ll est intéressant de constater (...) que les premières œuvres de la statuaire égyptienne, restes antiques du royaume de Memphis, ont un caractère accentué de réalisme. Telles les deux remarquables statues de Prêtres et le Scribe accroupi du Musée du Louvre ; telles les grandes figures assises que Mariette a déterrées au pied de la pyramide de Chéfrem, et données au nouveau musée du Caire. Telle encore et surtout la statue en bois déposée au même musée (...).
Les tendances si réalistes de cet art naissant devaient être les prémisses d'une plastique pleine d'indépendance et de vie. Mais il n'en fut rien. La sculpture égyptienne, née dans le temple avec les hiéroglyphes, resta soumise à l'architecture et à la religion, qui lui imposèrent, l'une, des lignes austères, l'autre, une symbolique rigide. Les prêtres en outre interdirent sévèrement la pratique et même l'étude de l'anatomie ; en sorte que les Égyptiens, bien que familiarisés de longue date avec les formes du corps humain, peu ou point vêtu, furent réduits et astreints de bonne heure à l'emploi d'un canon fixé une fois pour toutes. Ce canon subit à la vérité quelques modifications ; on le vit devenir plus élancé sous les Ptolémées, et plus tard, sous les Romains, dessiner les os et les muscles ; mais ce ne furent que des questions d'écoles, de modes, au milieu desquelles le principe ne varia point. La sculpture égyptienne fut donc assujettie dès le début à deux principes absolus : le sacrifice du détail à l'ensemble et le symbolisme. (...)
La plupart des sculptures égyptiennes en ronde bosse sont colossales. Cela tient d'une part à la grandeur des constructions qu'elles accompagnaient, d'autre part à ce symbolisme naïf, commun à l'enfance de tous les peuples, qui exprime par le développement du signe la grandeur de la chose signifiée. Il n'est pas rare en effet de trouver parmi les allées de sphinx et de colosses, ou les Pharaons assis, des statues hautes de 6 à 9 mètres. Les six colosses dressés devant le petit temple d'lbsamboul mesurent 10 mètres 50 ; les quatre statues de Rhamsès II assises devant le temple principal du même lieu ont 18 mètres. Le Memnon et son frère géant dominent de 21 mètres les ruines de Médinet-Habou, et le sphinx de Memphis s'étend sur une longueur de 42 mètres. Tous ces colosses sont les œuvres d'une observation intelligente, d'une pensée concise et d'un ciseau énergique ; mais la vie leur fait défaut, par ce qu'elles représentent des types et non pas des individualités. À part cela, on peut admirer sans réserve l'étonnante habileté et la patience infatigable qui ont taillé sans aucune défaillance les matériaux les plus durs, marbres, granits, basaltes, et couvert les murs, les piliers, les colonnes, les sarcophages et les obélisques d'hiéroglyphes sans nombre et sans défauts.
Si considérables que soient les œuvres de la statuaire égyptienne, elles disparaissent dans l'étonnante profusion de bas-reliefs qui recouvrent à l'envi les parois de tous les monuments. Cette sculpture, qui forme le complément et à certains égards l'envers de l'art solennel de la ronde-bosse, paraît dès la plus haute antiquité absolument fixée dans ses lois, ses types et ses modes d'expression, a pour objectif l'histoire ou plutôt la chronique de la vie égyptienne, divisée en chapitres distincts correspondant à la nature des espaces décorés. (...)
La composition de ces scènes prouve une fois de plus que l'art égyptien ne procède point d'une inspiration librement créatrice. Encore ne sont-elles pas composées dans le sens propre du terme ; mais elles ont de l'allure, du style même et une sorte de rythme conventionnel qui trouve sa principale expression dans le parallélisme des membres et des mouvements et dans la "répétition". L'observation de ces lois, jointe à une interprétation intelligente et concise de la forme, suffit à les rendre intéressantes et grandes. Mais il est à remarquer que ces images mouvementées de la vie n'ont au fond pas plus de vie réelle que les statues raides et graves de la ronde-bosse. Si la majesté passive de celles-ci n'est que l'expression d'une inertie voulue, l'action multiforme de celles-là ne sait donner que l'idée du mouvement : aux unes comme aux autres il manque encore et toujours cette notion de l'individualité qui peut seule engendrer la vie. C'est ainsi que, sous les apparences les plus actives du mouvement, l'art oriental n'arrive à produire que des images d'immobilité ; que figé dans la pensée et dans le signe, il n'a que des oscillations, des hauts et des bas, mais pas de phases de développement proprement dites. Il ne peut y avoir de développement que lorsqu'une conception nouvelle éclate sous une nouvelle forme."
Wilhelm Lübke était un historien de l'art allemand, né à Dortmund. Il a étudié à Bonn et à Berlin ; a été professeur d'architecture à la Bauakademie de Berlin et professeur d'histoire de l'art à l'École polytechnique de Zurich, à l'École polytechnique de Stuttgart et à la Technische Hochschule de Karlsruhe. (source : Wikipedia)
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