leur pays il y a 5.000 ans, et nous connaissons la langue, la littérature, la religion, l'art de ces temps si reculés, d'une manière plus approfondie que ceux de beaucoup d’époques plus récentes. Seule, la vieille Babylonie nous a laissé des monuments peut-être aussi anciens ; pour tous les autres pays, nos connaissances ne commencent que bien des siècles plus tard. En ce qui concerne nos pays d'Europe en particulier, nous ne trouvons des renseignements qu’à des époques bien plus récentes. Lorsque les héros d’Homère combattaient devant Troie, l’antique Égypte avait accompli tout son développement et se trouvait déjà en décadence.
Sans doute, il a existé, dans d’autres pays, des civilisations aussi anciennes, mais aucun d'eux ne nous a conservé une abondance de monuments comparables à celle de la vieille Égypte. Cette situation privilégiée trouve sa principale raison dans une circonstance fortuite, à savoir le climat, de l'Égypte. En effet, sous cet heureux climat, le sol conserve fidèlement, pendant des milliers d'années, les monuments les plus humbles et les plus fragiles de l'activité humaine, même des vêtements et des rouleaux de papyrus. Ce que le Nil ne recouvre pas de ses inondations, ce que la main de l’homme ne détruit pas à dessein, se garde sans altération, grâce au sable et à la sécheresse de l'air, tandis que tout climat humide précipite la destruction des œuvres humaines. À cela, s’ajoute encore un autre facteur de conservation. Sous l'influence d'idées religieuses, les Égyptiens ont veillé avec un soin tout particulier à ce que leurs tombes soient solidement construites et à ce qu'elles soient décorées ; alors que la plupart des peuples parvenus au même degré de civilisation se contentaient de tombes très modestes et peu durables, les Égyptiens élevaient à leurs morts des monuments énormes, dont la magnifique ornementation figurée nous renseigne complètement sur leur genre d'existence. Ainsi, l'Égypte nous fait connaître des siècles lointains qui, partout ailleurs sur la terre, sont recouverts d’un voile épais.
Ce coup d'œil sur l'antiquité la plus reculée que nous offrent les monuments égyptiens est instructif au plus haut degré. Il a libéré à jamais le monde savant d’une erreur dans laquelle il était tombé pendant longtemps. On croyait que les Égyptiens, se trouvant de deux ou trois millénaires plus près des origines de l'humanité, devaient présenter des caractères essentiellement différents de ceux des autres nations. Mais, en réalité, les Égyptiens du troisième ou du quatrième millénaire avant J.-C. n'étaient pas autrement faits que d’autres peuples arrivés au même degré de civilisation et placés, aujourd'hui, dans des conditions semblables. Langue, religion, gouvernement, tout cela se développe en Égypte de la même manière que chez les peuples plus jeunes. Le monde n'était pas, il y a cinq mille ans, différent de ce qu'il est de nos jours ; les mêmes lois éternelles, auxquelles il obéit aujourd’hui, le régissaient déjà autrefois avec la même inexorabilité. Toutes les découvertes et tous les progrès que l'humanité a faits depuis cette époque n’ont rien pu y changer ; les mêmes combats qui ont formé les anciens États forment les modernes, les mêmes circonstances qui ont fait fleurir et périr l'art antique font encore naître ou mourir l’art contemporain."
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