Les pyramides ne sont, au regard du passant, qu'une architecture monotone, calme, dont la simplicité l'inquiète. L'artiste et le philosophe se recueillent devant ces monuments extraordinaires. Voici la grande pyramide de Chéops. Sa largeur à la base est de 232 mètres ; sa hauteur, de 146 mètres ; elle couvre 8 hectares de terrain ; elle absorbe 2, 560,000 mètres cubes de pierres, avec lesquelles on bâtirait un mur haut de 2 et qui enceindrait la France tout entière. Est-ce un entassement brutal ? Non, certes. Les pierres en furent bien appareillées, taillées à arêtes vives, et chacune, d'un poids effrayant, mise exactement à sa place. L'orientation des pyramides en fut calculée et exécutée avec tant de précision, qu'elles purent servir de gnomons, déterminer les solstices et les équinoxes, servir à fixer la durée de l'année solaire.
La constatation de tant de recherche dans l'exécution d'une telle énormité impose l'attention, excite le respect ; le dédain absolu de l'effet factice qui caractérise le monument, fait de l'architecte des Pyramides un artiste convaincu ; la grandiose simplicité de son oeuvre dit sa foi artistique, la netteté de sa pensée, la haute conception de son génie. L'art qui dissimule sa science, ou, pour dire mieux, qui dédaigne de l'étaler, de la crier aux yeux, qui cache le labeur, qui ne se vante pas de l'effort et ne donne que la solution ramenée à son expression la plus réduite, c'est le grand art, et il n'est pas surprenant que l'artiste seul en puisse saisir, en puisse exprimer la beauté sereine. (...)
L'art que les Pyramides cachent exprès est aussi grand que l'art résumé qu'elles montrent. C'est dans l'intérieur qu'il faut aller chercher une surprise. (...) La chambre sépulcrale est une merveille de l'art de la construction. Un bloc de granit, comme suspendu, "menace d'écrasement" le téméraire qui vient troubler le sommeil du pharaon. Le plafond, d'un poids redoutable, et qui n'aurait pas pu supporter la charge de toute la partie de la pyramide pleine qui est au-dessus de lui, est admirablement protégé : immédiatement au-dessus du plafond, cinq blocs de granit, séparés par des intervalles, sont surmontés à leur tour par des "blocs inclinés" formant un triangle et laissant un vide qui allège complètement le plafond de la chambre inférieure. Ces blocs inclinés reposent, par leur extrémité basse, sur la pyramide elle-même, des deux côtés, et conduisent ainsi hors de la chambre tout le poids supérieur du monument. De ces pierres énormes, pas une seule n'accuse le moindre infléchissement. Est-ce que la dissimulation voulue de ce prodige ne donne pas au monument une grandeur proportionnelle, au moins, à la somme de travail que la solution du problème architectural représente ? Et n'est-ce pas accomplir une œuvre d'art de premier ordre, qu'exprimer aussi simplement que l'a fait l'architecte de Chéops, et en un seul fait, la destination de l'œuvre exécutée et l'importance de son exécution ?
La pyramide défie les siècles, parce que le pharaon qui y repose défie la mort ; l'œuvre devait signifier éternité, et non seulement réaliser son symbolisme, en effrayant les hommes qui songeraient à détruire le monument humain, mais encore tromper la curiosité de l'avenir en dissimulant les secrets de l'exécution magnifique. Les Pyramides sont une œuvre d'art, parce qu'elles expriment complètement une pensée, et n'expriment que cette pensée. Elles sont belles, parce que leur auteur chercha la perfection, comme l'a dit Renan, dans l'absolue sincérité. En ne les comprenant pas, les voyageurs hâtés les classent. Elles sont œuvre d'art, en effet, précisément parce que hors de leur but, de leur époque et de leur milieu, elles deviennent incompréhensibles ; elles sont chefs-d'œuvre, parce qu'elles résument une idée complètement, simplement, sans impatience, sans bruit."
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